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9 juin 2010

Décret relatif à l’usage légal du titre de « psychothérapeute » : incompétence légalisée pour tous Philippe GROSBOIS présenté et commenté par Philippe Grauer

Philippe GROSBOIS présenté et commenté par Philippe Grauer

Un clinicien universitaire témoigne

Philippe GROSBOIS est Maître de conférences en psychologie clinique et psychopathologie, Angers, et chargé de mission “psychothérapie“ à la Fédération française des psychologues et de psychologie (1). Son engagement dans la transmission de la clinique, d’inspiration psychanalytique, à l’université, le place dans la position de savoir qui nous sommes, confraternellement, et de nous reconnaître à condition de nous ignorer. Il illustre cette situation de ligne de démarcation entre professions voisines que la génération prochaine aura pour mission de franchir. Son analyse témoigne d’une sensibilité voisine de la nôtre pourvu que soit maintenue la distance. Peut-on parler d’amorce de dialogue avec ce texte ici édité ? ne forçons pas les choses. Telle quelle laissons fonctionner cette, comme on dit dans les colloques, communication.


La question du travail sur soi

Philippe Grosbois n’est pas de notre bord. Plutôt Lécuyer (FFPP), plutôt comment s’appelle-t-il, vous savez celui qui dirige un site victimaire, enfin bref, il parle pour les psychologues et s’allie avec qui il entend. Et il a choisi de dire la vérité. Que la psychothérapie cela devrait vouloir dire pour commencer un long travail sur soi, bien connaître sa matière, et une supervision constante (comportant formation continue). Voici un terrain d’entente. Pas tout à fait car on ne convaincra jamais tout le monde psy à la même base pratique. Dans cet univers, La psychothérapie — faudrait-il l’agrémenter à son tour de guillemets ? c’est celle que je définis comme mienne. Autant admettre qu’il en existe plusieurs familles, sans parler des composites. La psychopathologique, celle de la loi Accoyer qu’aime bien Philippe Grosbois, la systémicienne, la comportementaliste, la dite d’inspiration psychanalytique, la psychiatrique, et j’en oublie.

Psychothérapeutes avec guillemets mais sans formation

Quant à nous nous avons renoncé dès 1996 à exiger des autres qu’ils se soumettent à nos critères — qu’ils fassent après tout comme ils veulent, psychodiversité exige, et nous sommes différenciés comme psychothérapeutes relationnels. Corporatisme exige, nos collègues ont immédiatement répliqué que c’était à nous de nous plier à leur définition et conditions. Avec le résultat qu’on sait. Philippe Grosbois analyse que les psychologues sont en voie de devenir par le jeu de la baguette magique de la loi Accoyer qu’il a vigoureusement soutenue « psychothérapeutes » avec guillemets mais sans formation ad hoc, des « psychothérapeutes » d’État-proclamés.

Psychothérapie au sens générique : terminologique glissante

Nous connaissons tout cela, Philippe Grosbois découvre que « les psychologues sont prêts à devenir légalement des charlatans de la psychothérapie », nous l’adresse, nous le portons à votre connaissance. Avec cette réserve que parler de la psychothérapie au sens générique du terme c’est se disposer à la confusion. Personne ne saurait définir la psychothérapie sans consentir à la taxinomer, à la reconnaître comme complexe et non unique, à décliner sa diversité. Si bien que si personne ne traite plus une classe entière de charlatane, les gens sérieux garantis par leurs institutions responsables s’identifieront aisément et les imposteurs, isolés, se trouveront livrés à leur sort. Pour cette raison, retourner institutionnellement vers une catégorie l’accusation de charlatanisme, même pour la « bonne » cause, même contre les siens (enfin, mieux vaut à tout prendre faire la police chez soi que chez les autres) comme le tente Grosbois, reste délicat.

Coup de projecteur

Cela dit nous avons appareillé le texte grosboisique de quelques notes critiques, lisez-les quoiqu’au bas de l’écran. Bien entendu ce psychologue voit midi à sa porte, nous ne logeons pas du même côté du Carré psy et ne racontons pas l’histoire de la même manière. Nous ne racontons d’ailleurs pas la même histoire et sa logique continue au sens fort du terme de nous ignorer (dans le temps qu’il nous adresse ce texte, l’ambivalence, heureusement, ça existe). En ces temps où en effet le corporatisme et la blessure narcissique identitaire peuvent contribuer à brouiller les analyses, celle que conduit Philippe Grosbois jette, sans tout clarifier, un coup de projecteur inédit dans son milieu sur l’effervescence de l’univers psy au lendemain du Décret.

Contre-champ non contaminé

Nous nous apprêtons quant à nous, en bon ordre et en bonne éthique, à modifier notre appellation pour laisser celle de psychothérapeute, avec ou sans guillemets, arrachée de nos mains et passée dans celles trop heureuses de nous en avoir dépouillés, vidée du sens que notre mouvement sut lui conférer durant un quart de siècle, vivre une autre destinée, une dérive confuse vers une paramédicalisation inquiétante et une psychothérapie psychologique, neurologique, comportementaliste, diagnosticiste, prescriptive. Comme ils voudront. Nous préférons sous un nom que personne ne viendra nous disputer, contrôler notre discipline, pratique clinique et profession. En toute éthique et souveraineté constituer le contre-champ non contaminé, alternatif (aux côtés d’une psychanalyse non réduite), de la dynamique de la subjectivation.

Identité distincte

Nous nous refusons à disqualifier nos collègues pratiquant différemment, les laissant œuvrer comme ils l’entendent, leur demandant seulement de nous respecter en retour. Il se trouve qu’au vu de l’actuel cours des choses, nombreux chez nous seront ceux ne désirant plus se voir confondus avec des « psychothérapeutes » tels que Philippe Grosbois en dresse le portrait. Identité distincte, celle demain de psychopraticien relationnel (2), garantie par ses institutions responsables, devrait permettre à ceux qui l’endosseront d’évoluer disciplinairement et professionnellement en toute tranquillité et dignité pour le meilleur service auprès du public.

Philippe Grauer


Pourquoi les regroupements professionnels, syndicaux, universitaires, scientifiques de psychologues s’estiment-ils pénalisés par la dispense partielle et non totale (contrairement aux psychiatres) de formation post-master en psychopathologie exigée par la loi pour accéder à l’usage du titre de « psychothérapeute » ?

Pour ceux qui veulent

Pourquoi les sociétés de psychanalyse ne protestent-elles pas, elles, alors que, dans le décret, les psychanalystes, tout comme les psychologues, ne sont dispensés que partiellement de la formation en psychopathologie exigée pour ceux qui VEULENT accéder à l’usage du titre de psychothérapeute ?

Je souligne : « pour ceux qui VEULENT accéder à l’usage du titre de psychothérapeute », et non qui seraient obligés d’utiliser le titre de psychothérapeute s’ils veulent pratiquer la psychothérapie puisque ça n’est pas le cas. Le Président de l’Assemblée Nationale, Bernard Accoyer, qui est à l’origine de cette réglementation, a pourtant souligné récemment : « cette disposition ne concerne strictement en rien les psychiatres, les psychologues cliniciens ni la psychanalyse ».

Hypertrophie du moi des psychologues

Psycho-prolos

En considérant qu’ils ont le droit d’accéder au titre sans autre formation qu’une formation en psychopathologie, il s’agit, pour les psychologues, d’affirmer le fait d’être autre chose qu’un psychologue vécu comme un psycho-prolo de base qui pratique des entretiens d’aide, fait passer des bilans, régule des équipes ou anime des groupes de parole, autrement dit un Superman de la psychologie dont la planète Krypton serait la psychothérapie.


Cliniciens compétents de facto

Il s’agit donc d’une question identitaire ; la formation universitaire devrait ainsi leur suffire pour accéder au titre de « psychothérapeute », au prétexte qu’ils ont développé une certaine aptitude à l’écoute de par leur formation universitaire clinique et psychopathologique. Certains même, au nom d’une démarche personnelle, psychothérapique ou psychanalytique, considèrent que la loi devrait s’appliquer de droit à tous les psychologues dits « cliniciens » parce qu’ils seraient compétents de facto à mettre en œuvre une psychothérapie !

Des psychothérapeutes « auto-proclamés » aux psychothérapeutes « État-proclamés »

Ainsi les organisations de psychologues ont-elles reproché ces dernières années aux organisations de psychothérapeutes qualifiés d’ “auto-proclamés“ par Accoyer (FF2P, SNPPsy, AFFOP,(…) (3), Psy’G) de revendiquer la création d’une profession de « psychothérapeute »(4) indépendante parce que ces derniers, bien que formés à une ou plusieurs approches psychothérapiques — même si certains contestent la validité théorique et pratique ou les fondements épistémologiques de certaines méthodes auxquelles ils se réfèrent, méthodes qui se situent essentiellement dans le champ de la psychologie dite humaniste (5)— nient l’utilité d’une solide formation universitaire de base en psychopathologie(6)

Les organisations de psychologues revendiquent aujourd’hui, à l’inverse, l’usage légal du titre de psychothérapeute, alors que la formation requise par la loi ne s’appuie que sur la base d’une formation psychopathologique considérée comme suffisante et sans aucune référence à une formation à la psychothérapie !

Tout ceci souligne à quel point le titre de psychothérapeute exerce un pouvoir d’attraction pour les psychologues. L’attraction soulignée par Jacques Gagey dans les années 70 à propos du psychanalytique chez les psychologues cliniciens se trouve ainsi transposée sur le psychothérapique à cause de la loi sur le titre. Avec le même écart entre le désir des psychologues et la réalité, à savoir qu’un enseignement sur la psychanalyse à l’université ne peut en aucun cas suffire pour devenir psychanalyste. Et pourtant, combien de psychologues se réclament de la référence à la psychanalyse pour s’en faire les imitateurs honteux ou les faux-monnayeurs… prétendant pratiquer des psychothérapies d’inspiration psychanalytique alors qu’ils ne sont pas psychanalystes.

Même problématique pour les psychologues face à cette loi sur le titre : ceux-ci, unis dans un même cri scandalisé contre le supplément de formation imposé, sont prêts sans vergogne, tels des paons orgueilleux, à se parer du plumage d’un titre sans en avoir le ramage… c’est-à-dire à se contenter d’un enseignement théorique de 100 heures sur la psychothérapie (prévu par le décret) et qui leur permettra de se dire « psychothérapeutes » sans aucune compétence psychothérapique.

Labellisation d’État de « psychothérapeutes » non formés à la psychothérapie

Rappelons que la formation spécifique en psychopathologie exigée par le décret comporte une formation théorique de 400 heures et un stage pratique de 5 mois. Le projet de cahier des charges de cette formation reprend les 4 axes de connaissances présents dans les anciennes moutures du projet de décret, à savoir :
– développement, fonctionnements et processus psychiques (100 heures, les psychologues étant dispensés seulement de ce premier axe) ;
– critères de discernement des grandes pathologies psychiatriques (100 heures) ;
– théories se rapportant à la psychopathologie (100 heures) ;
– principales approches utilisées en psychothérapie (100 heures).

Les psychologues sont prêts à devenir légalement des charlatans de la psychothérapie

C’est dans cette dernière rubrique que le texte précise « Cette formation académique ne saurait se substituer aux dispositifs spécifiques d’apprentissage et de transmission des méthodes psychothérapiques » mais, paradoxalement, ni la loi ni le décret ne précisent quels devraient être ces dispositifs alors que la délivrance du titre de « psychothérapeute » devrait normalement correspondre à des compétences psychothérapiques et non seulement psychopathologiques… Ce choix réglementaire avait déjà été décidé lors des débats parlementaires du Sénat à propos de l’article 52.

Pour être clair, cela signifie que les psychologues sont prêts à devenir légalement des charlatans de la psychothérapie.

Les critères de formation à la psychothérapie dans le monde

En effet, toutes les écoles de formation à la psychothérapie dans le monde entier définissent la formation à la psychothérapie selon 3 critères :
– une psychothérapie personnelle
– une pratique supervisée
– une formation théorique et clinique complémentaire (séminaires, étude de cas, etc.).

Les deux seules exceptions sont les formations à la thérapie familiale systémique et aux thérapies cognitivo-comportementales qui ne requièrent pas d’expérience personnelle de ces approches mais qui exigent néanmoins une pratique supervisée, des séminaires théoriques complémentaires et des études de cas cliniques.

Il y a ainsi confusion entre une « attitude psychothérapique spontanée » (selon l’expression de Guyotat) transversale à toute pratique clinique et les psychothérapies systématisées s’appuyant sur un cadre théorique et pratique spécifique .

Si l’on examine la législation des pays qui protègent l’usage du titre de psychothérapeute ou l’activité psychothérapique (en la réservant à certaines catégories de professionnels), on découvre que cette réglementation s’appuie toujours sur l’exigence d’une formation psychothérapique personnelle et d’une pratique supervisée, outre une formation théorique complémentaire ; c’est le cas par l’exemple pour l’Italie où seuls les psychologues et les médecins peuvent pratiquer la psychothérapie sous réserve qu’ils aient suivi une formation post-master ou post-doctorat pendant quatre ans, cette formation étant dispensée soit par des universités agréées soit par des écoles psychothérapiques privées agréées par le Ministère de la Santé (7). En Suisse la Fédération suisse des psychologues a établi également des critères de formation psychothérapique semblables très stricts.

La clairvoyance des psychanalystes, des psychiatres, des « psychothérapeutes » et l’incapacité d’analyse de la loi par les psychologues

Les (rares)(8) psychiatres et psychanalystes qui se sont exprimés sur la loi et le décret semblent, quant à eux, moins déficients intellectuellement que les psychologues car ils ont compris à la fois l’intention du législateur et les conséquences de la réglementation sur l’image et la crédibilité de la psychothérapie qui deviendrait ainsi non plus une valeur ajoutée mais une valeur retranchée. Deux exemples :

Laurent LE VAGUERESE, psychanalyste et webmestre du site “œdipe.org“ :
« Précisons tout de même pour ceux (rares) qui n’auraient pas lu durant ces onze ans les multiples versions de la loi, les décrets et leurs commentaires, qui n’auraient pas participé aux assemblées parfois houleuses, aux débats sur Internet …/…, qui n’auraient pas hanté les cabinets ministériels …/…, précisons donc que le décret qui vient de paraître concerne l’usage du titre de psychothérapeute.

En clair, cela signifie que seuls ceux qui souhaitent mettre sur leur plaque, leur papier à en-tête, leur descriptif sur Internet ou sur le bottin le mot «psychothérapeute» sont concernés.

Si vous n’usez pas de ce titre, si vous indiquez seulement «psychanalyste » ou « psychologue » vous n’avez rien à faire de particulier en rapport avec cette loi et ce décret, du moins en l’état actuel des choses. »

François Kammerer, vice-président de l’Association française de psychiatrie et du Syndicat des psychiatres français :
«À nos yeux, c’est notoirement insuffisant. Ce décret va entraîner une déqualification de la psychothérapie et même d’une partie de la psychiatrie ».

Quant aux organisations de “psychothérapeutes“(relationnels, et sans guillemets cela irait beaucoup mieux. PHG) déjà citées, elles ont compris que ce label d’État était une outre vidée de son contenu et s’orientent d’ailleurs vers une autre appellation non contrôlée (9) de leur pratique (cf. les brèves parues sur leur site web).

Éthique : l’inconnue de la scène.

Ce qui est scandaleux, c’est l’absence de positionnement et d’exigence éthiques des organisations de psychologues et des universitaires dans cette affaire, au profit d’un positionnement corporatiste et d’une nouvelle mais éternelle contestation des psychiatres parce que ceux-ci bénéficieraient d’avantages exorbitants. Discuter sur le caractère quantitatif des non-dispenses de la formation spécifique en psychopathologie exigée par le décret devient dans ce contexte une question secondaire puisque la loi instaure une absence totale de formation à la psychothérapie pour accéder au titre et parce que le législateur n’a en aucun cas l’intention d’en définir des critères, en introduisant une confusion entre formation à la psychopathologie et formation à la psychothérapie !


Un psychologue ne peut mettre en œuvre que des modalités d’intervention auxquelles il s’est formé

Le Code de Déontologie des psychologues (même s’il n’a pas valeur réglementaire) précise pourtant qu’un psychologue ne peut mettre en œuvre que des modalités d’intervention auxquelles il s’est formé… mais les psychologues semblent avoir oublié ce principe…

Tromper légalement les usagers

Aujourd’hui, en tant que psychologue formé à la psychothérapie, j’ai honte de la position prise par mes pairs, dans un contexte où la référence à des principes éthiques est inexistante, contexte dans lequel les psychologues s’apprêtent collectivement, avec la complicité de certaines universités, à tromper légalement les usagers sur leur qualification et leurs compétences.

Afin d’éviter cette dérive légalisée, il serait en effet salutaire :

– que les UFR de Psychologie n’organisent pas à l’université cette formation spécifique en psychopathologie requise par la loi en ne candidatant tout simplement pas pour être agréées comme établissement formateur par l’agence régionale de santé ;

– que les psychologues et les médecins ne siègent pas dans les futures commissions d’habilitation qui examineront les candidatures à l’accès au titre de “psychothérapeute“.

Cette stratégie illustrerait le fait que les psychologues et les universitaires en psychologie ont enfin compris qu’il est possible (et légal !) de continuer à exercer une activité psychothérapique en tant que psychologue et qu’ils défendent une véritable position éthique soucieuse de la protection des usagers ; le seul travail de deuil qui leur reste à faire est de renoncer à faire usage du terme “psychothérapeute“ pour désigner leur pratique… mais sont-ils prêts à assumer ce qui apparaît encore pour beaucoup comme une blessure narcissique ?

Assistera-t-on, dans les mois qui viennent, à un sursaut éthique des regroupements de psychologues et des universitaires en psychologie ? Seul l’avenir le dira.