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1 octobre 2009

Entretien avec Élisabeth Roudinesco Élisabeth Roudinesco

Élisabeth Roudinesco

Pourquoi faut-il remonter au Moyen-Âge pour comprendre comment se pose aujourd’hui la question juive ?

On confond aujourd’hui, sous une même dénomination, des réalités différentes. Le mot antijudaïsme désigne, au Moyen-Âge, une hostilité envers la religion juive. Il est persécuteur et vise à bannir les Juifs ou à les convertir afin d’assurer la domination du christianisme.
Avec la critique de la cosmologie divine, apparaît un autre antijudaïsme qui, de Spinoza à Marx, vise à libérer les hommes de toute emprise religieuse et donc à faire des Juifs des citoyens comme les autres. Cet antijudaïsme prend corps en France avec la loi du 13 novembre 1791 sur l’émancipation des Juifs.

L’antisémitisme s’affirme à partir de 1850. De manière tout à fait différente, il prétend distinguer des « races » et non plus des religions : les Aryens, supérieurs, les Sémites, inférieurs. Il est persécuteur et il intègre l’antijudaïsme chrétien. Il conduira à Auschwitz.

Comment la création de l’État d’Israël en 1948 a-t-elle pesé sur la façon dont les Juifs de la diaspora vivent leur condition ?

Le sionisme est né de l’antisémitisme au moment de l’Affaire Dreyfus. Il mobilise la haine anti-juive pour la retourner en son contraire, en une fierté d’être juif, avec un projet de retour en terre promise. Mais de nombreux Juifs de la diaspora sont hostiles à cette utopie et se définissent comme antisionistes : c’est la cas de Freud qui tout en étant solidaire des réalisations sionistes en Palestine n’est pas favorable à la création d’un État pour les Juifs.

Dans le monde arabe, le geste de 1948 est vécu comme une expropriation dénuée de légitimité. Et du coup, entre Juifs d’Israël et Juifs de la diaspora, de nouveaux liens se tissent, selon que les uns et les autres prennent parti pour ou contre ce nouvel État, ou pour ou contre sa politique envers les Arabes, oscillant entre apologie et anathème. À mesure que la guerre se perpétue, l’islamisme, à travers une autre forme d’antisionisme, devient le vecteur de l’antisémitisme né en Europe mais banni des démocraties occidentales par des lois, après 1945. Le risque est donc grand que s’affrontent, un peu partout, des Juifs orthodoxes et racistes et des Arabes islamisés et antisémites. Ces deux attitudes extrêmes rendent impossible toute tentative de paix fondée sur la raison et la négociation.

Comment expliquez-vous la multiplication des procès en antisémitisme depuis 20 ans ?

Elle est consécutive à ce manichéisme. Plus personne ne sait de quoi il parle et chacun traite son adversaire de nazi, croyant déceler l’antisémitisme là où il n’est pas pour mieux l’ignorer là où il est. En conséquence, la passion se déploie, hors de toute rationalité, notamment sur internet.