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3 janvier 2009

Gori — les malades mentaux plus souvent victimes que criminels Roland Gori, présentation par Philippe Grauer

Roland Gori, présentation par Philippe Grauer

Traçabilité du sujet ?

La santé, la santé mentale, le soin, tout cela relève de cette zone apparentée au médical, qui fait du soin un traitement. Il s’agit du soin des soignants. Ce soin là concerne les psychologues cliniciens, les psychiatres, et les personnels qui gravitent autour d’eux dans le cadre hospitalier. Ce sont eux que les orientations Sarkozy menacent dans la qualité et la conception même de leur tâche.

Le soin qu’on prend de soi quand n’y tenant plus on entreprend ce qu’on appelle une démarche, celle d’aller voir quelqu’un, pour clarifier une situation personnelle, familiale ou professionnelle devenue intenable (1), ce soin apparenté au souci, ne concerne pas la santé mentale, et si d’aventure un de nos patients basculait dans ce qui demeure du ressort du système psycho médical (2) nous le lui adresserions immédiatement, ou même, évidemment, avant alerte grave(3).

Cela dit, nous partageons l’inquiétude du professeur Gori de voir se mettre en place « un quadrillage des individus et des populations, qu’on suivrait à la trace, avec la possibilité d’une surveillance numérique qui irait jusqu’au marqueur biométrique de l’humain« . On n’arrête pas le progrès, que Jean-Louis Ézine définissait récemment comme le fait de substituer un nouvel inconvénient au précédent, et il n’est pas sûr que la puce universelle enkystée près du nombril, qui vous empêcherait de vous perdre, ne vous conduirait pas tout droit à la perdition. Elle consacrerait la perte de votre humanité de base, que la police pourtant se décarcasserait à sécuriser.

Avec une chanson entonnée par un autre incompétent et fier de l’être, sur le thème des charlatans, conjuguée avec un petit air sur le danger sectaire, on prépara l’opinion à l’idée de réglementer l’irréglementable, et d’encadrer une psychothérapie et une psychanalyse d’État, on entama d’empiéter sur le domaine impondérable des choses de l’âme avec des enquêtes bidons de l’Inserm, sur l’air de évaluons-nous Folleville.

Avec des coups de trompette médiatiques sur le thème les monstres rôdent et nous assassinent, on nous prépare à admettre d’abord n’importe quoi, ensuite quoi ? une régression majeure dans le domaine du soin psychique, qu’il soit traitement ou souci, au diable le détail. Une régression qui va plus loin encore, qui atteint la citoyenneté, en tendant à berlusconiser l’espace politique, culturel et l’imaginaire social.

Les émotions, une de nos matières premières, ne doivent se voir traiter qu’avec un luxe de précautions éthiques. Jamais elles ne doivent servir sciemment à manipuler l’opinion. À mort ! peut-on faire crier une foule, avec quelle facilité ! Au cachot jusqu’à leur dernière heure les monstres ! monstres qualifiés par expertise. Tremblez qu’un jour on n’en vienne à vous expertiser vous, et qu’il soit trop tard pour réagir.

La question des valeurs est en cause, on ne prend jamais trop au sérieux ces choses-là. La question du totalitarisme, du réseau qui vous tient jusqu’au cœur de votre intimité par le biais de la mesure de vos déplacements, de vos écarts et de votre fichage psychologique, porte la menace de son ombre sur nous. Il appartient à l’ensemble des praticiens du carré psy de se mobiliser contre des dangers qu’ils sont bien placés pour détecter quand il est encore possible de s’y opposer.

Il appartient aux praticiens de la chose psychique opérant à partir du processus de subjectivation de se mobiliser sur la base de leur éthique et d’actionner leur solidarité au service de la cause humaniste qui leur est commune. Les praticiens en psychothérapie relationnelle savent que leur cause est indissociable de celle de leurs collègues travaillant en institution. Ils accueillent avec sympathie et soutiennent les analyses et prises de position de Roland Gori.

Philippe Grauer


Les malades mentaux sont plus souvent victimes que criminels

La fugue d’un malade mental jugé dangereux à Marseille (finalement rattrapé pendant la nuit du Nouvel An) a relancé le débat sur la psychiatrie.

Le psychanalyste et universitaire marseillais Roland Gori revient sur cet événement et sur les mesures annoncées par le président de la République début décembre, après la mort d’un étudiant grenoblois poignardé par un malade échappé d’un hôpital psychiatrique.

Roland Gori est l’un des trente-neuf premiers signataires de « La nuit sécuritaire« , une pétition qui dénonce ce plan pour la psychiatrie de Nicolas Sarkozy.

Un plan « aux conséquences dévastatrices » selon les praticiens, hospitaliers et universitaires, mais surtout révélateur de cette « politique de la peur » menée par le président de la République et son gouvernement qui, bien au-delà de la seule psychiatrie, usent et abusent du sensationnel et du fait divers pour « imposer des mesures sécuritaires ».

Sécurité et qualité des soins en milieu psychiatrique… est-il aujourd’hui possible de concilier les deux ?

Qu’il s’agisse du drame de Grenoble ou de l’évasion d’un fou dangereux de l’hôpital Edouard Toulouse de Marseille, je voudrais d’abord dire que nous sommes obligés de prendre en compte la souffrance des familles des victimes et des patients eux-mêmes.

Cependant, je ne vois pas très bien comment nos sociétés pourraient éradiquer ces événements. A moins de penser que l’on puisse supprimer la folie, ou supprimer les différents troubles liés à la souffrance psychique ou aux souffrances sociales.

La question alors est : quelles réponses peut-on apporter à ces situations? Bien souvent, on assiste à des crimes fous, heureusement isolés et statistiquement peu fréquents. Les médias jouent un rôle dans ce qu’ils donnent à voir de ces événements. Ils ne sont pas seulement un reflet, ils en sont aussi les acteurs, les déterminants.

Enfin, ce n’est pas par hasard si l’on montre les monstres. C’est souvent au moment même où l’on a besoin de préparer et de fabriquer une opinion, c’est-à-dire de faire de la publicité et de la propagande pour imposer des mesures sécuritaires.

Vous dites « des crimes statistiquement peu fréquents »…

Si vous prenez le rapport de la commission « Violence et santé mentale », en 2005, sur 51 411 mises en examen dans des affaires pénales, 212 ont bénéficié d’un non-lieu pour irresponsabilité mentale, c’est-à-dire 0,4% des crimes et des délits. Statistiquement parlant, le nombre de crimes et délits imputables à des malades mentaux est donc très bas.

Ce que l’on sait aussi, c’est que la prévalence des crimes violents contre les patients malades mentaux est, elle, douze fois plus importante que dans la population en général… Manifestement, les malades mentaux sont beaucoup plus victimes qu’acteurs de délits ou de crimes.

Or, le gouvernement et le pouvoir politique à son plus haut niveau ont connaissance de ces chiffres. On ne dit pas aux malades mentaux: on va vous protéger des réactions de la société, ce qui est le rôle de l’Etat, d’être tiers. Non, on dit à l’opinion publique: nous allons vous protéger des malades mentaux.

Pourquoi alors instrumentaliser la maladie mentale ?

Aujourd’hui, le président de la République utilise le fait divers pour faire passer sa politique? Pour moi, l’instrumentalisation se situe à ce niveau-là, et elle est dramatique: on fait comme si une politique pouvait s’établir à partir de faits divers.

On ne fait pas une politique du soins à partir d’un schizophrène évadé d’un centre psychiatrique ou d’un drame qui se produit dans un service d’urgence, de Samu, ou autre… C’est extrêmement dangereux pour la démocratie.

Ce qui m’inquiète, c’est cette exploitation des émotions collectives, particulièrement dans un contexte de crise financière et de crise économique, qui va avec un écrasement des classes moyennes.

C’est le grand bond en arrière…

On peut alors se demander si, quelque part, nous ne sommes pas face à un renouveau du grand renfermement, tel qu’il a été à l’origine de l’hôpital. Il ne passerait pas forcément par les murs, pas une réclusion géographique, mais davantage par un quadrillage des individus et des populations, qu’on suivrait à la trace, avec la possibilité d’une surveillance numérique qui irait jusqu’au marqueur biométrique de l’humain.

Il y a cette inquiétude face à la possibilité, grâce aux moyens technologiques qui sont les nôtres, de réaliser le rêve biocratique, le rêve de biopouvoir qui était celui du totalitarisme du XXe. S’il n’y a pas de réactivité du social, du politique, du culturel face à ce quadrillage numérique des populations, jusqu’au grain le plus ténu de leur existence, ce risque est grand.

S’agira-t-il alors d’une nouvelle forme de totalitarisme ?

Oui, d’un totalitarisme light, mou, mais bien d’une forme de totalitarisme dès lors qu’on veut bien considérer qu’elle a une visée totalitaire, c’est-à-dire lorsqu’il n’y a pas de possibilité de repli intime ni de pensée qui échapperait à la surveillance du pouvoir.

Nous sommes aussi dans une culture de la réaction immédiate. C’est la culture du nouveau capitalisme, pour parler comme le sociologue Richard Sennett, avec ses nouvelles valeurs. C’est la promotion d’un homme conçu comme micro-entreprise libérale, autogérée, ouverte à la concurrence qui, sur le marché de sa relation aux semblables, doit être réactif, flexible, mobile.

Ce qui est fou, c’est qu’on vient d’avoir la preuve que cette idéologie libérale née du milieu des affaires conduit dans le mur et on essaye pourtant d’introduire ces valeurs qui ont fait la preuve de leur inefficacité dans le soin, dans l’éducation, dans l’information, dans la culture.

Comment cela se traduit-il dans notre système de soin ?

Il ne faut pas faire croire aux populations qu’on va les préserver du meurtre, de la folie, de la délinquance, parce qu’on enfermera un peu plus de fous, en passant, par exemple, de cinq unités pour malades difficiles (UMF) à neuf.

On ne dit pas qu’on a fermé un nombre de lits faramineux, qu’on a accru les cadences des soignants, qu’on a recomposé leur conception du soin, qu’on les a enfermés dans un système qui les empêche de bosser.

Ce qui compte, c’est l’acte. L’homme est réduit à ses actes, à ses productions. Et pendant qu’on nous jette en plein visage les éléments les plus monstrueux, les réformes actuelles de l’hôpital conduisent à une conception mercantile de la santé et du soin.

Début janvier 2009, Roland Gori lancera un « Appel des Appels » pour fédérer les différents « mouvements de résistance » dans les domaines de la santé, de l’éducation, de la justice et de la culture et qui réunira, dans un premier temps, une centaine de signataires. (Ecouter l’appel)