Né a Asnières le 22 juin 1941, Edouard Zarifian est mort le 20 février à son domicile d’Ouistreham (Calvados) des suites d’un cancer généralisé d’origine pancréatique. Jusqu’au bout, ce grand clinicien avait suivi, en toute lucidité, l’évolution de son mal, prenant soin de son entourage plus que de lui-même, comme il l’avait toujours fait avec ses patients.
Élève du psychiatre Jean Delay (1907-1987), il s’orienta après ses études de médecine vers le courant de la psychiatrie biologique tout en se sentant l’héritier de la tradition phénoménologique et après avoir suivi une cure psychanalytique pendant deux ans.
Édouard Zarifian pensait sincèrement, alors, que les progrès des neurosciences et de l’imagerie cérébrale apporteraient une solution quasi définitive au traitement de la maladie mentale. Aussi devint-il un excellent spécialiste de biochimie et de pharmacologie.
Titulaire de la chaire de psychiatrie de l’université de Caen à partir de 1984, il occupa donc une place centrale dans les débats qui opposaient les partisans de l’approche psychique à ceux de l’approche cérébrale, soutenant que la croyance en un psychisme sans cerveau était aussi erronée que la conception scientiste d’un cerveau sans psyché : « Écoute-moi, toi mon semblable, mon frère. Tu as peur parce que tu te crois faible, parce que tu penses que l’avenir est sans issue et la vie sans espoir (…). Pourtant tu as d’authentiques paradis dans la tête. Ce ne sont pas des paradis chimiques . »
De fait, Zarifian comprit qu’il avait fait fausse route et que l’orientation purement biologique et comportementale prise par la psychiatrie mondiale avec les différentes versions du DSM (Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux) était une catastrophe pour la psychiatrie elle-même, puisqu’elle éliminait l’écoute de la souffrance du sujet pour ne s’intéresser qu’à la chimie du corps.
C’est la raison pour laquelle il se rapprocha de la psychanalyse, formant avec Pierre Fédida, dont il fut l’éditeur, et avec Roland Gori une solide équipe universitaire — les « trois mousquetaires » —, attachée autant aux vertus de la vraie science biologique qu’à une vision freudienne de l’homme.
Mondialement connu, notamment dans le monde anglophone, auteur de plus de 450 publications et de nombreuses émissions documentaires pour la télévision ainsi que d’une dizaine d’ouvrages qui sont des best-sellers, responsable chez Odile Jacob de la collection « Santé au quotidien », Zarifian n’eut de cesse depuis la publication des Jardiniers de la folie (1988), puis de tous ses autres ouvrages ( Des paradis plein la tête, Le Prix du bien-être, La Force de guérir ), de militer pour une approche humaniste et plurielle de la souffrance de l’âme.
LE PLAISIR DE L’EFFERVESCENCE
Chargé de mission en 1994 par la direction générale de la santé, puis par Simone Veil et Philippe Douste-Blazy l’année suivante, il fut l’initiateur d’une formidable réévaluation de l’utilisation de la pharmacopée en France, ce qui lui valut des haines tenaces dans le milieu médical, avec notamment la publication en 1996 d’un ouvrage qui fit grand bruit : Le Prix du bien-être. Psychotropes et société. Il y démontrait, preuves à l’appui, l’inefficacité de la plupart des traitements chimiques quand ils étaient délivrés de manière abusive et à la place d’autres approches : cure par la parole ou psychothérapie relationnelle.
Mélomane, collectionneur et bibliophile, mais aussi amateur de vins et de cigares et fin gastronome, Édouard Zarifian collaborait à de nombreuses revues de cuisine et il était membre de l’Institut de la vigne et du vin de l’université de Bordeaux.
Dans La Bulle de champagne (Perrin, 2005), il rendait hommage au moine bénédictin Dom Pérignon, qui avait su inventer, à force de travail et de créativité, un fabuleux plaisir de l’effervescence pour le plus grand bonheur des hommes. Le champagne est un mythe, disait-il en substance, aussi puissant que le mythe fondateur attaché à Philippe Pinel délivrant les fous de leurs chaînes.
C’est ce mythe et cette effervescence, « semblable à l’écume des vagues « , qui resteront gravés dans la mémoire de ceux qui sont aujourd’hui les héritiers du combat mené par Zarifian.
In LE MONDE | Samedi 24 février 2007