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31 octobre 2018

ÉTAT DES LIEUX DE LA PSYCHANALYSE — LE COURS 2019 D’ÉLISABETH ROUDINESCO À L’E.N.S. RUE D’ULM commentaire par Philippe Grauer

par Élisabeth Roudinesco.

Bouleversement du paysage psy au tournant du siècle, le mouvement psychanalytique, de locomotive culturelle influençant à la fois les arts et la psychiatrie, se retrouve à la traîne d’une psychologie sans gloire, parfois rétréci à un dogmatisme peu engageant. La chimie, l’individualisme consumériste et le "culte du développement personnel", selon l’autrice, auront fait le reste, provoquant la régression actuelle. Le cours de cette année permettra de dessiner les contours de l’univers psychanalytique qu’Élisabeth Roudinesco comprend et explique magistralement, et d’en évoquer les perspectives.


États des lieux

Pour le séminaire de l’année 2019, j’étudierai l’état des lieux de la psychanalyse dans le monde d’aujourd’hui : institutions, formation des praticiens (hommes et femmes et origines sociales). Je montrerai comment cette discipline, qui a dominé toutes les approches psychiques du XXème siècle, en imprégnant toutes les cultures, est perçue au sein des sociétés occidentales (où elle s’est massivement implantée) et dans les pays non occidentaux. Pourquoi est-elle aujourd’hui en régression et appréhendée de façon négative ? Au début du XXIème siècle, un changement considérable s’est produit dans le mouvement psychanalytique qui a été confronté à la puissance de traitements chimiques efficaces, au développement des neurosciences et plus encore à une demande sociale marquée par l’individualisme et par le culte du développement personnel. La psychanalyse est-elle devenue un dogme à force de refuser une modernité globalisée par laquelle elle avait pourtant été portée pendant un siècle ? J’aborderai en outre la question de la réglementation des psychothérapies qui a contraint, partout dans le monde, les praticiens du freudisme à être des techniciens de la santé publique, cantonnés, pour leur formation universitaire, dans des départements de psychologie dont les idéaux sont désormais éloignés de ceux des humanités classiques (psychiatrie, lettres, philosophie, anthropologie)

8, 15, 29 janvier salle 236

12 février salle 235 B

19 février salle 236

12 et 26 mars salle 235 C

2 avril salle 236

16 avril salle 235 B

19 mai salle 236


commentaire par Philippe Grauer

En contre-point, se souvenir de l’avènement concomitant de la psychothérapie humaniste puis relationnelle

en toile de fond l’autre terme de l’alternative

Élisabeth Roudinesco ne manquera pas, comme elle l’annonce, de nourrir de faits et d’analyse son récit des développements de la psychothérapie tout au long des 80 dernières années, dont nous rappelons ici par anticipation quelques traits.

redoublement du ni-nisme

À partir des années 40 surgit, sur fond de déploiement de la phénoménologie et de révolte existentialiste, la psychologie humaniste américaine, se détournant d’une psychanalyse locale ayant choisi[1] la voie médicale normalisatrice et le dogmatisme. Elle devint le premier mouvement ni-ni. Ni psychologues "scientifiques" comportementalistes ni psychanalystes conformistes (Troisième Force), elle constitua un mouvement puissant, centré sur le concept de croissance (Growth). Prise dans la montée de la vague libertaire d’après guerre, elle s’épanouit dans l’alternative des Nouvelles Thérapies (1970). Instituant le mouvement des psychothérapeutes, nouveaux ni-ni, ni psychologues cognitivistes ni psychiatres DSM, ni psychanalystes anti psychothérapie, se revendiquant comme nouvelle profession indépendante[2] (1990, Déclaration de Strasbourg), finissant par créer le champ disciplinaire de la psychothérapie relationnelle (2001). Constituant de fait à l’aube du XXIè siècle avec la psychanalyse psychologisée qui continue dans sa masse d’ignorer cette conjonction, l’axe de la pratique psychique de la dynamique de subjectivation.

Pourtant s’il y eut concurrence il y eut aussi collaboration entre les praticiens des deux champs disciplinaires  structurellement proches par le partage (même incomplet) du principe relationnel. Et ne pas oublier l’épisode intermédiaire de la Coordination psy (2004-2009).

reprise en main médicale

Sur la scène politique psy française, en accord avec la globalisation, l’Académie de médecine ayant repris la main en France (2002), procéda avec l’alliance des psychologues (y compris les psychologues-psychanalystes[3]) au repartage du gâteau psy, s’efforçant d’en écarter les nouveaux venus, qui purent se réorganiser dans le cadre de leur autoréglementation à partir de leurs quatre organisations historiques responsables autour d’un nouveau vocable.

Et pendant ce temps-là, le positivisme organiciste neurocognitiviste promeut les protocoles et la médication d’une pratique psychosociale consommatrice dépourvue de la notion même de sujet au bénéfice de l’idéologie de "l’individu entrepreneur de lui-même". Le tout chamarré d’un discours sur l’accès au bonheur par la méditation bouddhiste, laquelle n’est point thérapie mais développement personnel, non dépourvu d’un spiritualisme neurocognitivisé, à caractère discrètement religieux.

résistance conjointe

Face à quoi résiste selon nous une pratique fondée sur le principe de la relation qui soigne, celui qui fonde psychanalyse du lien et psychothérapie relationnelle.

ouvert au public, un séminaire passionnant

Nous formulons le souhait que les étudiants de nos écoles trouvent le moyen de venir suivre ce cours, ouvert au public. Comme chaque année il leur permettra d’accéder à l’intelligence du fait psychanalytique et psychothérapique à partir de son histoire, malheureusement négligée par ses praticiens, ce qui est dommageable en définitive à sa pratique même.


[1] Sauf exception notable de Menninger et Kohut, pour ne citer qu’eux.

[2] En France, apparition du PSYG en 1966, premier syndicat psy (dissocié du syndicat national des psychologues), comportant des "psychothérapeutes". Puis estampillant véritablement la nouvelle profession, celle du SNPPsy en 1981. Les fédérations viendront plus tard (1995, création de la FFdP par les deux syndicats, 1998, scission de l’AFFOP par départ notamment des deux syndicats). Plus tard encore viendra le GLPR les réunissant, dont on annonce (2018) le dépérissement.

[3] Et de leur côté les psychiatres-psychanalystes, à l’exception momentanée des millériens.