Les psychologues vont réagir, ils ont la part pas belle dans le rapt de notre titre. Il représentent à juste titre que la médecine exagère quelque peu, et que, sur-représentée à l’Assemblée nationale, ceci expliquant cela, elle abuse. Probablement après une levée de boucliers et un lancer de flèches nos collègues psychologues obtiendront réparation et afficheront leur satisfaction de pouvoir jouir enfin en paix de notre dépouille onomastique.
Ça n’ira pas plus loin. Plus loin, ce serait reprendre la protestation une fois exprimée de Roland Gori notant que c’est tout de même à nous que le nom que les psychologues se proposent d’adopter à notre totale exclusion (la clause du grand-père c’est de la petite monnaie, lâchée une fois pour toutes) appartenait. Ça n’est pas au revoir et merci mais file-moi ton blouson ou je te saigne, et sois bien content que je ne te laisse pas rentrer chez toi en slip avec mon pied au cul, charlatan de mes deux !
C’est que ma foi l’éthique n’est plus ce qu’elle était. Par contre le bon docteur Accoyer ne se prive pas de faire la morale à la cantonade télévisuelle, ma belle et bonne loi, onze ans (combien de cavaliers ?) ! son plus long combat parlementaire, va enfin vous délivrer des bandits qui infestaient les grands chemins psys. Et les psychologues de se plaindre que le part à deux leur est défavorable. Ça, c’est de la morale politique.
Le professeur Albert Ciccone met les pieds non dans — ce serait déclarer que le scandale initial consiste à nous exproprier de notre titre (1) mais sur les bords du plat : à quand une loi contre les diseurs de bonne mésaventure ? Pourquoi cet acharnement ? Au lieu de protester qu’on s’est fait piquer son plat de lentilles, ou que le droit d’aînesse est mal respecté entre frères jumeaux, on pourrait il est vrai s’interroger sur les raisons de l’iniquité en cours. Cela s’appelle de la citoyenneté. Une valeur à nos yeux et à ceux de peut-être bien pas mal d’honnêtes gens dans notre beau pays de France, mais de combien de nos chers collègues psychologues (sans compter les psychanalystes) ?
En attendant réjouissez-vous cinq minutes à lire ce courrier rafraîchissant.
Philippe Grauer
Chers Collègues,
Vous avez sans doute pris connaissance du décret sur le titre de psychothérapeute qui vient tout juste d’être publié et qui doit entrer en vigueur en juillet prochain. Je trouve ce texte contestable, voire scandaleux en certains de ses points.
Je n’insiste pas sur le fait que la loi qui concerne ce décret visait la lutte contre les sectes, et qu’il est difficile de voir en quoi un tel décret dans cette forme là va empêcher les mouvements sectaires de poursuivre leur entreprise. Il suffira tout simplement qu’ils ne se réclament plus de la psychothérapie, ce n’est pas compliqué.
Je n’insiste pas non plus sur le fait que ce texte laisse entendre que tous les psychothérapeutes qui ne sont ni psychologues ni psychiatres ni inscrits dans un annuaire de psychanalystes sont de dangereux charlatans, ce qui est plutôt abusif, et que bien sûr les psychologues, psychiatres et psychanalystes ne sont jamais charlatans, ce qui est assez naïf.
Sur le fond, s’il est dit que ne pourront prétendre s’inscrire au registre national des psychothérapeutes que les praticiens titulaires d’un doctorat de médecine ou d’un master de psychologie ET ayant suivis une formation à la psychopathologie clinique, on peut remarquer le silence total sur la formation de psychothé]]rapeute elle-même. D’un côté c’est mieux, car lorsque des politiques se mêlent de contenus de formation, on voit bien que l’on peut craindre le pire. Mais d’un autre côté cela laisse entendre, si on pousse à peine le texte, que la formation même de psychothérapeute pourrait se résumer à cela (le doctorat de médecine, le master de psychologie et la formation de psychopathologie) !
Sont ensuite mentionnés les professionnels qui auront une dispense de formation à la psychopathologie. Et on arrive au point le plus scandaleux du texte : vous l’avez lu, les psychiatres seuls bénéficieront d’une dispense totale !…
Pour les psychologues, on pourra bien sûr attester sans problèmes que les exigences sont remplies d’une manière incontestable, et on pourra fournir des attestations pour ceux qui en ont besoin – même si le contenu de la formation théorique et pratique (pour ceux qui ne sont pas dispensés) ainsi que les modalités d’évaluation doivent être définis par arrêté des ministres de la santé et de l’enseignement supérieur, et qu’il faille donc s’attendre au pire pour tout le monde !
Cette profonde méconnaissance et ce profond mépris des conditions réelles de formation des psychologues est difficilement supportable. Ce n’est bien sûr pas étonnant vu ce qu’est le pouvoir médical, et vu sa sur-représentation au Parlement.
Revenons au décret. Suit ensuite une série d’articles sur les modalités d’inscription au registre national des psychothérapeutes. Á noter que c’est le directeur général de l’ARS (2)qui instruit le dossier. On ne sait pas s’il fait cela tout seul, mais il doit rendre sa décision au Préfet dans les 45 jours, et si personne ne répond cela équivaut à un refus ! Plus loin, concernant les demandes des psychothérapeutes qui exercent depuis plus de 5 ans et bénéficient de la « clause du grand-père », il est écrit que c’est une commission qui statue, présidée par le directeur général de l’ARS, et composées de 6 personnalités NOMMÉES PAR LUI ! Je ne crois pas que ce soit là une bonne nouvelle.
Puis toute une série d’articles concerne l’agrément des établissements de formation, aptes à délivrer cette formation en psychopathologie. Les conditions requises relèvent quasiment
d’une équipe universitaire de pointe dans la recherche ! Certains voient dans ce décret une aubaine et un marché juteux pour tout un tas d’organismes de formation, voire pour les universités… Je ne suis pas de cet avis, car je ne vois toujours pas à qui s’adresserait cette formation :
– les psychiatres n’en ont pas besoin, les psychologues j’espère en seront dispensés aussi (si on arrive à faire retirer l’annexe du décret – sinon ils fourniront des attestations justifiant qu’ils ont déjà largement répondu aux conditions), les psychothérapeutes qui exercent depuis plus de 5 ans bénéficieront de la « clause du grand-père » ;
– quant aux autres, je doute fort qu’ils acceptent passivement d’être accusés d’être mal formés ! Je fais le pari qu’ils feront comme certains ont déjà commencé à le faire : ils changeront l’intitulé de leur plaque, enlèveront « psychothérapeute » et mettront à la place « praticien de la psychothérapie », « hypnothérapeute », ou « thérapeute bioénergénéticien », « thérapeute du stress » et autres encore !… Quand est-ce qu’un décret interdira toutes ces pratiques ?!…
La seule raison qui pourrait pousser ces praticiens à conserver l’intitulé de « psychothérapeute » et à demander la formation mentionnée serait que leurs actes soient remboursés par la sécurité sociale. Vu le déficit de cette dernière, une telle idée n’est pas prête de voir le jour !
On peut tout de même se demander pourquoi cet acharnement à vouloir réglementer ainsi la psychothérapie, dans une société où la rubrique la plus lue dans les journaux quotidiens est l’horoscope, où chaque heure on entend sur la majeure partie des chaînes de radio des prédictions pour notre journée, des pubs pour des cabinets de voyance, où les consultations auprès des voyantes, cartomanciennes, magnétiseurs s’élèvent à un nombre considérable !… Il faut donc s’attendre à un prochain décret qui va réglementer le travail des astrologues, puis un autre pour les magnétiseurs, et ensuite encore un pour chaque rebouteux de toute sorte !…
Je crois qu’il est nécessaire que nous réagissions et que nous réfléchissions à la manière d’organiser la protestation.
Bien amicalement.
Pr. Albert Ciccone
Responsable du Master professionnel de psychopathologie et psychologie clinique, Université Lyon 2