Voici la réponse adressée au Monde par Michel Onfray intitulée La nef des fous, à l’article de Catherine Simon paru dans le Monde du 15 septembre 2012 sous le titre Albert Camus, un écrivain pris en otage à Aix en Provence, textes qu’on trouvera ci-infra.
La Nef des fous, d’une tonalité complotiste très typique de la prose désormais célèbre de Michel Onfray depuis la parution de son brûlot contre Freud (Grasset, 2010), fait suite à la dépêche de l’AFP annonçant son renoncement à être le commissaire de l’exposition Albert Camus à Aix en Provence, à la suite de l’éviction de Benjamin Stora, historien compétent et de renommée mondiale, désigné par une commission d’experts en 2008 dans le cadre de la grande manifestation européenne Marseille-Provence 2013 (MP13).
Stora, récemment qualifié par Jean-François Collin, président de l’ADIMAD (association des anciens partisans de l’OAS), de « Israélite de Constantine autoproclamé historien et proche du FLN » (Le Monde du 14 septembre 2012), avait 4 ans à la fin de la guerre d’Algérie, ce qui fait de lui l’allié du FLN le plus jeune de toute son histoire. Autre alliance, autrement plus efficace, celle de Maryse Joissens-Masini, maire UMP d’Aix-en Provence et proche du Front national, et de ce Jean-François Collin, lequel avait appuyé la candidature de Michel Onfray au poste de commissaire de l’exposition, ce qui montrait clairement que celui-ci était bien promu à ce poste par les courants les plus nauséabonds de l’extrême-droite française.
Face à ce déferlement de haine contre Stora, Aurélie Filipetti avait décidé au mois d’août, de retirer le logo du Ministère de la culture de cette exposition et de ne pas verser la subvention prévue. On ne peut que se réjouir de l’action de tous ceux qui ont manifesté publiquement leur opposition aux propos de Michel Onfray sur France culture, cet été, contre Freud, Sartre, Beauvoir et bien d’autres, ainsi qu’à l’éviction de Benjamin Stora par ses alliés d’extrême-droite.
(http://www.lemonde.fr/culture/article/2012/09/15/michel-onfray-ne-sera-pas-le-commissaire-de-l-exposition-consacree-a-camus_1760763_3246.html
On trouvera ici l’article de Catherine Simon et la réponse de Michel Onfray « à ses détracteurs, » bien dans son style. La mobilisation contre ce qui était devenu un scandale a fini par prendre des proportions telles que notre valeureux libertaire hyper nietzschéen solaire pourfendeur des salons parisiens, de la veulerie des uns et chiennerie des autres, sans compter la niaiserie de la ministre, a dû se résoudre à lever le camp.
– L’exposition Albert Camus, Michel Onfray et les monothéismes , où il apparaît que Michel Onfray via son ami Jean Soler vire à la Nouvelle droite solaire et polythéiste.
– « La bataille ratée de Michel Onfray« , par Marc Riglet (Lire), publié le 01/03/2012
– Michel Onfray pilotera l’exposition et le Musée Camus
– Camus – l’historien écarté le faiseur promu
– Motion de soutien à Benjamin Stora
– Après Richard Millet, Michel Onfray
– et cliquer ici-même Onfray pour plus d’information.
REPORTAGE
par Catherine Simon
envoyée spéciale du Monde, Aix-en-Provence (PACA)
Marquée par l’éviction de Benjamin Stora, la future exposition consacrée à l’auteur de {L’Étranger réveille les fantômes de la cité aixoise. }
Elle arrive presque à l’heure, son caniche dans les jambes, gouailleuse et souriante, claquant la bise aux réceptionnistes de l’hôtel de ville, avant de foncer vers son bureau. Maryse Joissains-Masini ? Une catcheuse. » Vent debout ! « , aime-t-elle dire. Le goût de la bagarre fait partie de l’image de marque de la maire (UMP) d’Aix-en-Provence, comme la croix en or qu’elle porte en pendentif ; ou comme son fidèle Omar, un ancien harki, devenu, revendique-t-elle, son » plus proche collaborateur » ; sans oublier les » peuchère ! » qui scandent ses envolées. Une nature, en somme.
D’Albert Camus (1913-1960), elle a lu, « comme tout le monde », les romans étudiés à l’école : L’Étranger et La Peste. C’est peu ? Il n’empêche ! Maryse Joissains, également présidente de la communauté des pays d’Aix, se battra comme une lionne pour que se tienne cette fichue exposition, programmée en 2009, annulée au printemps 2012, puis reprogrammée au milieu de l’été… » L’expo Camus, on la fera ! « , s’enflamme-t-elle. En temps et en heure, insiste-t-elle : en novembre 2013, c’est promis, à l’occasion du centenaire de la naissance de l’écrivain ; et à Aix-en-Provence, c’est juré, puisque le fonds Camus s’y trouve entreposé. Mais l’opération se montera-t-elle avec ou sans l’aval de l’association Marseille-Provence 2013, alias MP13 ? C’est là une des énigmes – pas la seule – de la rocambolesque » affaire Camus « .
La très officielle association MP13, chargée de coordonner l’ensemble des manifestations qui vont accompagner, tout au long de l’année 2013, le sacre de Marseille, couronnée par l’Union européenne capitale européenne de la culture, va réunir son conseil d’administration le 15 octobre. Ce jour-là, les dirigeants de MP13 décideront s’ils soutiennent, ou non, le projet d’une exposition Camus dont le nouveau commissaire pressenti, le philosophe Michel Onfray, recruté par la mairie d’Aix-en-Provence après l’éviction de l’historien Benjamin Stora, aurait la lourde charge (Le Monde du 3 août).
« Si MP13 ne soutient pas Onfray, gronde Maryse Joissains-Masini, je passerai à la vitesse supérieure ! Car ce serait un acte de censure, digne des régimes soviétiques », tonne la première magistrate d’Aix-en-Provence. C’est ce qu’elle a déjà indiqué, en termes à peine moins crus, dans une lettre adressée, le 22 août, à la ministre de la culture, Aurélie Filippetti, après que cette dernière eut fait savoir qu’elle désapprouvait la mise à l’écart de Benjamin Stora, spécialiste de l’histoire de l’Algérie coloniale, et retirerait label et subvention à tout nouveau projet. Le retrait du ministère « pourrait être interprété comme une forme de censure et serait lourd de conséquences », a menacé l’élue aixoise – sans qu’on voit très bien comment elle, ou Michel Onfray, auteur de L’Ordre libertaire. La vie philosophique d’Albert Camus (Flammarion), pourraient s’y opposer.
Le philosophe de Caen, anticipant la chose, s’est lui aussi indigné, jeudi 13 septembre, dans les colonnes du Nouvel Observateur, de l’attitude du ministère. La subvention de la Rue de Valois n’est donc « pas pour le projet Camus, mais pour un commissaire d’exposition » : voilà ce qu’il faudra comprendre, si, d’aventure, ladite subvention n’est pas versée pour « son » exposition, a prévenu Michel Onfray ! Bien vu. À une question près : « le projet Camus » existe-t-il, indépendamment de son commissaire ? À Aix-en-Provence, tout le monde a bien compris que non.
« Que Catherine Camus – fille et ayant-droit de l’écrivain – souhaite une exposition en hommage à son père, très bien. Mais qu’on ait pu choisir Benjamin Stora pour l’organiser, c’est une aberration », estime Jean-François Collin, s’exprimant, il y tient, « à titre personnel. » Michel Onfray, qu’il n’a « pas lu encore », lui semble un « homme plus mesuré » et le choisir comme commissaire indique « un progrès très net », se félicite notre interlocuteur.
Président de l’ADIMAD, une association d’aide aux « anciens détenus de l’Algérie française » – c’est-à-dire, principalement, aux partisans de l’OAS, emprisonnés après la tentative de putsch en Algérie, au printemps 1958 –, Jean-François Collin assure n’avoir jamais été averti de ce projet d’exposition. Pas plus que ne l’ont été les autres associations de pieds-noirs, qui ont leurs bureaux – et leurs oriflammes – dans la Maison du Maréchal-Juin, inaugurée, en 1992, par le maire de l’époque, le socialiste Jean-François Picheral.
Cependant, ajoute le président de l’ADIMAD, « si jamais Maryse Joissains m’avait demandé mon avis, je lui aurai dit que Benjamin Stora, cet Israélite de Constantine, historien autoproclamé de la guerre d’Algérie et qui soutient les thèses du FLN, est vomi par la communauté des Français d’Algérie. »
Ainsi parlent les nostalgériques », frange extrémiste d’une communauté, présumée homogène, que les élus locaux, de gauche comme de droite, à Aix-en-Provence et dans la plupart des communes du Midi, continuent de ménager.
« Dès qu’on parle de l’Algérie, aïe ! tous les élus s’immobilisent », s’amuse Maryse Etienne, aixoise et veuve du sociologue Bruno Etienne (1937-2009), spécialiste de l’Algérie et de l’islam. Sur les quelque 130 000 habitants d’Aix-en-Provence, on compte « entre 10 % et 15 % de pieds-noirs – beaucoup moins qu’en 1962 », reconnaît d’ailleurs volontiers la maire de la ville.
« Les élus sont victimes du fantasme d’un vote communautaire. Et tous font le dos rond », fulmine, à Paris, le socialiste Georges Morin, lui-même natif d’Algérie et président de l’association Coup de soleil. « Le vote pied-noir n’existe pas », renchérit, à Marseille, un autre natif d’Algérie, l’historien Jean-Jacques Jordi, dont une Histoire des pieds-noirs (Armand Colin) doit être publiée cet automne.
« Ici, l’Algérie, c’est de la chair à nu », lance néanmoins Sophie Joissains, fille de madame la maire, chargée de suivre le dossier Camus. La municipalité d’Aix-en-Provence y est tellement sensible qu’elle a fait annuler, au moment de l’anniversaire des accords d’Évian (19 mars 1962), la série de manifestations culturelles que des associations voulaient organiser. Une pièce de théâtre, des tables rondes et la projection du film de Pontecorvo La Bataille d’Alger sont ainsi passées à la trappe, ce programme n’ayant pas été validé par la municipalité.
« C’est grâce à la lecture de Camus, qui nous disait de ne pas écouter les voix de la haine, qu’on a tenu le coup. Il dénonçait l’iniquité du système colonial et, en même temps, il était des nôtres », se souvient Georges Morin, qui fut lycéen à Constantine, pendant la guerre d’Algérie. « En virant Stora de l’exposition d’Aix, on vire ce Camus-là, avec ses doutes qui fâchent », assure-t-il.
Le président de Coup de soleil a signé, à l’instar d’historiens, parmi lesquels Jim House, Mohammed Harbi et Gilbert Meynier, une motion de soutien à Benjamin Stora, dont l’éviction constitue, estiment-ils, « un acte grave de censure ». Cible visée : Maryse Joissains et les « nostalgiques du temps colonial. »
À ces mots, la principale intéressée s’étrangle – et menace de porter plainte. Rayon bagarre, décidément, 2012 l’aura gâtée ! Battue aux élections législatives, Maryse Joissains-Masini, supportrice de Nicolas Sarkozy et proche, a-t-elle affirmé publiquement, des « valeurs du Front national », se défend comme un beau diable. Ce « Benjamin Onfray… euh non ! Stora », se rattrape-t-elle, elle n’a « rien contre lui. » Elle serait même ravie qu’il vienne à Aix, pour « faire des conférences – avec Onfray, pourquoi pas ? »
Cet oecuménisme tardif fait sourire le centriste François-Xavier de Peretti, l’un des élus de l’opposition. « Qui a eu la peau de Benjamin Stora ? Le clan Joissains. Il n’aurait jamais sauté sans qu’ils le veuillent », affirme-t-il. Sur le cours Mirabeau, l’automne sera chaud…
Gérant l’œuvre et le fonds de son père, Catherine Camus a « droit de vie et de mort sur l’exposition Camus », assure un proche du dossier. C’est elle qui a décidé de « retirer son crédit » à Benjamin Stora, précise, pour sa part, Michel Onfray. La fille de l’écrivain, « comme tous les héritiers écrasés », est » fragile », estime Maryse Joissains-Masini. « Elle n’assume pas, c’est le problème avec elle », ajoute la maire d’Aix-en-Provence.
Catherine Camus (ci-contre), fille de l’écrivain, et Maryse Joissains-Masini (plus haut), maire UMP d’Aix.
OLIVIER METZGER POUR » LE MONDE » ; NICOLAS VALLAURI/PHOTOPQR/MAXPPP
Dans une lettre au Monde, Catherine Camus écrit, le 5 septembre : « Compte tenu de ce qui s’est passé, de la façon dont le sujet a été traité et des personnes qui en sont les acteurs, je ne crois pas utile d’y ajouter ma voix. (…) Il ne me semble pas que l’œuvre et la pensée de mon père soient mises en débat ; par ailleurs, je n’ai jamais eu, ni voulu avoir, un rôle décisionnaire dans cette opération. » Comprenne qui pourra.
par Michel Onfray
site du monde.fr – en réponse à Catherine Simon et à tous ses « détracteurs ».
La double page que votre journal consacre à ce qui est devenu depuis l’été « l’affaire Camus » me décide à prendre le large de cette pétaudière où se mélangent de façon déraisonnable les egos surdimensionnés, la chiennerie de la politique politicienne, les pathologies mentales, les intrigues de réseaux, le copinage d’anciens combattants d’extrême gauche reconvertis dans l’opportunisme social-démocrate, la morgue de l’impuissance universitaire, la niaiserie d’une ministre confondant usage public des crédits et punition idéologique, la veulerie des institutionnels de la culture, le double langage de l’un, la schizophrénie de l’autre, le tout sur fond de guerres picrocholines organisées et orchestrées par le journalisme parisien…
Je bénis cette aventure de m’avoir fait découvrir cette nef des fous ! Mais je n’en suis plus… Je n’avais encore rien signé, j’économise donc une démission. Pas besoin de quitter le bateau, il n’y aura jamais eu que le projet d’y être – mais la compagnie s’avère décidément trop nauséabonde. En France, l’atmosphère intellectuelle est toujours de guerre civile.
Albert Camus aura été le grand perdant de ce qui aurait pu être une belle aventure. Mais tout ce qu’il détestait est revenu dans cette affaire comme un boomerang : les politiciens, les héritiers, les réseaux, les tribus, les universitaires, les journalistes, les ministres, Paris… Rien de neuf sous le soleil.
J’avais pour fil conducteur le projet de montrer le trajet rectiligne d’un libertaire au XX° siècle, le combat reste à mener, je le mènerai ailleurs. Pour moi, il y a une vie après Camus… Que mes ennemis se rassurent, ils auront d’autres occasions de me poursuivre de leur haine, je prendrai soin de leur procurer d’autres raisons.
[Document : Sans titre]
Photo : SIPA Baltel
Le philosophe renonce au projet afin d’éviter une « compagnie trop nauséabonde«
Dans la nuit de vendredi à samedi, le philosophe Michel Onfray a annoncé qu’il renonçait à l’exposition par un message sibyllin diffusé sur son compte twitter : « Michel Onfray ne signera pas la convention qui aurait fait de lui le commissaire de l’expo Camus à Aix en 2013. » Joint hier matin, Michel Onfray confirme le « caractère irrévocable de sa décision« .
À 15 h 37, il publie une tribune explicative sur lemonde.fr. « J’ai décidé de prendre le large de cette pétaudière où se mélangent de façon déraisonnable les egos surdimensionnés, les chienneries de la politique politicienne, les pathologies mentales, les intrigues de réseaux (…) » avant de poursuivre : « Je n’avais encore rien signé, j’économise donc une démission. Pas besoin de quitter le bateau, il n’y aura jamais eu que le projet d’y être mais la compagnie s’avère décidément trop nauséabonde. En France, l’atmosphère intellectuelle est toujours de guerre civile.«
La nouvelle a choqué tout le monde y compris les acteurs principaux de cette exposition. Jean-François Chougnet, directeur général de l’association Marseille-Provence 2013 affirme avoir « appris la renonciation d’Onfray par l’AFP. Pas de réaction de notre part dans l’immédiat faute d’éléments. »
Maryse Joissains, maire (UMP) d’Aix-en-Provence, s’est dit « stupéfaite par la nouvelle. J’ai eu d’excellentes relations avec Michel Onfray et j’étais ravie qu’il dirige cette exposition dans ma ville. Je suis persuadée qu’il a été blessé par le comportement de la ministre de la Culture, Aurélie Filippetti, qui a décidé de ne pas soutenir financièrement cette exposition sous prétexte que le commissaire n’était plus Benjamin Stora. Onfray est un iconoclaste, il ne se gêne pas pour dire ce qu’il pense. En tout cas, avec ou sans Onfray, pas question pour moi de renoncer à cette exposition !«
Pas plus d’éléments de réponse du côté de la fille d’Albert Camus : « Je ne peux expliquer la décision de Michel Onfray mais par correction, il aurait pu me contacter avant de produire ce coup médiatique. Je l’ai rencontré et j’ai fait en sorte que le travail d’Albert Camus soit à sa disposition. Je ne suis peut-être pas une grande spécialiste de l’œuvre d’Albert Camus mais je connais mon père et je sais ce qu’il m’a appris : la loyauté et la mesure. Il semble que Monsieur Onfray n’ait pas ressenti ces valeurs dans l’œuvre de mon père. Dommage. »