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26 septembre 2009

Est-ce ainsi que les hommes vivent à l’hôpital psychiatrique ? Annette Lamielle — présentation par Philippe Grauer

Annette Lamielle — présentation par Philippe Grauer

Annette Lamielle, psychologue clinicienne, fut étudiante chez nous. Elle nous adresse ce texte, pas mal écrit. Devrions-nous instituer un concours national pour deviner de quel établissement il s’agit ? Asile pas mort.

Certains nous demandent parfois en quoi consiste la différence entre la psychothérapie relationnelle et la psychiatrie, nous les renvoyons au Carré psy. Ils ignorent souvent que cette dernière connaît la misère. En voici une image. Que vaut-il mieux, lorsque la maladie mentale s’attaque à nous, être hébergé en HP, où l’on renforce massivement la contention — c’est-à-dire qu’on vous attache —, et apparemment la crasse ; se retrouver au mitard, qui lui se trouve dans les prisons, où l’on a de fortes chances d’atterrir si l’on est givré, ou crècher sur une bouche de chaleur de nos rues, où une autre partie des clients naturels de la psychiatrie se traîne dans l’abjection. Tout cela en plein XXI ème siècle d’une démocratie avancée, comme cela se dit de la pourriture des faisans.

En cette période de chômage ils sont des centaines de milliers à chercher un job. Job lui, se balade un peu partout, devenu fou.

Il existe également des HP propres, cela ne veut pas dire humains pour autant, rien n’est garanti si le pire n’est pas certain. C’est bien connu mieux vaut être riche et bien portant que pauvre et dingue.

Merci Annette pour ce témoignage. Si d’autres ont vécu des expériences psys quelque peu atypiques, après vérification nous nous ferons un plaisir de les publier.

Philippe Grauer


Un monde étrange

« Nom de nom, y’a personne là-dedans, c’est le vrai bordel ! » s’exclame Monsieur Martineau. Le vieil homme presque aveugle traîne les pieds dans ses savates éculées. Il tend les bras, cherchant à toucher quelque chose ou quelqu’un, mais il ne trouve que le vide. Personne ne bouge. Olivier, dans sa chambre, hurle en tapant la porte de ses poings. Ses deux voisins ont quitté les lieux et attendent dans le couloir que cessent les voix que le jeune homme entend. Madame Leroux sort des toilettes en petite tenue, un long morceau de papier w.c. entre les fesses. Elle fonce droit sur Marguerite qui a pris sa place à la table et la menace de sa main levée. Penchée ainsi, elle ressemble à une araignée avec ses membres amaigris. Sa tête est horrible. Son maquillage outrancier sur la peau vieillie par l’âge ,épouvante les jeunes femmes, leur présentant ainsi un miroir de ce qu’elles craignent de devenir.

Mais où est-on ici ? Dans quel cul de basse-fosse vivent ces gens ? La saleté règne partout. Est-on vraiment dans un service hospitalier? Les femmes de ménage sont absentes pendant le week-end et les murs des toilettes sont maculés d’excréments, une large flaque liquide s’étale jusque dans le couloir. Madeleine est arrivé hier soir. Sans l’avertir on l’a brutalement changé de service. Elle est désigné ce matin pour « voir » la psychiatre.

Madeleine hurle sa colère d’être traitée comme un pion qu’on déplace. Madame D. incapable de supporter cela, prends sa pile de dossiers se lève et s’en va ainsi que les infirmiers qu’elle entrainent hors du bureau. Incapable de créer une relation thérapeutique, elle fuit.

Un jeune infirmier stagiaire est arrivé ce matin. Quelle différence avec le service de rééducation fonctionnelle tout neuf qu’il vient de quitter ! Dans quel monde étrange vient-il de débarquer ? Pour les malades c’est un peu le struggle for life et pour les infirmiers c’est un travail devenu routinier. Que peut-on faire dans un service de psychiatrie à part la préparation et la distribution des médicaments matin midi et soir ? Le jeune stagiaire se demande ce qu’il fiche-là. Il se sent impuissant devant la lourdeur du service et l’indifférence routinière de ses collègues.
Cet après-midi, comme d’habitude les patients attendent, attendent, attendent, attendent l’heure du repas, le bon de sortie signé par la psychiatre ou une improbable visite de leur famille.

Les repas sont infects ; le jeune stagiaire s’étonne de voir que le personnel infirmier prend ses repas à part: ainsi ils ne voient pas les violence verbales ou physiques qui finissent en pugilat. Les tables sont mises par les malades, la vaisselle et le nettoyage du réfectoire aussi : c’est thérapeutique dit-on ! La sécurité des patients ne semble pas assurée. Pendant la nuit les soignés se baladent partout. Les sorties et les appels téléphoniques dépendent du bon vouloir des infirmiers. En principe ce service est ouvert, mais en fait une large banderole déclare que « suite à des fugues répétées d’un patient, une fermeture provisoire a été décidée ». Mais comme on le sait le provisoire a tendance à durer.

Ce soir, tout va mal: le personnel infirmier décide d’annuler la réunion avec le psychologue car « il sont en sous effectifs » et le psy est en vacances. La grogne s’installe. Pendant le dîner, Jimmy, un jeune homme impulsif, balance son dessert par la fenêtre du réfectoire. À l’extérieur des dizaines de paires d’yeux luminescents sortent de l’ombre des buissons. Est-ce une manifestation des âmes errantes ou de l’inconscient ? Ce ne sont que les cris de dispute des chats à demi sauvages ; coups de griffes et coups de crocs pour attraper les meilleurs morceaux. On se croirait dans un zoo inversé où ce sont les hommes qui sont enfermés et ont perdu leur liberté.

Le froid étreint le jeune stagiaire quand il sort du service surchauffé. Avant de prendre son vélo, il vomit contre le mur de l’hôpital.