Nouvelle réponse à une vieille question. Yves Lefebvre traite de la loi du législateur et de « la loi morale en nous ». On peut réfléchir sur le thème la loi et le thérapeute, mais pour l’instant nous en sommes à signer la pétition Sauvons la clinique http://www.sauvons-la-clinique.org/, avec nos réserves mais avec la détermination et l’intelligence politique d’aider nos amis psychanalystes en difficulté où qu’ils soient. Le combat change d’âme, il s’agit de soutenir partout l’orientation épistémologique et éthique des tenants de la dynamique de la subjectivité, contre la politique d’élimination par tous les moyens mis en œuvre par l’idéologie scientiste à la québecquoise de nos évaluateurs à tout va.
Ainsi nous assurerons au mieux notre fonction d’ anticorps , dans un contexte où elle sera bien occupée. Ainsi nous pourrons œuvrer moralement et politiquement à la première personne du singulier, comme nous y invite Yves Lefebvre, avec ses références personnelles, en maintenant le lien avec nos collègues et les luttes institutionnelles.
Philippe Grauer
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Patrick Duirat nous demandait il y a quelque temps : « Que vient dire dans la vie du monde de la psychothérapie, la remise en question de son nom par la loi ? » Oh que voilà une bonne question, un peu oubliée devant les urgences et nécessités du combat politique ! Chacun en effet peut se la poser et apporter ses propres éléments de réponse qu’il serait bien intéressant de partager.
Remarquons tout d’abord que ce n’est pas une loi normale qui remettait notre titre en question. C’était une loi qui venait détourner et détruire au lieu de protéger. Elle voulait en effet dérober le titre des psychothérapeutes (relationnels) pour le donner à ceux qui ne sont pas psychothérapeutes (médecins généralistes ou psychologues non cliniciens) ou à ceux qui n’en ont pas besoin et ne l’ont pas demandé parce qu’ils disposent déjà d’un titre suffisamment prestigieux incluant le droit de pratiquer la psychothérapie (psychiatres, psychologues cliniciens et psychanalystes).
La loi introduisait donc de la confusion dans le mélange des titres. Tout cela sous prétexte qu’il y a des psychothérapeutes charlatans, voire même des membres de sectes, comme s’il n’y en avait pas dans les autres catégories professionnelles ! Étrange loi qui, en outre, se prive elle-même d’applicabilité parce qu’elle présente une contradiction entre la notion de membres de droit, c’est-à-dire sans conditions, et des conditions cependant exigibles de tous. Nous sommes donc bien dans le contraire de ce pourquoi il y a des lois. Cela s’appelle un système pervers, système qui dénie l’esprit même des lois.
Je rapprochais ce point de vue, dans l’éditorial du n° 127 d’Actua-Psy titré « De l’envie de détruire « , du concept psychanalytique d’envie tel que le décrit Mélanie Klein, qui consiste à s’emparer des qualités du bon objet pour le détruire tout en le fantasmant mauvais objet. C’est ce que la loi voulait faire aux psychothérapeutes relationnels.
Cela nous invite-t-il à assumer pour notre part et dépasser l’histoire quelque peu incestuelle des Nouvelles thérapies, aux temps créatifs d’Esalen, où la notion de cadre ne s’est mise en place que peu à peu ? Mais aussi à approfondir nos connaissances des systèmes psychiques liés à la perversion ?
Il faut cependant ajouter la dimension collective de la société et son idéologie dominante. Cette volonté de détruire qui vise à terme la psychanalyse, s’inscrit bien sûr dans un contexte mondial qui va vers une gestion de plus en plus fonctionnelle et rentable à court terme au profit d’une vie vouée à la consommation, au service de l’économie de marché. Il faut alors réduire ce qui s’oppose à la marchandisation, donc tout ce qui est quête du sens profond dans la vie de personnes advenant comme sujets libres et autonomes. La religion du Veau d’or a de beaux jours devant elle et cherche à miner tout ce qui va à son encontre. Cet aspect de la loi pourrait nous obliger à un devoir de résistance, nous faisant par ses attaques mêmes « anticorps » d’une pathologie sociale.
Mais nous ne sommes pas seulement pris dans cette évolution mondiale. La loi du législateur nous renvoie à nous-mêmes. Les psychothérapeutes relationnels se sont endormis dans le confort de leurs cabinets, centrés sur la seule relation individuelle, oubliant toute la dimension sociale de leur profession et souvent eux-mêmes très individualistes. Il n’est que voir le peu de cotisants au SNPPsy et dans les autres institutions, le peu de participants aux assemblées, le peu de psychothérapeutes engagés pour la profession ou simplement conscients de la dimension sociétale de leur travail, le peu d’articles et de livres publiés par des psychothérapeutes relationnels. Et la société le leur rend bien, qui les nie à son tour jusqu’à s’emparer de leur nom !
Cependant les plus engagés et conscients de leur rôle social, ont souvent milité pour une reconnaissance professionnelle que donnerait de la loi, plutôt qu’ils n’ont désiré apporter leur contribution originale à l’évolution de cette société. Cette attitude qu’on qualifierait de syndicale se justifie mais porte ses propres effets pervers : les décideurs voient bien ce qu’on leur demande et comment cela déclenche les réactions corporatistes des autres professions, mais pas ce qu’on leur apporte, que seuls les sujets en psychothérapie relationnelle expérimentent dans le secret de leurs séances.
Pierre Trigano ajoute un point de vue intéressant et complémentaire de ces réflexions dans le numéro 98 du journal Réel de décembre 2006. Les psychothérapeutes, au temps des Nouvelles thérapies, issues de la psychologie humaniste américaine, ont cru pouvoir remplacer la vieille psychanalyse avec des méthodes qu’ils croyaient plus efficaces, et moqué la dimension scientifique de la psychologie universitaire considérée comme système mental, mécanisme de défense par intellectualisation. Ils ont rêvé de reconnaissance sociale et de pouvoir, estimant qu’eux seuls étaient les vrais « psychothérapeutes ». Pour Pierre Trigano, ils subiraient aujourd’hui les conséquences du complexe que Jung appelle « l’inflation du moi ».
Reconnaissons donc à Philipe Grauer d’avoir fait bouger les choses dans le bon sens par son concept du carré psy dans lequel les psychothérapeutes relationnels existent à leur place tout en reconnaissant celle des autres, loin de la toute-puissance corporatiste et de l’inflation du moi.
Il reste enfin, tout de même, la question des « charlatans » qui sert de prétexte à une loi elle-même charlatanesque. De fait, malgré l’autoréglementation initiée par le SNPPsy, beaucoup de gens diplômés ou non se sont autoproclamés « psychothérapeutes »au sens générique du terme, sans avoir effectué de travail sur eux-mêmes suffisant ni suivi de formation plus approfondie que l’acquisition d’une simple technique. Un psychologue enseignant chercheur s’en prend aux psychothérapeutes relationnels dans un article plutôt misérable publié par les psychologues freudiens où il cite le cas d’une psychothérapeute qui déclare être directement inspirée par la Vierge Marie, ce qui fait fort peu scientifique. La belle affaire !
On connait tout aussi bien des psychologues diplômés de l’université, des médecins titulaires d’un doctorat très officiel, des psychanalystes membres d’une société se reconnaissant comme parfaitement orthodoxe et sérieuse, à qui il arrive de délirer, qui sont d’habiles pervers manipulant leurs clients, ou qui sont à la fois sincères, naïfs et incompétents, ou encore qui perçoivent le monde à travers un système religieux ou philosophique parfaitement honorable mais qu’ils mêlent à tort au champ de la psychothérapie. Quoi qu’il en soit, on n’attaque pas l’ensemble du corps médical au motif que le gourou du Temple solaire était médecin.
La seule façon de lutter contre le charlatanisme des autres est de l’être de moins en moins soi-même, en développant la philosophie éthique et en se perfectionnant sans cesse. Là encore, on trouve un signifiant de la loi qui nous invite à continuer notre propre évolution et développer nos compétences. À cet égard, les cinq critères du SNPPsy et son code de déontologie peuvent servir de modèle pour tirer la profession de psychothérapeute relationnel vers plus de qualité, vers l’excellence comme on dit de nos jours. Le fait de se soumettre à des critères autres que l’inflation de son propre moi ou le paravent de son diplôme pour s’autoriser l’usage du titre générique de psychothérapeute ne peut que contribuer à la diminution du nombre de charlatans et, s’il doit y avoir une loi, c’est plutôt dans ce sens qu’elle serait utile.
En écoutant ces signifiants qui viennent nous interpeller, notre réponse personnelle, notre évolution et notre engagement contribueront à coup sûr à l’évolution de la loi, au moins autant que les démarches politiques qu’entreprennent nos institutions.