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1 juin 2010

Instinct de survie ou paranoïa israélienne ? Avigail Abarbanel — présenté par Philippe Grauer

Avigail Abarbanel — présenté par Philippe Grauer

Israël a le droit d’être gouverné à droite extrêmement, et religieusement, toutes les nations ont droit à disposer d’un État et tous les états peuvent se trouver pratiquer des politiques inhumaines. Il ne faut pas confondre Israël, les juifs de territoire, les juifs de la diaspora et les juifs en général, l’antijudaïsme et l’antisémitisme. On peut là-dessus pour y voir un peu plus clair s’appuyer sur l’ouvrage d’Élisabeth Roudinesco, Retour sur la question juive , parmi dix autres, qui présente le mérite et l’intérêt à nos yeux de parler depuis une sensibilité de psychanalyste historienne.

C’est à partir de ce cadrage que nous vous proposons, au vu d’une actualité cruelle, l’analyse que produit Avigail Arbabanel, qui propose le modèle bien connu du stress post traumatique — ça n’est pas la découverte du siècle mais ça peut servir à réfléchir — pour jeter quelques lumières sur l’ultra violence injuste et néocoloniale de l’actuel gouvernement israélien (1).

Quand une nation verse dans le nationalisme à coloration religieuse, sa réthorique devient pénible et il faut bien trouver le courage de dire non à son orientation suicidaire. On consultera utilement J. Call, l’appel des juifs à la raison, pour compléter cette information. Abigail Arbanel milite pour un état unitaire, le Jewish Call pour deux États, cela se discute, la question n’est pas là.

C’est dans cet esprit que nous proposons à votre réflexion le présent article, qui éclaire du point de vue de notre profession et éthique une tragédie qui a bien besoin que le chœur intervienne pour s’adresser au protagoniste aveuglé par sa souffrance, qui ne se rend plus bien compte de ce qu’il fait, et prendre à témoin toute l’humanité concernée(2).

La paix soit sur Israël et la Palestine.

Philippe Grauer


Par Avigail Abarbanel

psychothérapeute née en Israël qui a émigré en Australie en 1991. Il y a quelques mois, elle et son mari se sont rendus dans les Highlands en Ecosse où ils projettent de monter leur cabinet Conseil.

Cela m’attriste de dire que l’identité du peuple juif est basée entièrement sur la survie.

Shapira comme moi-même avons perdu tous les deux notre paranoïa juive… cela signifie que nous sommes guéris du traumatisme juif. Avec le résultat que nous sommes des personnes plus saines, plus pacifiques, qui ne voient pas le monde exclusivement en terme d’adversité.

Fin 2002, Yonatan Shapira, ancien pilote sur hélicoptère Black Hawk et quelques-uns de ses camarades pilotes publiaient la Lettre des Pilotes dans laquelle ils écrivaient :

« Nous, pilotes vétérans et pilotes d’active, qui avons servi et servons encore l’État d’Israël, chaque année pendant de longues semaines, nous protestons contre les ordres illégaux et immoraux pour exécuter les attaques que l’État d’Israël lance dans les Territoires.

Nous, qui avons été élevés dans l’amour d’Israël et avons contribué à l’entreprise sioniste, refusons de participer aux attaques de l’armée de l’air sur des concentrations de population civile.

Nous, pour qui les FDI (Forces de défense israéliennes) et l’armée de l’air sont inséparables de nous-mêmes, refusons de continuer et de faire du mal à des civils innocents.

Ces actes sont illégaux et immoraux, ils sont la conséquence directe d’une occupation continue qui corrompt la société israélienne tout entière.

La poursuite de l’occupation porte un coup mortel à la sécurité de l’Etat d’Israël et à sa force morale. »

Cette lettre faisait suite à une série d’attaques sur l’enclave extrêmement peuplée de Gaza. Pour Shapira et ses camarades pilotes, la goutte qui a fait déborder le vase fut cette mission au cours de laquelle « une bombe d’une tonne (ce qui équivaut à cent attentats-suicide) avait été larguée sur une maison à al-Deredg à Gaza, l’un des quartiers les plus fréquentés de Gaza, voire du monde entier ». Shapira explique comment lui et les autres pilotes, ne pouvaient pas dormir la nuit pendant et après ces opérations. Ceci en dépit d’un briefing de Dan Halutz, commandant de l’armée de l’air à l’époque, où celui-ci déclarait « ...tout ce qui a lieu avant la mission se justifie par mon niveau moral… », et ses paroles rassurantes : « Dormez bien cette nuit… vous avez exécuté cette mission à la perfection. »

Il y a deux jours, le 11 janvier, Shapira a participé à une émission sur une radio israélienne où il était confronté à un lieutenant-colonel de l’armée de l’air israélienne, le pilote Ye’ohar Gal. Voici ce que Gal a déclaré :

« Je pense que nous devrions y aller plus fort. Dresde, Dresde. Anéantir une ville. A la fin de la journée, on nous a dit que la guerre n’était plus la même. Ce ne sont plus des chars d’assaut qui foncent en rugissant, nous ne sommes plus face à des armées à bases régulières. Les missiles visent des centres urbains. Cela ne date pas d’aujourd’hui, ni d’hier. C’est la situation depuis plus d’une décennie maintenant. Les Etats arabes ont réalisé qu’il était très difficile, sinon impossible de nous vaincre sur un champ de bataille, aussi ils ont changé leur guerre. La bataille maintenant s’engage entre la vieille dame de Jabaliya et la vieille dame de Sderot ou d’Ashdod. Toute la population, de la vieille dame à l’enfant, est une armée. Une armée qui combat. Je parle d’eux [les Palestiniens] comme d’une peuple, mais je ne les voie pas comme un peuple. Une peuple combat un autre peuple. Des civils combattent des civils. Je vous dis que nous, en tant que fils de survivants de l’Holocauste, nous devons savoir que ceci est l’essence de nos vies, et partant de là : personne ne peut jeter une pierre sur nous. Je ne parle pas de missiles. Personne ne jette une pierre sur nous en tant que Juifs. Et Yanatan [Shapira] fait partie de ceux qui ont perdu leur instinct de survie. Aussi simple que ça. Il ne comprend pas qu’une guerre de cultures est engagée ici entre les gens comme lui et les gens comme moi. Il combat pour la paix. Je veux la paix aussi, comme Yonatan… Je veux que les Arabes de Gaza fuient vers l’Egypte. C’est ce que je veux. Je veux détruire la ville. Pas nécessairement la population qui est à l’intérieur.

Soyons clairs comme le cristal : personne ne peut nous tirer dessus. Pas une balle depuis Gilo sur Jérusalem, pas un missile de Gaza sur Sderot. Je n’accepterai pas qu’une seule balle soit tirée sur nous par l’ennemi. Dès que l’ennemi ouvre le feu sur moi, mon instinct de survie me dit de détruire l’ennemi. Défaire l’ennemi. Si nous ne vainquons pas le Hamas – notre force de dissuasion vis-à-vis des Etats arabes, qui aspirent aussi à nous détruire d’une manière ou d’une autre -, malheur à nous si nous ne maintenons pas cet écart entre nous et eux. (1) »

J’ai souvent écrit sur le traumatisme juif et ses conséquences sur la façon dont les Israéliens voient la vie en général et dont ils traitent les Palestiniens en particulier. J’ai l’impression que les gens ne sont pas très intéressés par ma façon psychologique d’appréhender le conflit. Les grands médias semblent préférer des analyses purement politique ou économiques, c’est ce que je lis dans la plupart des quotidiens et que je vois sur les chaînes de télévision telles la BBC ou l’ABS australienne ou SBS. Mais les sentiments de Gal, que je sais largement repris par les médias et l’opinion en Israël – j’écoute la radio israélienne, je lis les journaux et je consulte les blogs, je corresponds avec des Israéliens -, ses sentiments prouvent une fois de plus qu’il ne s’agit pas ici simplement de politique, mais de psychologie et plus spécifiquement, de la psychologie du traumatisme juif. Ce traumatisme est antérieur à l’Holocauste et remonte à la première histoire juive sur l’identité juive, directement aux récits de l’Ancien Testament.

Gal dit que Shapira a perdu son « instinct de survie » mais ce qu’il appelle instinct de survie je l’appelle moi paranoïa juive, induite par le traumatisme. Shapira comme moi-même avons perdu tous les deux notre paranoïa juive, à coté d’un nombre croissant de militants juifs pour la paix, en Israël et hors Israël. Et Dieu merci car cela signifie que nous sommes guéris du traumatisme juif. Avec le résultat que nous sommes des personnes plus saines, plus pacifiques, qui ne voient pas le monde exclusivement en terme d’adversité. Nous ne pensons plus à chaque chose en nous demandant « si c’est bon pour les juifs ou pas », nous ne croyons pas que le but de la vie soit de protéger le peuple juif, et nous pouvons travailler d’égal à égal à côté de non juifs pour promouvoir la paix. Nous ne passons plus le moment de chacun de nos réveils à nous soucier de l’antisémitisme comme nous avons appris à le faire. Nous savons qu’il existe, comme existent aussi d’autres formes de racisme, mais nous ne lui permettons pas de définir qui nous sommes, ce que nous faisons, ou ce que nous pensons et ressentons à propos de nous-mêmes et des autres. Être libéré du traumatisme juif signifie être libre de la crainte de l’antisémitisme.

Les juifs sionistes pensent que j’ai perdu la raison parce que je ne crains pas l’antisémitisme et que je refuse de me focaliser sur lui, mais je pense que je suis saine d’esprit. J’ai reçu une fois un courriel d’un Israélien qui me disait : « Vous êtes naïve et stupide mais quoi qu’il en soit, quand ils viendront vous chercher, vous accourrez vers nous et nous vous accepterons à bras ouverts », auquel j’ai répondu « Merci, mais j’ai fait mon temps en Israël et j’ai préféré tenter ma chance ailleurs ». Essayer de le convaincre que personne n’était en train de me chercher était inutile.

Il ne s’agit pas seulement de divagations de la part d’un homme. Cela reflète les sentiments d’une majorité de juifs israéliens et de la plupart des juifs sionistes. Même les gens très instruits le ressentent aussi. Parce que nous avons été les victimes de l’antisémitisme, il ne nous est plus jamais possible de nous décontracter et il nous faut toujours rester vigilants au cas où un nouvel ennemi des juifs viendrait nous détruire.

Vivre avec un traumatisme est terrible et cela conduit précisément à ce type d’opinions et de sentiments qu’exprime Gal, et à ce genre de crimes que commet Israël actuellement. Un traumatisme causé par un passé douloureux peut vous amener à croire que tout le monde vous hait et veut vous détruire – maintenant, toujours, pas seulement dans le passé. Certains réagissent au traumatisme en devenant agressifs et en terrorisant, pour être sûrs que cela ne leur arrivera plus. Tout comme Gal l’a dit : « Personne ne jettera une pierre sur nous en tant que juifs. »

Il s’agit d’une réaction humaine à la victimisation, et en tant que psychothérapeute, je peux la comprendre. Tout le monde peut comprendre le désir de ne pas avoir mal à nouveau mais la question est de savoir à quel prix, pour soi-même et pour les autres ! Avec la détermination farouche de ne pas être blessé une nouvelle fois, on arrive à se percevoir soi-même comme vertueux et « meilleur » que les autres. En outre, l’ancienne victime va considérer la survie comme la valeur la plus élevée, au-dessous de tout le reste. Cela m’attriste de dire que l’identité du peuple juif est basée entièrement sur la survie. Trois grandes fêtes juives importantes au moins se fondent sur une victoire sanglante contre un ennemi qui cherchait à détruire les juifs : Pâques, Pourim et Hanouka. J’ai cessé de célébrer ces fêtes depuis des années, parce que je trouvais leur signification vraiment belliqueuse.

Si la vie n’est qu’une question de survie, alors il ne reste guère d’énergie pour le reste. De nos connaissances sur le cerveau humain, nous savons que vivre avec la conviction d’être sous une menace existentielle constante peut conduire à un rétrécissement du champ visuel, à une réflexion à court terme, à un manque d’empathie, à un stress permanent. Cela conduit finalement à une mentalité de repli et à une incapacité à voir l’humanité des autres. C’est Israël en 2009.

Notons ce qu’a dit Gal : « en tant que juifs ». C’est est un problème de plus avec le traumatisme. Il conduit à l’aveuglement. Les Israéliens n’acceptent pas que leur conflit avec les Palestiniens soit causé par l’occupation. Ils croient vraiment que c’est parce qu’ils sont juifs que les Palestiniens sont furieux et qu’ils les attaquent. La plupart des Israéliens ne savent même pas qu’Israël a perpétré un nettoyage ethnique en 1948. La plupart des Israéliens sont convaincus au fond qu’Israël est « le bon » dans cette histoire, celui qui n’a rien fait de mal, le petit et faible David face au Goliath géant de l’antisémitisme. Pour beaucoup d’Israéliens, les Palestiniens ne sont pas comme les nazis, ils sont les nazis, des assassins psychopathes puissants, inhumains, sans visage, simples d’esprit, déterminés à exterminer les juifs en tant que juifs. Quand les Israéliens tuent des Palestiniens, ils tuent encore et encore un Pharaon et son armée (Pâques), Hamman et ses dix fils (Pourim) et l’armée d’occupation grecque (Hanouka). Les Palestiniens encaissent 2 000 ans d’une rage irrésolue qui a plus à voir avec le passé qu’avec le présent. En thérapie, nous appelons cela une « colère déplacée ». Mais je suppose que c’est plus confortable pour les Israéliens d’accuser la colère palestinienne d’antisémitisme que d’assumer la responsabilité de leur véritable histoire.

Regarder le conflit à travers les lentilles du traumatisme juif entraîne des implications très graves. Pouvons-nous vraiment surmonter cela ? Pouvons-nous expliquer aux Israéliens que leur point de vue sur la vie et sur le conflit est sérieusement vicié ? Si nous essayons de les écouter, les Palestiniens auront-ils le temps d’attendre ? Je sais par expérience personnelle, étant née et ayant grandi en Israël dans une famille juive, que cette psychologie est très puissante et très profondément ancrée dans l’identité de chacun. Y renoncer signifie remettre en question tout ce que l’on défend, et c’est douloureux. Ce fut très douloureux pour moi. Mais le coût de ne pas le faire, nous le voyons aujourd’hui à Gaza, et les Palestiniens ont vécu pendant un très long moment, généralement loin du regard vigilant du monde.

Ce qui n’aide pas Israël c’est d’avoir un ami puissant dans les États-Unis, un pays dont la façon de penser collective est très proche de celle d’Israël. Tant que les Etats-Unis permettront l’aveuglement d’Israël en usant de leur veto contre toute décision du Conseil de Sécurité des Nations-Unies, et en soutenant Israël financièrement et militairement, les dirigeants israéliens n’auront aucune raison de remettre en cause leur perception de la réalité. Israël a besoin de vrais amis qui puissent, avec une « affection solide », le sauver de lui-même, qui puissent l’aider à voir ce qu’il est incapable de voir. Laisser libre cours au traumatisme et à l’aveuglement d’Israël se fait au prix de la vie et du bien-être des Palestiniens, et c’est inexcusable.

Gal pense que Shapira n’a aucun instinct de survie mais il se trompe. Shapira et les autres font ce qu’ils font parce qu’ils savent que la survie d’Israël est menacée par les propres actions d’Israël, sa propre psychologie, pas par les Palestiniens ou qui que ce soit d’autres. Ils ne craignent pas qu’Israël soit attaqué ou que les Israéliens « soient rejetés à la mer ». Ils craignent le coût social, psychologique et spirituel pour une société qui est devenue l’un des pires exécutants de nettoyage ethnique de l’histoire moderne. Israël se désagrège de l’intérieur, perdant son humanité, sa dignité et son identité, et les Israéliens le savent.

Gidéon Lévy, dans le quotidien israélien Ha’aretz, s’interrogeait récemment : « Si les Israéliens sont si sûrs de la justesse de leur cause, pourquoi font-ils preuve de cette intolérance violente à l’égard de tous ceux qui ne sont pas d’accord avec eux ? »

The Electronic Intifada


Au cœur de la nation israélienne

Avec une identité forgée par leurs ennemis et renforcée par les institutions religieuses, éducatrices, militaires et culturelles de l’État, accompagnée d’un récit de traumatisme, les Israéliens ne sont pas prêts à se voir autrement. L’isolement protecteur contre ce qui est vu comme un monde hautement dangereux et contre quiconque est perçu comme un ennemi, est une conséquence naturelle du traumatisme.

J’ai trouvé revigorant et intéressant de discuter avec une psychothérapeute sur un sujet – Israël – que je trouve toujours plus déroutant. Comme beaucoup d’autres, semble-t-il, je me demande : Pourquoi les Israéliens font-ils ce qu’ils font ? Pourquoi continuent-ils à le faire ? Ne voient-ils voir les dommages qu’ils se créent à eux-mêmes, aux Palestiniens, à nous tous ? J’ai demandé à Avigail si elle voulait porter un diagnostic sur Israël, comme si cette nation était l’un de ses clients, et ensuite suggérer quelle sorte de traitement lui semblerait recommandé.

Voici, résumés aussi succinctement que j’ai pu, les grands axes des réponses d’Avigail, tout en affirmant énergiquement qu’à la base de ses propos il y a une distinction claire entre explication et excuse.

Le traumatisme et ses ramifications sont au cœur de la nation israélienne

C’est le principe organisateur de la population et de la psychologie israéliennes qui a façonné son caractère national. Mais ce n’est pas à cause de l’Holocauste de la Deuxième Guerre mondiale ; la semence était déjà là, dans la culture, dans les récits bibliques (voir Josué, voir Deutéronome, les Nombres, l’Exode) et à travers des siècles d’histoire, dont le mouvement sioniste à la fin du 19è siècle.

Les racines de la victimisation et de la persécution remontent à il y a longtemps

Malheureusement, l’une des caractéristiques du traumatisme c’est qu’il se transmet à travers les générations, et il prolifère au sein des générations

Le traumatisme, comme nous l’enseigne le TSPT (trouble de stress post-traumatique), est un phénomène cliniquement établi qui peut se manifester lorsque le sujet malade perçoit une menace existentielle. Le problème, c’est que cette menace peut être, ou ne pas être, réelle aujourd’hui. Objectivement, Israël, avec sa force militaire et sa puissance nucléaire, est l’une des plus formidables forces au monde ; pourtant, les aspects irrationnels d’insécurité persistent, entretenus au lieu d’être gérés, traités et apaisés, et aujourd’hui, amplifiés avec l’Iran.

Avec une identité forgée par leurs ennemis et renforcée par les institutions religieuses, éducatrices, militaires et culturelles de l’Etat, accompagnée d’un récit de traumatisme, les Israéliens ne sont pas prêts à se voir autrement.

Ceux qui le leur proposent — vous, moi, les juifs libéraux, le juge Goldstone — sont exclus, considérés comme hostiles à Israël, et s’ajoutent à la liste toujours plus longue de ses ennemis. Comme l’a dit George W. Bush : « Ou vous êtes avec nous, ou vous êtes avec les {terroristes ».

L’isolement protecteur contre ce qui est vu comme un monde hautement dangereux et contre quiconque est perçu comme un ennemi, cet isolement est une conséquence naturelle du traumatisme.

Les dimensions gigantesques du complexe mur/clôture construit par Israël en Cisjordanie évoquent clairement à quel point chaque homme, chaque femme, chaque enfant palestinien est considéré comme dangereux.


Sur son blog, dans la riche rubrique Palestine/Israël, Abarbanel écrit : « L’histoire d’Israël et du peuple palestinien est celle d’un traumatisme transmis d’une génération à l’autre » et « mon peuple… a permis que sa qualité de vie et son identité d’être déterminées par ceux qui le haïssaient et commettaient des crimes contre lui. » Mais elle poursuit : « La guérison est une entreprise risquée qui nécessite une volonté de changer son identité » et non pas, comme elle le dit, d’essayer d’être des timorés.

Abarbanel s’appuie sur les travaux du psychiatre américain Murray Bowen et la « relation étroite entre traumatisme et persécution, et une tendance à insister sur la force de l’intime. Quand on insiste sur l’intime, ceux qui ne ressentent pas, ne pensent pas, n’approuvent pas, et n’agissent pas comme le fait le groupe, alors ils peuvent être considérés comme des traîtres. » Citant la théorie de la différenciation de Bowen, elle croit qu’Israël est une « culture de consensus » et une « société pauvrement diversifiée… avec un sentiment individuel très, très enchevêtré et compromis avec le sentiment du groupe. »

Sur la base de cette analyse, Avigail Abarbanel pense qu’ « on ne peut pas raisonner Israël », c’est « une société traumatisée et par conséquent très dangereuse ». L’appliquant aux modèles de thérapie des familles, elle compare Israël à un époux violent, les Palestiniens à l’épouse maltraitée, et les Etats-Unis au voisin qui encourage en n’intervenant pas.

Elle plaide pour une solution à un État unique au conflit Israël/Palestine mais elle avertit que la coexistence des deux populations traumatisées exigera beaucoup d’imagination et d’intelligence.

Selon elle, il existe suffisamment de personnes capables, qualifiées et spirituelles dans le monde, dont les énergies peuvent être mobilisées pour œuvrer à la guérison et à la réconciliation le moment venu. « Ca peut être formidable, vous savez ! » ajoute-t-elle.

L’entretien se termine avec une réflexion d’Avigail sur la « traumatisation secondaire » qui peut affecter les volontaires et les militants des droits humains qui sont aux prises avec les populations traumatisées partout dans le monde. « Prenez soin de vous d’abord, » conseille-t-elle, car « vous devez aider les autres peuples… Si je suis capable de travailler de façon soutenue sans m’user… c’est uniquement parce que je me fais passer en premier. »

(JPG) * Avigail Abarbanel est née et a grandi en Israël. Elle a fait son service dans l’armée israélienne. Elle est allée en Australie à 27 ans et milite pour les droits des Palestiniens depuis 2001. Elle est conseillère en psychothérapie dans un cabinet privé de Canberra.


1) – Transcription : Eval Niv ; traduction de l’hébreu en anglais : Tal Haran.

(JPG) Avigail Abarbanel est née et a grandi en Israël. Elle a fait son service dans l’armée israélienne. Elle est allée en Australie à 27 ans et milite pour les droits des Palestiniens depuis 2001. Elle est conseillère en psychothérapie dans un cabinet privé de Canberra.

On peut la contacter sur son site : http://avigail.customer.netspace.net.au/ ou à l’adresse : avigail@netspace.net.au.

Du même auteur :

– Il faut qu’un changement se produise en Israël

– L’État policier israélien

18 janvier 2009 – The Electronic Intifada – traduction de l’anglais : JPP