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28 août 2013

Françoise Dolto : Quel héritage pour la psychanalyse des enfants ? Élisabeth Roudinesco

Élisabeth Roudinesco

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FRANÇOISE DOLTO, QUEL HÉRITAGE POUR LA PSYCHANALYSE DES ENFANTS ?

par Élisabeth Roudinesco

Voici vingt-cinq ans ce 25 août 2013, Françoise Dolto (1908-1988) disparaissait. Médiatisée, (re)connue et parfois critiquée par ses pairs, la plus célèbre pédopsychanalyste française a marqué son époque. Elle a mis à la portée de tous une nouvelle approche de l’enfant considéré, dès son plus jeune âge, comme une personne avec laquelle il faut communiquer. Contemporaine d’autres théoriciens de la psychanalyse pour enfants, elle a brillé par son génie clinique. Quelle empreinte a-t-elle laissée en dépit de virulentes critiques ? Entretien avec Élisabeth Roudinesco, historienne de la psychanalyse, qui a bien connu Françoise Dolto. Elle est également co-auteur avec Michel Plon du Dictionnaire de la psychanalyse.

Dans quel contexte de la psychanalyse, Françoise Dolto commence-t-elle à pratiquer ?

Ce n’est pas quelqu’un qui a inventé comme Donald Winnicott (1896-1971) ou Melanie Klein (1882-1960) un vrai système conceptuel. Elle est d’abord une très grande clinicienne et non un penseur de la psychanalyse comme eux.

L’objet transitionnel de Winnicott ainsi que le bon et le mauvais objet de Mélanie Klein sont des termes qui sont passés dans notre vocabulaire théorique. Aujourd’hui, on attribue à François Dolto l’invention du doudou mais ce n’est pas elle. L’objet transitionnel, le doudou comme on l’a appelé en français, cela vient de Winnicott. En revanche, Françoise Dolto a inventé la poupée fleur.

Mélanie Klein a complètement bouleversé l’histoire de la psychanalyse dans les années 20. C’est elle qui inventé l’idée que l’on pouvait faire une approche psychanalytique des enfants en très bas âge à travers la pâte à modeler, les dessins, le jeu. C’est la révolution. Évidemment, Dolto qui vient après, reprend ça alors que Freud considérait que l’on ne pouvait pas analyser les enfants en bas âge. Mélanie Klein invente la psychanalyse des enfants, le cabinet de psychanalyse dans lequel vous trouvez aujourd’hui les petites tables, les petits jeux, repris par Winnicott.

Je comparerais plutôt Françoise Dolto à Anna Freud (1895-1982) parce que cette dernière s’est occupée autant des enfants que des parents. Dolto reprend cette approche mais sans être forcément influencée. Quand elle a commencé à pratiquer dans les années 30-38, elle était assez seule.

Ce qui a été ensuite capital c’est son amitié avec Jacques Lacan. C’est un théoricien, plutôt un clinicien de la psychose mais pas de l’enfance. Dolto puisait dans son œuvre les moyens de théoriser sa pratique. Elle donnait une allure populaire à des concepts de Lacan. Mais en même temps elle fabriquait ses propres analyses.

À partir des années 45, l’enfant existe vraiment comme personne. Il a des droits déjà. Et donc les psychologues de l’enfance et les psychanalystes de l’enfance ont accompli cette révolution qui est de s’occuper de l’enfant indépendamment des parents, sans les éliminer pour autant.

Comment s’est-elle démarquée de ses contemporains ?

Par son génie clinique et non pas par un apport conceptuel comme Mélanie Klein ou Winnicott. Dolto n’avait pas de grands titres universitaires. Elle était médecin bien entendu, elle avait une consultation mais elle n’était pas une professeure de pédopsychiatrie.

Elle n’avait pas un service hospitalier mais elle était une psychanalyste qui a eu un succès considérable par sa pratique clinique et a travaillé en milieu hospitalier. Françoise Dolto avait une compréhension spontanée des enfants. Et même ses ennemis à l’époque étaient tout à fait stupéfiés de la manière dont elle abordait les enfants, elle leur parlait. Elle avait du génie pédagogique.

Avait-elle sur la scène internationale de la psychanalyse ?

A l’étranger, la clinique infantile a été dominée, et encore aujourd’hui, par les anglo-saxons. Mélanie Klein et Donald Winnicott sont internationalement traduits et reconnus. La clinique anglo-saxonne pour les enfants a fait le tour du monde et domine toujours le monde psychanalytique d’aujourd’hui. Pas celle de Dolto qui reste une pionnière en France.

Elle a été un peu traduite mais n’a pas eu d’impact international. Il n’y a pas d’école doltonienne en Amérique latine ou dans le monde anglophone. Il y a partout dans le monde des gens qui connaissent son œuvre mais elle n’a pas fait école. En France, Françoise Dolto s’inscrit comme la grande psychanalyste de l’enfance. Dans le contexte dans lequel elle pratiquait, la psychanalyse d’enfant était constituée.

Qu’a-t-elle alors apporté de plus ?

Que l’enfant a son univers, qu’il existe indépendamment des parents, qu’il a ses manières de parler, qu’il faut s’adresser à lui directement quand ce sont des enfants qui parlent à partir de 5/6 ans.

Pour l’essentiel, ce qu’elle a vulgarisé c’est l’idée du contact direct avec l’enfant et surtout la cause des enfants – c’est elle qui a inventé ce terme. Elle n’élimine pas les parents. Elle leur parle aussi. Mais la grande idée qui a fait son succès en France, ce sont les émissions de Jacques Pradel sur France Inter. C’est la première fois que les enfants téléphonent au Docteur X (Françoise Dolto, ndlr). Winnicott a fait un peu la même chose sauf qu’en Angleterre ce sont plus les parents qui appellent à l’antenne.

Elle a aussi créé les Maisons vertes, il y a en a eu à l’étranger mais pas beaucoup dans le monde anglophone.

Pourquoi François Dolto a-t-elle été critiquée ?

Elle était dérangeante parce qu’elle avait un franc parler, une manière de s’adresser aux enfants. C’était quelqu’un qui, à la fois respectait l’ordre établi, et au fond ne le respectait pas. Elle ne s’occupait pas beaucoup des institutions, de l’école.

Elle n’était pas pédopsychiatre, elle n’était pas professeur de psychiatrie. Et dans un service hospitalier, cette femme qui était issue de la grande bourgeoisie dérangeait parce qu’elle était la fois du même milieu social et en même temps elle tenait des discours qui ne convenaient pas aux pédopsychiatres encore très rigides. Bien sûr, étant freudiens, ils étaient favorables à l’enfant mais considéraient quand même que tout cela devait rester dans la norme et l’autorité médicale. Elle avait aussi une notoriété et cela a suscité la jalousie.

Il y a eu des idolâtres de Dolto qui l’imitaient. Mais elle reste inimitable. Elle ne transmet pas une œuvre, des concepts, un système de pensée. Elle ne transmettrait que quelque chose de son génie clinique : c’est cela son enseignement.

Françoise Dolto n’avait pas du tout le sens d’une très grande retenue. Elle disait beaucoup ce qu’elle pensait. Elle avait un tel amour des enfants qu’elle pouvait dire qu’elle les aimait avant la naissance dans le ventre des mères. Elle ne s’est pas mêlée à tous les débats féministes sur le statut de la mère et sur l’avortement. Elle a été vue par les tenants du féminisme des années 70 comme quelqu’un qui défendait le maternel. Et elle ne savait pas comment répondre à ces critiques.

Elle aimait la famille et évidemment elle avait à faire à des familles cabossées, en difficultés. On l’a accusée à gauche d’être de droite parce qu’elle défendait le familialisme et à droite d’être une anarchiste qui défaisait l’ordre familial,

On l’a aussi souvent rendue responsable du manque d’autoritarisme des parents d’aujourd’hui, de l’apparition de l’enfant roi…

Elle a été accusée notamment en 2005, après sa mort (en 1988, ndlr), par le Livre noir de la psychanalyse d’être responsable de la crise d’autorité dans les banlieues. Quand Dolto est morte il n’y avait pas encore de crise dans les banlieues. On était dans une société qui ne dysfonctionnait pas encore de cette façon là.

Les gens ne voient pas que l’évolution de notre société, de la famille, nous vivons dans une époque où l’on considère que l’enfant est roi. Mais cela fait longtemps. Nous avons une vraie crise de l‘autorité beaucoup plus liée à des problèmes économiques, sociaux qui n’existaient pas trop à l’époque de Dolto. Dolto est devenue le bouc émissaire de théories stupides.

Les théories de Dolto sont-elles cependant valables encore aujourd’hui ?

Toute pensée est encore valable à condition de la travailler et de ne pas la limiter. Autrement dit, si on se sert de Dolto en appliquant ce qu’elle a dit ça ne marchera pas. Il faut conserver de Dolto l’idée que l’enfant existe dans une famille, qu’il a une parole à lui, que l’autorité de la famille doit être exercée et que le père et la mère ont tous les deux un rôle dans la famille.

Aujourd’hui nous sommes confrontés à de tout autres problèmes : familles monoparentales, généralisation des divorces. Dolto n’était ni contre, ni pour. Dolto était quelqu’un qui ne déplorait pas que les parents divorcent. Elle ne déplorait rien, elle s’occupait des enfants en souffrance comme elle a pu à une certaine époque. Il y a des textes avec lesquels on peut être ou ne pas être d’accord mais elle a eu un vrai impact en France.