RechercherRecherche AgendaAgenda

Actualités

Revenir

13 avril 2007

Élisabeth Roudinesco : « Ne politisons pas la génétique » Élisabeth Roudinesco

Élisabeth Roudinesco

TEXTE INTÉGRAL

Qu’il parle de gènes ou qu’il prétende réinventer le vieux
débat sur l’inné et l’acquis, à coup de références à la plasticité
cérébrale, Nicolas Sarkozy, sur le fond, n’a pas changé d’avis. Il continue
à croire que la pédophilie et le suicide — et pourquoi pas l’homosexualité,
la turbulence infantile, le génie créateur ou nos bonnes vieilles névroses?
— résulteraient d’une disposition génétique. Il a l’air de ne pas se soucier
d’avoir désormais contre lui les représentants de l’Église catholique, les
généticiens et les humanistes athées ou chrétiens.

Les uns pensent que si un pédophile est ainsi désigné par ses
gènes, on le transforme en un être irresponsable, inapte à être jugé ou
sanctionné. Les autres soulignent au contraire qu’en se réclamant d’un tel
déterminisme, on méprise la philosophie des Lumières qui a toujours affirmé
— de Diderot à Hugo — que le pire des hommes pouvait être rééduqué par la
raison. Et que, même si ce n’était pas le cas, aucun homme n’avait le droit
de se faire le bourreau d’un autre homme au point de vouloir l’éliminer de
la société humaine, soit par la peine de mort, aujourd’hui abolie en Europe,
soit par une quelconque politique d’eugénisme.

Qu’un candidat à l’investiture suprême puisse parfois se montrer
impulsif, cela est pardonnable dans le contexte d’une campagne où il est
lui-même stigmatisé de façon scandaleuse par la famille Le Pen, en tant que
fils de l’immigration. Mais rien ne saurait excuser l’arrogance avec
laquelle il revendique une opinion absurde. Il n’a pas soutenu par exemple
que telle ou telle maladie mentale — autisme, schizophrénie, etc… — puissent
relever d’une prédisposition génétique, ce qui fait débat aujourd’hui. Non,
il a choisi deux catégories d’actes — la pédophilie et le suicide — qui
n’ont rien a voir l’un avec l’autre mais qui ont pour seul point commun de
ne relever d’aucune sorte de prédisposition génétique. Nicolas Sarkozy a
donc réussi le tour de force de récuser, peut-être à l’insu de son plein
gré, les principes de la religion dont il se réclame, l’héritage humanisme
dont il devrait être le garant et le discours de la science dont il ne cesse
de valoriser les acquis, non sans avoir commis l’erreur de croire que l’on
pouvait dépister des traits de délinquance chez les bébés de moins de trois
ans.

Connue depuis la nuit des temps, la pratique de la mort volontaire
a toujours existé dans toutes les sociétés. Et si le mot n’est apparu que
tardivement (entre 1636 et 1734), il a fallu attendre la fin du XIXe siècle
pour que cet acte, considéré comme héroïque dans le monde antique et le
Japon féodal, puis diabolisé par le christianisme, soit regardé, dans les
démocraties modernes, comme une pathologie de type dépressif liée à un
environnement psychique ou social. Certes, le suicide est universel, mais il
a de multiples facettes. Osera-t-on comparer l’attitude d’un Pierre
Brossolette préférant se donner la mort plutôt que de parler sous la
torture, avec l’immonde suicide collectif des chefs nazis dans leur bunker,
choisissant l’autodisparition plutôt que la confrontation avec leurs crimes?
Le suicide d’un adolescent rebelle à sa famille ressemble-t-il à celui d’un
malade incurable qui décide d’en finir avec ses souffrances? Certainement
pas.

Quant à la pédophilie, elle n’a été criminalisée — à juste titre
d’ailleurs — que depuis un siècle. Considéré aujourd’hui comme un pervers
sexuel, le pédophile est certes psychiquement malade. La plupart du temps,
quel que soit son milieu d’origine, il été lui-même abusé par un adulte dans
son enfance, violé ou maltraité. Mais il n’est ni fou, ni pénalement
irresponsable (au sens de l’article 122 du Code pénal). Quand on ne croit
qu’à la causalité génétique, on peut jouer les docteurs Folamour, façon
Orange mécanique, et traiter les déviants par des châtiments corporels
(castration ou amputation) ou par des addictions à la normalité :
masturbation obligatoire, pénétrations rééducatives avec des prostituées.
Cela se fait, cela est horrible et inefficace. Mais on peut aussi soigner
dignement, et avec succès, les pédophiles par des psychothérapies qui leur
permettent — sinon guérir de leur perversion, du moins de la contrôler et de
ne pas y céder. Cela n’empêchera jamais l’existence de récidives. La société
sans risques n’existe pas puisque la condition humaine est traversée autant
par sa passion de l’idéal du bien que par son envers : l’amour de la haine.

Nicolas Sarkozy n’est ni antisémite, ni l’adepte d’une quelconque
vieille droite française chauvine et xénophobe, même s’il rêve de la
domestiquer. Il est plus simplement l’imitateur d’une école de pensée bien
connue — le néo-conservatisme extrême — aujourd’hui désavouée par plus de la moitié du peuple américain et par ses élites à cause de son désastre
politique et économique. Aussi bien adhère-t-il à une vision de la société
centrée d’un côté sur l’utilisation policière des communautarismes ethniques
et religieux, et, de l’autre, sur la biocratie, laquelle consiste à
pervertir les données de la science pour faire croire en l’idée qu’une
société pourrait être entièrement nettoyée de ses éléments indésirables :
l’alliance du gourdin et de la belle âme.

Nicolas Sarkozy s’étonne toujours de l’image que la société lui
renvoie de lui-même : “On me dit que je fais peur, dit-il, on me prend pour
un monstre
”. Assurément, il ne l’est pas. Aurait-il peur, cependant, de
l’idée que la peur qu’il croit susciter chez autrui soit à ce point ancrée
dans ses gènes qu’il ne saurait comment y remédier?