LEMONDE.FR | 13.12.10 | 09h19 • Mis à jour le 14.12.10 | 14h51
Chaque victoire emportée par la France contre ses propres conservatismes est le résultat d’une confrontation. Lorsqu’il s’agit de prendre acte de l’évolution de notre société, les libertés à conquérir sont toujours précédées d’incompréhensions, d’inquiétudes et de prophéties menaçantes. C’est en répétant les choses avec obstination que les Français, et plus encore les Françaises, ont dissipé les doutes et obtenu le droit au divorce, puis le droit de disposer librement de leur corps, malgré tous les messagers de l’apocalypse qui s’y sont opposés.
Il y a un demi-siècle, on imposait aux futurs parents la naissance d’enfants non désirés. Aujourd’hui, à travers les interdictions inscrites dans la loi de bioéthique, on interdit à des parents la naissance d’enfants désirés. La distance qui sépare notre droit ancestral des réalités de nos familles n’a cessé de s’étendre.
La multiplicité et la plasticité des modèles familiaux ne peuvent être ignorées plus longtemps. En sociologie, en psychanalyse et en droit, voilà bien longtemps que les liens sociaux priment sur les liens biologiques. Parenté et filiation n’ont rien de naturel, ce sont des liens institués. Ce ne sont pas les liens génétiques mais la manifestation de la volonté d’être parent, l’engagement irrévocable, et la réalité d’une vie de famille qui font d’une personne un parent. Ce n’est pas le fait de porter un enfant qui fait d’une femme la mère de cet enfant, mais le fait de le vouloir, de s’engager à l’élever et de s’y préparer.
Voilà trente ans que les techniques médicales permettent aux femmes de porter l’enfant d’une autre. Il y a vingt ans, alertés par les dérives qui pouvaient affecter cette pratique en l’absence de toute loi, le juge puis le législateur français ont préféré mettre un terme à la pratique elle-même, plutôt qu’à l’absence d’encadrement. C’est ainsi que toute gestation pour autrui est prohibée dans le droit français depuis 1991.
Depuis, des enfants naissent grâce à des gestations pour autrui dans plusieurs démocraties avancées. Les droits des femmes et l’intérêt des enfants y sont protégés. Leurs témoignages invalident les justifications que les avocats de la prohibition vont chercher là où aucun cadre n’est proposé par la loi. Refuser un encadrement de la gestation pour autrui en prenant exemple sur les dérives connues dans les pays qui n’encadrent pas les gestations pour autrui : voilà l’artifice auquel se prêtent les partisans du statu quo.
Oui, sans encadrement, la société peut dériver vers une instrumentalisation des femmes, une réification de leurs corps, une marchandisation de l’enfant. Sans encadrement, les droits de tous ceux dont le corps peut être source de profit sont en danger. C’est la raison pour laquelle nous proposons de fixer le cadre qui permettra aux femmes de porter un enfant pour d’autres parents sans voir leurs droits menacés.
L’élaboration d’un tel cadre nécessite, comme toute élaboration de nouvelles règles, l’ouverture d’un débat, l’emploi d’un vocabulaire commun et l’écoute des arguments contradictoires. Les états généraux de la bioéthique, organisés par le gouvernement en 2009, n’ont pas permis ce débat.
La gestation pour autrui ne sera une authentique pratique altruiste que si elle est encadrée. Cela signifie qu’il faudra fixer des critères psychologiques, physiques et sociaux objectifs et non discriminatoires pour autoriser une femme à porter un enfant pour d’autres parents. Pour éviter toute forme de dérive, nous proposons de ne pas autoriser les femmes sans enfant à porter un enfant pour autrui, de limiter le nombre de gestations pour autrui par femme, et de fixer une limite d’âge. Nous ne proposons pas de permettre à une mère de porter un enfant pour un de ses descendants. Nous excluons toutes relations financières entre les parents et la femme qui porte leur enfant. C’est au juge d’établir l’état civil de l’enfant et de fixer les conditions de la grossesse, en respectant la liberté de la femme de prendre à tout moment toutes les décisions relatives à son corps. C’est à la société de prendre en charge le coût de la grossesse, comme dans le cas d’un congé maternité.
Au XXIe siècle, la fondation d’une famille est l’expression d’une volonté, c’est à dire de la conjonction d’une liberté individuelle et d’un projet partagé. La venue au monde d’un enfant résulte de cette liberté et de ce projet. Encadrer la gestation pour autrui, c’est reconnaître que cette liberté et ce projet ne s’arrêtent pas aux frontières biologiques. Des parents, des géniteurs, une gestatrice peuvent permettre, ensemble, la venue au monde d’un enfant. Il revient à la société de fixer le cadre nécessaire à la protection de cette liberté.
Michèle André, sénatrice du Puy-de-Dôme, Elisabeth Badinter, philosophe, Gérard Bapt, député-maire de Saint-Jean, Joëlle Belaisch-Allart, gynécologue obstétricienne, Serge Blisko, député de Paris, Patrick Bloche, député-maire du XIe arrondissement de Paris, Gilles Bon-Maury, président d’HES, Jean-Michel Boucheron, député d’Ille-et-Vilaine, Nathalie Boudjerada, avocate, Christophe Bouillon, député-maire de Canteleu, Laurence Brunet, juriste, Anne Cadoret, anthropologue, Laure Camborieux, présidente de Maia, Olivia Cattan, présidente de Paroles de femmes, Monique Cerisier Ben Guiga, sénatrice des Français établis hors de France, Nadia Cherkasky, psychologue, psychanalyste, François Dagnaud, adjoint au maire de Paris, Geneviève Delaisi de Parseval, psychanalyste, Valérie Depadt-Sebag, juriste, Olivier Dussopt, député-maire d’Annonay, Rémi Féraud, maire du Xe arrondissement de Paris, Olivier Ferrand, président de Terra Nova, Aurélie Filippetti, députée de Moselle, Antoinette Fouque, psychanalyste, Caroline Fourest, rédactrice en chef de la revue ProChoix, Véronique Fournier, médecin, Geneviève Fraisse, philosophe, Maurice Godelier, anthropologue, Jean-Pierre Godefroy, sénateur de la Manche, Martine Gross, sociologue, Juliette Guibert, gynécologue obstétricienne, Bruno Julliard, secrétaire national du PS, Serge Hefez, psychiatre, psychanalyste, Géraud de La Pradelle, juriste, Jean-Marie Le Guen, député de Paris, Catherine Lemorton, députée de Haute-Garonne, Claudine Lepage, sénatrice des Français établis hors de France, Annick Lepetit, députée de Paris, Roger Madec, sénateur-maire du XIXe arrondissement de Paris, François Marc, sénateur du Finistère, Sylvie et Dominique Mennesson, co-présidents de l’association Clara, Jennifer Merchant, politologue, Jean-Pierre Michel, sénateur de la Haute-Saône, Jacques Milliez, gynécologue obstétricien, Frank Natali, avocat, Israël Nisand, gynécologue obstétricien, Ruwen Ogien, philosophe, François Olivennes, gynécologue obstétricien, Corine Pelluchon, philosophe, Mao Peninou, adjoint au maire de Paris, François Rebsamen, sénateur-maire de Dijon, Marie-Line Reynaud, députée de Charente, Elisabeth Roudinesco, historienne, psychanalyste, Joy Sorman, écrivain, Irène Thery, sociologue, Serge Tisseron, psychiatre, psychanalyste, Najat Vallaud-Belkacem, secrétaire nationale du PS, André Vallini, député, président du conseil général de l’Isère, Alain Vidalies, député des Landes, Richard Yung, sénateur des Français établis hors de France.
Michèle André, Elisabeth Badinter, Gérard Bapt, Joëlle Belaisch-Allart, Serge Blisko, Patrick Bloche, Gilles Bon-Maury, Jean-Michel Boucheron…