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16 janvier 2007

Du fort au faible Michel Randolph

Michel Randolph

Il y a des attaques dites, en langage stratégique militaire, du fort au faible, dont les éléments constitutifs sont : la garantie de posséder les moyens d’une réussite complète, la surprise, l’absence de tout droit d’échange et d’écoute octroyé à la culture ciblée, l’arrogance d’un pouvoir qui s’exerce sans limites, n’ayant à soumettre la légitimité de ses actes à personne. Le coup de force parlementaire mise en acte par messieurs Accoyer et Dubernard, Madame Gallez et M. Fagniez ce jeudi 11 janvier est de cette nature. On ne discute pas sérieusement avec qui que ce soit. On décide, à quatre, du changement radical d’un pan particulièrement sensible de la vie intime des citoyens français que ces élus sont censés représenter. On le soumet à une majorité parlementaire largement mise en garde contre toute apparence de division dans les rangs au moment de passation des pouvoirs à trois mois des élections. On insiste lourdement, par là même, auprès d’hommes et de femmes extrêmement nombreux qui cherchent clarification, cohérence, stabilisation de leur vie et maturation émotionnelle dans leur démarche psychothérapeutique, sur l’image d’une profession elle-même immature, dévergondée, dangereuse précisément au cœur de la recherche d’individuation qui serait son but privilégié. On dénonce et démasque cette meute d’imposteurs à laquelle impérativement attribuer un tuteur médical et universitaire — heureusement incarné par nos duettistes spécialistes providentiels, Bernard Accoyer et Jean-Michel Dubernard.

Ce qui s’est passé jeudi ne peut être compris sans lire la lettre que ces Messieurs Accoyer et Dubernard ont adressé au Premier ministre Dominique de Villepin, le 13 décembre 2006. Il y a de quoi être stupéfait, dans une démocratie parlementaire moderne, devant le déploiement de phrases dignes des torchons dénonciateurs de l’époque de Vichy. « Nous connaissons, » avancent-ils, « malheureusement, l’influence de cette mouvance« . Qui sommes-nous, à leurs yeux, tous ces psychothérapeutes et psychanalystes embarqués apparemment dans une mouvance, dont les pratiques « habituelles » consisteraient en l’utilisation de « pressions et manipulations« ? Qui est cette cinquième colonne au cœur de la république dont « le nombre des victimes augmente chaque jour un peu plus« ? Il est clair, de toute façon, qu’il s’agit d’un fléau à la limite de l’expression du verbe, car aucune tentative n’est faite de joindre quelque parole descriptive à une telle horreur. Où rencontre-t-on de telles tournures rhétoriques dans le passé ? Dans n’importe quel système dictatorial construit sur l’utilisation de la paranoïa comme moyen de refuser le droit aux individus de se penser et de se diriger. Il est intolérable dans une démocratie moderne, en revanche, de se trouver soumis à des changements sociétaux fondamentaux opérés par fiat commissionnel issus d’un tel pot-pourri de superstitions et de préjugés personnels mal dégrossis.

En insistant sur l’importance, dans sa décision, d’agir vite plutôt que d’attendre le résultat de consultations interministérielles sans fin, en encourageant des associations de victimes au fonctionnement obscur, l’auteur de l’amendement met en place une stratégie déterminée. La psychothérapie et la psychanalyse se trouvent sournoisement mais spectaculairement identifiées au monde des sectes. Alors qu’au contraire, bien entendu, l’univers de la psychothérapie relationnelle et de la psychanalyse protége le citoyen et la famille des tentatives d’accaparement et d’aliénation psychologique du fanatisme et de l’emprise des sectes. Aucun effort n’est fait pour distinguer les deux, aucune parole ne vient nuancer l’expression d’une congruence entre ces deux univers. Cette identification parfaite sortie du chapeau de M. Accoyer lui appartient et à lui seul. L’incrimination par simple juxtaposition représente un aspect tactique de ce même monde glauque et sectaire que notre bon député se vante de vouloir décapiter.

Le remède est aussi hallucinant que le diagnostic : l’université ! Si les anciens persistent et signent, ils auront droit à un passage éclair devant des commissions départementales constituées de médecins qui auront trop à faire ainsi que de psychologues qui n’en auront sans doute pas assez. L’université, ce havre de formation heuristique où l’engagement créatif et critique dans la cohabitation de multiples courants dont, partout dans le monde, la psychothérapie contemporaine constitue un modèle, fait en effet référence. Sauf en France. Si une telle vision semble si éloignée de la réalité dans ce pays, on est forcément conduit à s’inquiéter devant l’essor partout en France de facultés de psychologie où la mise en place de programmes qui permettent la plus rassurante simplicité (faisant valoir, ensuite, leur indéniable objectivité) au moment du marquage des examens, semble prendre le dessus sur tout autre considération. Que ces programmes soient en général liés à l’enseignement de méthodes psychothérapeutiques cognitives et comportementales est sans doute dû au hasard …

Alors, le guillotinage d’un pan entier d’anthropologie et de sciences de l’homme, d’une tradition de psychothérapie et de psychanalyse dite psychodynamique ? Un enterrement troisième classe à côté du Mandarom et du Temple du Soleil ? On n’aurait pas cru cela possible il y a encore quelques semaines. M. Accoyer en a décidé autrement, apparemment prêt à prendre sur lui sans ambages le sobriquet de « bourreau de la psychothérapie relationnelle et de la psychanalyse ». Car, ne nous méprenons pas, il s’agit bel et bien d’une tentative de marginaliser définitivement le monde de la psychothérapie relationnelle et de la psychanalyse, l’univers psychodynamique dans son entier, et de s’assurer qu’il n’y aura pas de descendants. Cela s’appelle une stratégie de la terre brûlée avec malédiction jusqu’à la cinquième génération.

Nous voici entraînés, complètement contre notre gré, dans une sorte de concours de cauchemars. Celui de M. Accoyer est d’un monde subverti par des pervers sectaires, un monde à la Jérôme Bosch où, derrière la porte accueillante du psychothérapeute relationnel ou du psychanalyste sévissent des monstres grotesques et affamés prêts à tirer l’innocent patient vers l’enfer. Notre cauchemar est très précisément ce que préconise M. Accoyer pour se réveiller du sien : une profession mise en probation, sommée de se reconstituer autour du dénominateur commun le plus faible (nous y voilà !) et d’abandonner la richesse de la diversité en son sein. Il entend imposer une profession insérée de force dans un cadre où « l’efficacité » sera mesurée par le pourcentage de déviance d’une norme, en minutes de traitement préétablies pour ce diagnostic précis, tout diagnostic jouissant par définition dans ce système de la présomption d’une précision totale.

Ernst Jünger écrit qu’une erreur ne devient une faute que lorsqu’on ne veut pas en démordre. M. Accoyer est en faute, il ne s’agit nullement d’erreur. Il a montré son mépris absolu pour des procédures parlementaires dignes de ce nom en faisant passer sa loi sur la psychothérapie il y a trois ans alors qu’il n’y avait qu’une quinzaine de députés dans l’hémicycle. À l’époque, M. Accoyer a rétorqué : « — Je n’ai pas besoin de leçons de démocratie« . Eh bien si ! M. Accoyer, vous avez bien besoin de leçons en démocratie, ainsi que, plus grave encore, vous manquez de l’honnêteté de ne pas faire passer acharnement pour compassion, ni l’obsédant désir d’avoir gain de cause pour un souci de protection de vos frères et sœurs humains. Être représentatif d’électeurs ne veut pas dire usurper la confiance commune au service d’une guerre de préjugé et d’orgueil.

Nous nous trouvons maintenant le dos au mur. Il va bien falloir lutter contre ce non-sens, contre cette mise au ban de la psychothérapie relationnelle et de la psychanalyse, contre ce vandalisme et cette destruction de ce que nous avions imaginé comme une fine fleur de la tradition humaniste sur laquelle notre culture s’est construite. Il va falloir savoir pointer toutes les erreurs d’appréciation qui nourrissent cette paranoïa à notre égard. Il va falloir oublier les velléités d’insaisissabilité dans notre communication qui nous talonnent depuis toujours. Il va falloir admettre que l’on ne peut plus « décider de ne pas être de cette fête, de cet échange ». Le fort vient de nous montrer, avec un dédain absolu pour toute règle du jeu, pour toutes les articulations civilisées qui font tourner « la machine » de notre culture, ce que c’est que la force majeure. À nous de montrer ce que c’est que la patience de ceux qui savent qu’ils sont engagés dans une profession profondément sensée au coeur d’un monde guetté par l’insensé, que cette patience finira par forcer, à son tour, le respect qui précède la reconnaissance.

Lorsque le fort ne met même plus des formes pour cacher son évaluation du rapport de force, c’est au faible de réagir en montrant, comme disait Mark Twain commentant l’annonce de son propre décès, que les rumeurs sur sa faiblesse sont exagérées, que l’on va devoir compter avec lui, et que la psychothérapie relationnelle et la psychanalyse ne vont pas se laisser enterrer de sitôt.

Michael Randolph, 15 janvier