Par Yves Lefebvre, titulaire didacticien du Syndicat national des praticiens en psychothérapie — SNPPsy
Ce texte résume les éléments recueillis lors d’une enquête qualitative qui ne porte pas sur un échantillon représentatif mais qui apporte des indications pertinentes sur la position des psychothérapeutes relationnels les plus actifs dans les associations professionnelles, à partir d’interviews personnels et d’articles qu’ils publient.
1/ Les psychothérapeutes relationnels interviewés considèrent que le respect du pluralisme des pratiques, la concertation, la démocratie et l’éthique doivent former les bases incontournables de toute négociation préalable à un projet de réglementation des acteurs de la psychothérapie.
Les procédés cavaliers (!) utilisés par M.Accoyer pour faire passer l’article 52 de la loi du 2 août 2004 et tenter de faire passer ses récents amendements, visant à éliminer les psychothérapeutes relationnels au profit du monopole de l’approche universitaire médicale et comportementaliste, sont jugés comme bafouant tous ces principes.
Par ailleurs les articles du sénateur J.P. Sueur montrant notamment que cette loi est inapplicable parce que deux de ses dispositions se contredisent font l’unanimité, indépendamment des appartenances politiques des interviewés.
Les psychothérapeutes relationnels et les revues et sites consultés demandent unanimement le rejet des récents amendements Accoyer (monopole de l’université pour la formation de praticiens et composition de commissions exclusivement médicales et universitaires pour agréer les psychothérapeutes relationnels). Ils trouvent scandaleux, mais très révélateur des véritables enjeux, que ces amendements soient proposés dans le cadre d’une loi sur les médicaments
Une forte majorité de psychothérapeutes relationnels demandent aussi de surseoir à la parution des décrets d’application de l’article 52 de la loi du 2 août 2004.
Ils apprécient la position que le ministre Douste-Blazy avait prise en ce sens. Ils espèrent qu’un nouveau texte de loi pourra être préparé en concertation préalable avec les associations professionnelles, qui soit cette fois applicable et adapté à la réalité des professions psy. Très rares sont ceux qui pensent encore pouvoir accepter comme un moindre mal un compromis avec le ministère pour un décret dans le cadre de la loi actuelle, même s’il pouvait être un peu moins défavorable aux psychothérapeutes relationnels quant à la clause du grand-père ou au nombre d’heures de psychopathologie, alors qu’ils étaient plus nombreux à le penser après les propositions du ministre lors de la concertation du 7 avril dernier (c’était la 2° version du projet de décret, on en est à la 4°).
2/ Quatre professions se partagent de fait la pratique professionnelle de la psychothérapie.
C’est le concept de carré psy explicité par le président du SNPPsy Philippe Grauer qui fait l’unanimité et tous reconnaissent qu’il rend parfaitement compte de la réalité du monde psy, même s’il y a des passerelles et des cumuls. En effet deux professions ont majoritairement une conception médicale et cognitivo-comportementaliste de la psychothérapie visant à réduire des symptômes : les psychiatres et les psychologues cliniciens (à l’exception de quelques psychiatres et psychologues qui ont intégré la culture psychanalytique). Les deux autres professions en ont majoritairement une conception philosophique qu’on pourrait résumer par la sentence socratique : « connais-toi toi-même et deviens qui tu es », c’est-à-dire une conception non médicale, psychodynamique et humaniste visant à l’appropriation de son état de sujet par la personne elle-même, en rencontrant les aspects inconscients de sa psyché dans une relation transférentielle, assortie ou non de diverses techniques : ce sont les psychanalystes et les psychothérapeutes relationnels (à l’exception de quelques psychothérapeutes purement cognitivo-comportementalistes ; plus nombreux étant ceux qui proposent des pratiques mixtes). Chacune de ces quatre professions a ses propres modalités d’exercice, sa fonction spécifique et son public.
Les psychothérapeutes de ce côté du carré psy se disent depuis peu relationnels d’après un autre concept proposé notamment par Jean-Michel Fourcade président de l’AFFOP et Philippe Grauer, pour se distinguer des psychothérapeutes cognitivo-comportementalistes.
Notons que les psychothérapeutes relationnels déclarent s’être formés sur le tard après avoir validé les acquis de l’expérience, contrairement aux psychiatres et psychologues qui débutent plus jeunes au sortir de l’université. Ils estiment tous que l’expérience de vie est un apport essentiel pour un psychothérapeute relationnel.
La majorité des psychothérapeutes relationnels demandent une place légitime pour chacune de ces quatre professions en tenant compte de leurs propres spécificités, exigences et règles de l’art.
Sur le terrain, ils déclarent coopérer facilement avec les autres professions psy et notamment avec les psychiatres pour les cas difficiles quand la psychothérapie gagne à être complétée d’un traitement médical.
3/ Les principales institutions de psychothérapeutes relationnel approuvent l’idée de réglementer le titre de psychothérapeute.
Certaines comme le SNPPsy ont été actives en ce domaine (proposition de loi Marchand). En attendant, le SNPPsy a autoréglementé la profession de psychothérapeute relationnel sur la base de cinq critères exigeants validés par trente ans d’expérience, repris depuis par plusieurs autres organisations de psychothérapeutes : avoir suivi soi-même une psychothérapie relationnelle ou une psychanalyse suffisamment approfondie, avoir suivi une formation théorique et pratique apte à donner une réelle compétence de praticien, s’engager à respecter le code de déontologie des psychothérapeutes relationnels, s’engager dans une supervision constante de sa pratique, se faire reconnaître par une commission de pairs. Ces critères sont largement reconnus comme les plus aptes à rendre compte de la compétence en psychothérapie relationnelle, bien mieux que les diplômes.
La majorité des psychothérapeutes relationnels demandent qu’il soit tenu compte des cinq critères réclamés par leurs associations professionnelles pour une réglementation du titre de psychothérapeute relationnel, ce qu’ignorent systématiquement l’article 52 de la loi de 2004 et les récentes propositions d’amendements Accoyer, autojustifiés par des présupposés scientistes et des prétextes sécuritaires.
4/ Les principales institutions de psychothérapeutes relationnels approuvent l’idée d’enseigner des bases suffisantes en psychopathologie dans le processus de formation.
Elle est déjà enseignée depuis longtemps dans les écoles de formation privées agréées par ces institutions. Que cette formation puisse se faire en partenariat avec l’université paraît à tous hautement souhaitable. Mais que la seule université ait le monopole de la formation des praticiens est une mauvaise idée parce qu’elle n’en a ni les moyens ni la vocation.
Les psychothérapeutes relationnels contestent le remplacement de leurs cinq critères par le monopole universitaire de la seule psychopathologie médicale.
Ils contestent la place exclusive et tout à fait excessive donnée à la psychopathologie médicale dans les projets de décret, celle-ci n’étant pour eux qu’un aspect utile mais annexe de la psychothérapie relationnelle. Cette proposition apparaît en fait, aux yeux de la plupart d’entre eux, comme une manœuvre pour détruire la spécificité de la psychothérapie relationnelle et l’aligner sur le courant médical et cognitiviste des psychologues universitaires.
5/ La plupart des psychothérapeutes relationnels estiment que retirer leur nom aux psychothérapeutes pour le donner aux psychiatres, psychologues et psychanalystes qui ne le demandaient pas représente une mesure perverse.
Les titres réglementés de psychiatre et psychologue clinicien connus et prestigieux impliquent déjà le droit de pratiquer la psychothérapie et se suffisent à eux-mêmes. Les psychanalystes bénéficiant d’une longue histoire qui a marqué la culture du 20° siècle, pratiquent la psychanalyse et ont souvent refusé de se dire psychothérapeutes ; rares sont ceux qui accepteraient que leur titre de psychanalyste soit réglementé par l’Etat. Pourquoi les mélanger sous un même label psychothérapeute vidé de sens, dont seuls seraient exclus ceux qui s’en prévalaient jusqu’alors ?
Cependant les psychothérapeutes relationnels interrogés ne verraient pas d’inconvénient à partager leur titre avec les patriciens des autres professions psy qui le souhaiteraient, mais par un libre choix de leur part et non pas de façon obligatoire dans des listes préfectorales, et à condition qu’ils satisfassent aux mêmes cinq critères auxquels s’obligent déjà les psychothérapeutes relationnels. Plusieurs font remarquer que c’est déjà le cas : le SNPPsy par exemple compte parmi ses membres des psychiatres, psychologues et psychanalystes ayant satisfait aux cinq critères et préférant se déclarer psychothérapeutes relationnels, ou bien faisant état de leurs deux fonctions qu’ils estiment eux-mêmes différentes.
Les psychothérapeutes relationnels contestent la volonté de mélanger dans les listes préfectorales les médecins psychiatres et les médecins non psychiatres pas du tout formés à la psychothérapie, les psychologues cliniciens et les psychologues non cliniciens pas non plus formés à la psychothérapie et les psychanalystes de toutes obédiences légitimes ou non sous un même titre « psychothérapeute », que seuls les psychothérapeutes relationnels n’ont plus le droit de porter à moins comme le veut M. Accoyer de retourner sur les bancs de l’université ou de passer devant une commission de médecins et psychologues qui ne connaissent pas leur pratique.
6/ Force et bon sens des psychothérapeutes relationnels
Finalement en conclusion, les psychothérapeutes relationnels paraissent sûrs de leur bon droit, pas du tout démoralisés par la loi « psychothérapeuticide » qu’ils espèrent pouvoir faire abroger. Ils déclarent exister comme profession de fait avec un titre très ancien qu’ils ont refondé depuis presque un demi-siècle et autoréglementé depuis plus de trente ans. Ceux qui appartiennent aux principales associations professionnelles sont bien formés, créatifs et innovants. Ils estiment n’avoir pas démérité et ne se sentent pas concernés par les propos diffamatoires de M.Accoyer. Les éventuels charlatans qui échappent au contrôle des associations professionnelles ne sont pas aussi nombreux qu’on croit et ne justifient pas qu’on pénalise tous les autres ; on aimerait d’ailleurs savoir de quelles officines parle M. Accoyer, de quels abus dénoncés par quelles associations d’usagers, et s’il y eu des procès, lesquels ?
Finalement beaucoup disent : « pourquoi tant de haine ? » mais continuent de croire avec une étonnante sérénité que le bon sens, les réalités professionnelles des psys et le véritable intérêt des personnes en souffrance psychique finiront par l’emporter, que les amendements seront repoussés, que les décrets ne seront pas signés et que la loi sera changée.
Tandis que d’autres se désintéressent non moins étonnamment de la question comme si elle ne les concernait pas du tout. Et si un décret forcément mauvais malgré les tentatives de compromis parce qu’issu d’une mauvaise loi, voyait quand même le jour, avec ou sans amendements Accoyer, ils disent tous qu’ils continueraient leur travail en s’appelant praticiens en psychothérapie relationnelle ou autre synonyme, et se méfieraient du nouveau titre de « psychothérapeute » réglementé d’Etat qui, disent-ils, permettra surtout de légaliser des praticiens diplômés illégitimes, parce que n’ayant pas satisfait aux cinq critères du psychothérapeute relationnel. Parmi ceux que j’ai interrogés, il n’y en a pas eu un seul qui envisageait de se présenter devant les commissions ou de s’inscrire sur des listes préfectorales, ni un seul texte sur aucun site ni dans aucun journal de psychothérapeutes qui encourageait une telle possibilité.
Nous avons donc une loi inutile parce que ceux qu’elle croyait viser s’en sont déjà détournés.
Et tous pensent que les autres professionnels psy ne se précipiteront pas davantage sur les dites listes dont ils n’ont nul besoin. Tel le taureau dans l’arène, monsieur Accoyer n’aurait donc encorné qu’un leurre : son propre fantasme du psychothérapeute visseur de plaques, forcément autoproclamé, charlatan et sectaire ! Certains espèrent encore que le ministre s’en rendra compte comme l’avait fait son prédécesseur et ne tiendra pas à associer son nom à cette stupidité en signant un décret.
Toutefois quelques praticiens en psychothérapie relationnelle craignent que la loi les atteigne indirectement en influençant le public, ce qui rendrait plus difficile la création d’une clientèle pour les nouveaux psychopraticiens relationnels pas formés aux démarches publicitaires et commerciales. Les institutions auraient alors un devoir supplémentaire de communication pour créer une nouvelle image de la psychothérapie relationnelle clairement différenciée du fourre-tout légalisé des nouveaux « psychothérapeutes » préfectoraux.
Je conclus de tout cela qu’il y a chez les psychopraticiens relationnels un saine intelligence et une « force archétypale de l’être thérapeute » comme dirait Jung, sûrement pas scientifiquement mesurable mais qui dépasse de très loin les calculs politiciens ou corporatistes. C’est encourageant.