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1 mai 2010

« Freud déboulonné ? » : Qui a peur de Virginia Freud ? Véronique Maurus. Présentation par Philippe Grauer

Véronique Maurus. Présentation par Philippe Grauer

1) QUI A PEUR DE VIRGINIA FREUD ?

Livre noir : le retour ?

Après le retour à Freud, celui du refoulé puis de Dracula voici celui du barbouillé avec Onfray. Auquel à son tour Le Monde consacre un très beau dossier réalisé par Thomas Wieder, co-réalisateur avec Élisabeth Roudinesco du Hors série sur Freud qui tire dit-on à 70 000 dans les kiosques — preuve collatérale que le fleuve continue d’irriguer tranquillement le paysage culturel.

Pourquoi tant de haine (suite) ?

Bien choisi, le titre Mais pourquoi tant de haine ? annonce la parution d’un nouvel ouvrage d’Élisabeth Roudinesco, en rappel du premier épisode, celui du Livre noir paru en 2005, épisode au cours duquel l’historienne s’était déjà dressée contre une opération anti-Freud d’envergure.

Marée noirâtre

Véronique Maurus de son côté rend bien compte des réactions des lecteurs. Elle peine à discerner la nature du débat au travers des réactions adressées au Monde. La question n’est ni d’examiner si on est pour ou contre Freud — est-on pour ou contre Darwin ou Flaubert ? ni de prendre position dans une guerre « bien française » entre freudiens et anti-freudiens. La question est celle de la transmission des vérités historiques ou d’affabulations dont on n’a pas le droit moral et scientifique de laisser répandre la marée noirâtre.

Dissymétrie

Rendue là, la question concerne moins les psychanalystes et les psychothérapeutes relationnels que l’opinion publique dans son ensemble. Cela n’apparaît pas dans l’exposé de Madame Maurus qui dispose en symétrie une historienne spécialisée et le créateur de l’Université populaire qui ne connaît rien à l’histoire de la psychanalyse et du freudisme (1). Michel Homais a entrepris de réviser toute l’histoire de l’Occident. À ce titre il a lu en cinq mois comme il le dit lui-même l’œuvre de Freud (ravivant des souvenirs d’autrefois, oui si on veut). De l’ultra léger contre du lourd. En aérospatial le léger prévaut, en sciences humaines le lourd. Il n’y a pas photo, il n’y a pas symétrie.

Établissement correct des faits

Alors, a-t-on le droit de dire n’importe quoi ? encore heureux ! d’autant que les rodomontades de Michel Homais n’altèrent en rien Freud en tant que créateur d’un mouvement de pensée majeur du XXème siècle, dont la vitalité se prolonge, merci. Et puis, comme le dit un jour le bon Laurent Taillade dans des circonstances comparables :  » — Vous pouvez y aller, Hugo c’est un fleuve, on peut pisser dedans. » Cela ne retire rien au devoir scientifique et éthique des historiens, des philosophes, des psychanalystes, des psychothérapeutes relationnels, de veiller à un établissement correct des faits. Entre un affabulateur et la meilleure historienne française actuelle du domaine vous choisissez quoi ?

À suivre

Voici du bel ensemble de quatre articles publiés par Le Monde, intitulés Contre-enquête, le premier volet. Nous y reviendrons aux jours prochains.

Philippe Grauer


2)  » Freud déboulonné ? « 

C’est une de ces polémiques dont l’intelligentsia française a le secret, d’autant plus violente qu’elle était annoncée, préparée comme un produit marketing. Depuis des semaines, le Tout-Paris littéraire attendait le lancement, à grand renfort de querelles et d’apostrophes, du brûlot anti-freudien de Michel Onfray (Le Crépuscule d’une idole, Grasset) censé  » déboulonner  » l’idole. Chaque camp fourbissait ses armes, affinait son plan média ; bref, le piège était fin prêt quand Le Monde y tomba.

À la critique virulente d’Élisabeth Roudinesco dans  » Le Monde des livres « (une version de 30 000 signes, beaucoup plus importante, de cet article fut publié corelativement sur notre site, c’est celle qu’on peut consulter en cliquant sur l’hyperlien « 16 avril » ci-dessous) du 16 avril, répondit un texte encore plus dur de l’auteur, dans les pages Débats du 22 avril. Entre-temps, Michel Onfray avait inauguré, samedi 17 avril, une chronique régulière, ouverte à des plumes extérieures.

Les lecteurs ont bien entendu réagi en foule. Beaucoup nous ont adressé des textes savants pour ou contre la psychanalyse freudienne. Il est impossible de les citer dans cette chronique sans les dénaturer. Nous nous en excusons. Notons seulement que les deux chapelles s’équilibrent, grosso modo, en nombre (et en longueurs), avec un léger avantage pour les freudiens.

D’autres contestent la manière dont Le Monde a rendu compte de la controverse. Ils sont tout aussi partagés. D’un côté les  » déboulonneurs  » :  » Madame Roudinesco, je ne vous félicite pas pour votre article, écrit par exemple Jacques Lempicki (Avion, Pas-de-Calais). J’aurais souhaité que vous débattiez sur ce sujet avec le principal intéressé – pas Freud, Onfray bien sûr. C’était un peu facile de tenter de démonter le travail du seul philosophe crédible de l’Audimat.  »  » Je me demande pourquoi « Le Monde des livres » a fait appel à Élisabeth Roudinesco pour présenter ce livre, s’interroge René Cottin (Pau). Quand on connaît le caractère passionnel des arguments de Mme Roudinesco pour défendre l’œuvre de Freud, il semble évident que la critique de ce livre ne pouvait être qu’un éreintement, sans nuances ni concessions. C’était frustrant pour un lecteur qui cherche, sans parti pris, à comprendre les raisons du déclin d’une grande doctrine.  »  » Quel lien unit Le Monde et Mme Roudinesco ? « , demande Alexandrine Fayard (Bas-en-Basset, Haute-Loire).

En face, les freudiens s’étonnent de la place donnée à Michel Onfray.  » Je ne comprends pas que Le Monde ait publié une réponse gonflée de haine vis-à-vis de Mme Roudinesco, remarque Jacques-Martin Berne (Sèvres, Hauts-de-Seine). Déboulonner Freud va détourner des patients de la cure dont ils auront besoin.  »  » Il y a quelques jours, votre quotidien publiait un texte d’Élisabeth Roudinesco qui se livrait à une déconstruction savante et brillante du dernier brûlot de M. Onfray. Nous avions Le Monde dans ce qu’il fait de mieux. Je découvre avec stupéfaction la chronique de M. Onfray parue dans l’édition du 19 avril. Là, nous avons Le Monde dans ce qu’il fait de pire. Faut-il comprendre que le journal cède au populisme ? Ou est-ce devant la dictature du marché qu’il s’inclinerait ? « , déplore Henri Roudier (Paris).

 » Il s’agit d’occuper le terrain médiatique par tous les moyens, une façon moderne d’exister, commente Jean-François Hagnéré (Creutzwald, Moselle). Je me demande si, à l’époque, M. Onfray aurait refusé de s’allonger sur le divan proposé par Henri Chapier aux divas du monde médiatique, un monde dans lequel celui qui fait le plus de bruit décroche la timbale dorée…  »  » Le débat entre Michel Onfray et ses détracteurs vole assez bas, relève Dorothée Ponthieux (Sèvres, Hauts-de-Seine). Ne tombe-t-il pas sous le coup de la diffamation (atteinte à la réputation et à l’honneur d’une personne), et ce, de part et d’autre ? (…) N’assiste-t-on pas à travers ces échanges à une guerre de religion ? Car après tout, personne n’a jamais été obligé de croire en la psychanalyse (ni en aucune religion). Mais quelle angoisse cette discipline suscite ! « 

Il n’est pas du ressort de la médiatrice de trancher le fond du débat, mais de répondre aux questions posées par ce courrier. À commencer par le statut des protagonistes, tous deux collaborateurs du Monde, qui s’affrontent pourtant dans nos colonnes. Élisabeth Roudinesco, historienne de la psychanalyse, est, depuis longtemps, chargée de suivre ce champ dans nos colonnes.  » Comme la plupart des suppléments littéraires, « Le Monde des livres » fait appel à des signatures extérieures, explique Jean Birnbaum, chef adjoint. Nous les choisissons pour leur capacité à conjuguer expertise intellectuelle et pédagogie de l’écriture. « 

Michel Onfray, philosophe, est devenu, beaucoup plus récemment, chroniqueur associé. Avec Nancy Huston et Tahar Ben Jelloun, il publiera régulièrement un article dans l’édition du week-end (datée dimanche-lundi). Cette initiative, explique Laurent Greilsamer, directeur adjoint du journal,  » témoigne de la capacité du Monde à ouvrir ses colonnes à des plumes dotées de sensibilités différentes. La tradition remonte à plus de cinquante ans. C’est un pur hasard si la première intervention de Michel Onfray, prévue de longue date, est parue la même semaine que la critique de son livre « .

Deuxième question : fallait-il traiter ledit brûlot par une simple critique ? D’autres solutions étaient possibles : débat contradictoire, contre-enquête, etc. Elles auraient certes évité que la bataille dégénère dans nos colonnes mais c’était faire le jeu attendu et participer, involontairement, au plan marketing.

Question annexe : fallait-il confier cette critique à la responsable habituelle de la psychanalyse, vu l’objet affiché du livre ? Notons que la lui refuser était, en soi, une prise de position. L’article d’Élisabeth Roudinesco était sans doute trop passionné, mais nul ne peut nier sa compétence dans le domaine traité ni ses talents de plume.  » À partir du moment où il a été décidé que le livre serait traité dans le supplément littéraire, le journal devait fournir à ses lecteurs une évaluation de l’ouvrage sur le fond « , assure Jean Birnbaum.

Tel est bien le rôle de la critique. Celle-ci, par le ton, sortait du registre classique — tout autant d’ailleurs que la réponse. Mais les lecteurs se seraient-ils satisfaits d’un jugement mi-chèvre mi-choux ? À les lire, c’est peu probable.

Véronique Maurus, Médiatrice

Courriel : mediateur@lemonde.fr

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