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20 février 2008

Échos du forum des psys — suite François Ansermet, Roland Gori, Jacques-Alain MIller, Jean-Claude Maleval, Philippe Mérieux

François Ansermet, Roland Gori, Jacques-Alain MIller, Jean-Claude Maleval, Philippe Mérieux

Voici la suite annoncée aux {Premiers échos, à quoi il manque l’écho disparu de la seconde après-midi, la contrainte existentielle bien connue de l’imperfection nous ayant privé des notes nécessaires. Nous produirons éventuellement ultérieurement une suite à la suite si cette lacune venait à se trouver comblée. Le verre étant à moitié plein nous espérons qu’il motivera nos lecteurs à participer au prochains forums, à venir au même lieu et avec le même enthousiasme studieux, le 29 mars après-midi prochain, c’est bientôt !}

Philippe Grauer


Au sommaire de cette page

François Ansermet, Les butées de l’inattendu
Roland Gori, Un dispositif administratif d’exécution de masse
Jean-Claude Maleval, L’évaluation explose
Philippe Mérieux, l’École mise au pas
Jacques-Alain Miller, les petits producteurs indépendants de savoir

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Les butées de l’inattendu , selon le titre que François Ansermet donne à sa communication, inversent la perspective. La politique du tout cognitiviste, génétique et statistique bute sur les dimensions inattendues qui font de la psychanalyse paradoxalement l’avenir de ces sciences. Il y a là un pari à soutenir. Même les normes des commissions d’éthique ne permettent pas de saisir le particulier. On bute sur l’impensable l’irreprésentable, l’incertain, l’infini de ce qui ne peut pas être prédit. Au-delà la contingence s’impose, à quoi est sujet le sujet.

L’évaluation n’est jamais que l’explication rétrospective de ce qui était imprévisible, permettant de ne sélectionner que ce qui cadre avec ses théories, il continue de manquer la science de l’incertitude, de l’imprévu. Or, au service de l’irréductible singularité on rencontre précisément la psychanalyse. Aux yeux de laquelle nous sommes génétiquement déterminés pour être libres. La plasticité s’inscrit aussi dans la discontinuité. Contrairement au présupposé du DSM, la réalité n’est pas seulement continue. Les sciences humaines cliniques introduisent nécessairement la labilité, en même temps que des éléments de discontinuité, de liberté. Qu’on pense chez Lacan au caractère évanescent de la trace, jusqu’au nœud.

Discontinuité d’où procède le sujet, sur laquelle butent les sciences inhumaines. L’incontournable de la singularité, la discontinuité dont s’empare le langagier, telles se présentent les spécificités qui sont les nôtres. Avec Foucault relayant Canguilhem, nous affirmons que c’est l’erreur qui constitue la caractéristique de la vie. La vie est fondamentalement à sa place quand on la considère comme vouée à se tromper.

Nous tenons avec la psychanalyse une enclave d’inattendu dans cette marée de prédictible et de réductible dont nous devrons assurer le maintien, à laquelle nous pouvons prédire un bel avenir.

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Un dispositif administratif d’exécution de masse . Roland Gori, responsable du SIUEERPP, les 240 professeurs en charge de la psychopathologie à l’université, ce qui rime avec psychologie clinique, laquelle est une sorte de sous-marque universitaire de la psychanalyse à l’intention des psychologues cliniciens, Roland Gori lanceur de la pétition Sauvons la clinique qui réunit tout de même pas loin de la dizaine de milliers de signatures, mais, grande première en France, n’est pas reçu par sa ministre de tutelle lorsqu’il veut l’entretenir d’une situation qu’il sait critique, Roland Gori n’y va pas par quatre chemins.

Il dénonce l’arrogante et imbécile chaîne de violence administrative qui permet la déresponsabilisation des exécuteurs, permet d’obéir, comme dans l’expérience de Milgrand, aux ordres idiots et inhumains. La république démocratique des travailleurs de la preuve dont parle Bachelard en a pris un coup avec ce dispositif en vue de la normalisation sociale des professeurs qui vise à un pouvoir qui traite l’homme en instrument.

Avec les psys comme agents de sécurité des comportements. On oublie parfois de remettre en cause les principes dont ces pratiques se prévalent, note-t-il, évoquant pour mieux en pénétrer la logique l’historique d’une partie qui dure depuis 1947, avec Lagache et la pseudo unité de la psychologie. On voit depuis cette époque les cliniques de l’intersubjectivité s’opposer aux sciences de la vie. On voit aussi en psychologie les cliniciens fournir les gros bataillons pendant que les scientistes n’intéressent qu’un petit nombre à leur vernis.

Il s’agit dans le mouvement actuel de promotion mondialisée du cognitivisme d’aligner sur critères états-uniens la psychologie clinique européenne. Nous demander de collaborer à une telle politique c’est nous demander de collaborer à notre disparition. Au nom du modèle anglo-saxon, on veut bien continuer de jouer avec nous à condition qu’ils annoncent eux les atouts. Collaborer à une telle politique aboutirait à invalider les critères auxquels nous croyons. Cela permettrait de transformer un rapport de forces en rapport de légitimité.

Or ce dispositif assure la promotion d’un modèle anthropologique, le modèle Google, de la Google Civilisation . Il lui suffit d’un dispositif qui mesure tout et n’importe quoi. Il importe et c’est vital pour nos valeurs, de ne pas leur laisser définir les unités de mesure.

Déjà du côté des sciences dures, on entend se lever des critiques sérieuses. On veut nous faire croire que des critères commodes sont des lois, des lois qui vont conduire à classer des anormaux. Nous sommes là face à la question de l’anthropologie. Face à un problème d’éthique donc. Valider une science sur des normes appuyées sur des concepts en fait auto validés, rappelle le Comité national d’éthique, n’est pas recevable.

Or ce qu’on nous propose n’est pas une science du tout. Il est nécessaire de prendre en compte que l’évaluation biométrique mériterait une critique. Qu’on se souvienne de ce que Pierre Joliot disait à ce propos : au fait il disait quoi Pierre Joliot ? vous le saurez en lisant le compte-rendu intégral de la communication de Roland Gori dans le Nouvel âne . Cette page de publicité est due à une carence de prise de notes à un moment où l’orateur accélérait son débit.

Il poursuit, développant que les plus conformistes ou les plus cyniques seraient les champions de ces critères bureaucratiques, parlant l’idiome informatique type Google, construisant sous nos yeux une civilisation néolibérale, dans laquelle l’opinion vaut vérité. Dans laquelle en matière de sciences sociales et humaines le modèle académique vient de son impact d’opinion.

Pour conclure qu’ici plus qu’ailleurs une éthique de l’évaluation s’impose. Si l’on ne veut pas que « la science » soit le nouvel opium du peuple, il nous faut nouer et recomposer de nouvelles alliances.


Du dialogue qui s’ensuivit, au cours duquel Roland Gori répondit à Jacques-Alain Miller qu’il ne dirigeait de troupes votant d’une seule voix mais présidait seulement à un groupement de 250 personnes qui décideraient de façon autonome, nous retiendrons ce propos de ce dernier :

Les clivages moisis seront-ils surmontés ? nous avons eu des divergences mais les bonnes volontés se retrouvent à ce moment crucial. Les rapports d’évaluation de l’AERES seraient remis en mars paraît-il. Si Valérie Pécresse se prononce sur ces rapports, si les extrémistes de l’évaluation qui souhaiteraient que leurs conclusions soient décisionnelles — ce qu’elles ne sont pas à ce jour, si Valérie Pécresse donc se prononçait, en femme intelligente et sensible ayant déjà refusé de faire « bouffer de la Ritaline » à ses enfants, évitant de rester dans l’Histoire comme la liquidatrice de la psychanalyse dans notre pays, je dirais que la psychologie clinique et la psychopathologie, que le Département psychanalyse de Paris 8, devraient s’en tirer.

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Pour Jean-Claude Maleval l’évaluation explose . Le geste décisif se situe dans le choix de la méthodologie employée. Issue des sciences dures, qui exclut l’obscur, fait l’impasse sur la subjectivité, la méthodologie évaluationniste procède par inscription par contrats déterminés par des agences de moyens style AERES.

L’anti-intellectualisme au plus haut niveau, est la conséquence de la subordination à l’économique qui fragilise la recherche littéraire et en sciences humaines. Et l’incitation à poursuivre dans cette voie s’adresse jusqu’à des champs disciplinaires bien éloignés des sciences dures. Dans une telle perspective on privilégie la recherche menée au coup par coup.

Le calcul purement bibliométrique, les anglicistes s’y opposent. Seulement voilà, lire les travaux des chercheurs apparaît aux yeux des évaluateurs comme une impossible tâche. Alors on voit le directeur de l’AERES promettre d’affiner les instruments de mesure, de mettre à disposition la moulinette d’évaluation conçue sur mesure pour évaluer … la psychologie cognitive.

Quand comprendra-t-on que méthode expérimentale et méthode clinique constituent deux polarités opposées inhérentes au champ même de la science ? que la démarche nomothétique appréhende l’universel et l’idéographique le particulier. Prétendre qu’il n’existe qu’une seule méthode ne relève pas de la science mais du scientisme. Mais comment définissent-ils la science ces experts ? Les sciences de l’homme sont loin on le sait de satisfaire les critères de vérifiabilité objective ne cours dans les sciences de la nature, qu’on arrête de nous opposer Popper.

Et qui les a fait experts ces experts ? alors qu’en médecine on assiste au retour en force des études de cas, dont la valeur probante, le potentiel heuristique et pédagogique sont sans pareilles pour communiquer la valeur pratique, difficile à partager autrement.

Face à cette réalité on poursuit l’étude de dossiers en fonction de grilles formelles. Les publications scientifiques dans les revues anglo-saxonnes nous renvoient au DSM, coupant le symptôme de tout dynamisme psychique. Cela a généré d’énormes problèmes quant à la validité de leurs diagnostics. Les cliniciens sont sommés de présenter leurs travaux dans ce cadre épistémologique dont ils contestent la pertinence. Les enseignants chercheurs publient dans des revues qui récusent leurs hypothèses. Il suffirait de publier là où ils sont les bienvenus. Il faudrait parler de revues cliniques monoréférencées et non cognitives abusivement dites pluriréférencées.

Si au rapport de force le chercheur ne cède pas, il ne reste plus à l’expert qu’à constater son insuffisance, et éradiquer les enseignements qui lui sont associés. Nous le savons, chacune de nos sous-disciplines est inaccessible aux autres. Ça n’est pas grave, comme nos collègues cognitivistes vivent en familiarité avec science dure, ça les rend « omnicompétents ».

La psychologie est en réalité presque aussi morcelée que la médecine. Or en médecine existent deux ou trois sous-sections ou sections. Si sa composante humaniste se trouve réduite au silence, voici qu’elle sombre dans la gestion. Janet propose une scission, la rupture de l’unité de la psychologie. Il n’a pas tort de dire la nomenklatura de la psychologie frileuse. D’où vient la prudence des universitaires cliniciens ? du silence du cabinet, de la focalisation sur le danger de leur marginalisation ?

Les cognitivistes veulent garder le titre. Cela constitue une attaque à la liberté de choix des modèles théoriques que l’université jusque là garantissait à ses chercheurs.

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Philippe Mérieux avec l’École mise au pas témoigne à son tour. Mes thèses ont été instrumentalisées par technocratie éducative. J’ai été le pédagogo d’Allègre confie-t-il. J’ai dit en 1970 que les modèles théoriques devaient côtoyer le domaine de la clinique. On peut parler de pédagogie quand sont tenues ensemble ces deux positions contradictoires : tout le monde peut apprendre mais nul ne peut contraindre quiconque à apprendre. Ce qui fait de la question du sujet une question centrale.

La didactique, l’apprentissage mécanique, n’est pas la pédagogie rappelle-t-il. Or face à la didactique est apparue une sociologie hégémonique, épistémologiquement déterministe et politiquement opportuniste. Je fais partie de ceux qui ont élaboré des référentiels de compétence — tableaux de bord et non outils de pilotage. La recherche d’indicateurs est une forme d’hygiène mentale mais ne réduit pas un métier à la somme des compétences qui permettent de l’exercer. Jamais nous ne devons perdre de vue une autre scène où le sujet du désir trouve son positionnement par rapport au savoir.

Nous avons vu la compétence s’élever jusqu’à la logique du « socle commun » qui réduit la formation de l’élève à une usine à gaz qui sert de cache-misère à l’absence de projet culturel pour notre école. La question du sujet s’y trouve dissoute dans la multiplicité de compétence où nul ne peut se mettre en jeu ni en je.

Cela risque de changer radicalement notre système éducatif. Étendre à l’École primaire les palmarès, outils prévus pour éclairer les stratégies individuelles cela dynamite la notion même d’institution scolaire. l’École devient un service , se mesurant à la satisfaction et non à sa force pour incarner les valeurs, à sa mission de transmission des savoirs et d’émancipation des personnes.

Dans cet univers de service, les individus se promènent à la recherche du meilleur rapport qualité / prix. L’évaluationnite technocratique étant là pour permettre aux consommateurs d’école de s’y retrouver dans la montée de l’institution scolaire ultralibérale. On s’y souciera d’indicateurs liés aux « performances » des enseignants, dans le cadre d’une évaluation qui telle qu’instrumentalisée aujourd’hui, véritablement fait voler en éclats la notion même de projet éducatif.

Par ailleurs dans le domaine médical l’échec scolaire devenu une maladie échappe à toute logique d’accompagnement de l’élève pour surmonter ses difficultés.

Résumons-nous, si l’on veut évaluer il faut se demander à quoi on compare quelque chose. À bien y réfléchir l’évaluation présente toujours un côté arroseur arrosé, elle désigne essentiellement ce qui a de la valeur pour l’évaluateur.

Cela nous rappelle que cela rime avec le mot d’ordre de Jacques-Alain Miller en 2003 et suivantes aux premiers forums des psys : « évaluons les évaluateurs ! « 

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Le même Jacques-Alain Miller reprend, s’interrogeant sur les petits producteurs indépendants de savoir . Après tout ni Descartes ni Spinoza ni Malebranche ne furent des universitaires, pas davantage que Schopenhauer, Sartre ou Bernard-Henri Lévy, non captés par l’académie. On peut observer que le noyau dur de la psychanalyse lui reste également extérieur.

Pas nécessairement asservis au dispositif universitaire, surtout si les choses tournent à la servitude, nous pouvons poser la question de fond, qu’en est-il de l’utilité sociale de l’université ? qui a rappelons-le à certains moments constitué une puissance obscurantiste.

À quoi Isabelle This répond quand même il existe une spécificité universitaire pour la recherche en sciences dures, où l’on rencontre les problèmes de financement. Il y a là une contrainte inévitable. L’université devenant inhabitable, on en arrive à l’impasse.

Philippe Mérieux oppose pour conclure à l’assujettissement à la logique marchande l’engagement citoyen.


Manquent deux interventions marquantes. Une dénonciation en règle du cognitivisme, et l’intervention de Vincent de Gaulejac, très appréciée de l’auditoire, qui reprend la communication que nos étudiants connaissent bien, faite à la Journée d’Étude de l’AFFOP sur la psychothérapie relationnelle.