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4 juillet 2008

Jacques-Alain Miller : mort aux psys ? Jacques-Alain Miller

Jacques-Alain Miller

Polémique : mort aux psys ?

On lira dans { Le Point du 3 juillet un article de Jacques-Alain Miller relatif à l’envoi annoncé vers le Conseil d’État du décret d’application de l’article 52 de la loi du 9 août 2006 sur le titre générique de psychothérapeute. L’affaire n’est pas jouée, mais elle devient vicieuse : un arrêté à la clé est déjà tout prêt, un arrêté coupe-gorge purement et simplement liquidateur de la psychothérapie relationnelle et de la psychanalyse.

C’est à ce projet de texte scélérat que s’en prend le leader de la psychanalyse qui le premier, avec Élisabeth Roudinesco, tous deux soutenus par le sénateur Jean-Pierre Sueur, s’éleva publiquement contre l’injustice qui se fomentait. L’infamie ayant consisté alors à traiter en bloc de charlatans les psychothérapeutes relationnels et leurs institutions historiques. Il s’ensuivit cinq années de conflit dont voici un nouveau rebondissement. Jacques-Alain Miller remonte au créneau. Il n’est pas seul. La société civile n’a aucun intérêt à laisser opérer cette destruction de son tissu professionnel psy réparateur complexe et multiple, éthiquement sûr, bien organisé, de qualité et utilité publique notoires.

Philippe Grauer}


C’est une bombe à retardement que les psychanalystes pensaient avoir désamorcée. Il y a cinq ans, la profession s’était élevée contre l’amendement, déposé par le député UMP Bernard Accoyer, qui voulait réglementer la psychothérapie. La loi sur le titre de psychothérapeute ne fut jamais appliquée, faute d’un décret. Mais le Conseil d’État devait remettre en selle ce décret. L’arrêté qui doit suivre provoque la colère des psychanalystes. L’un des plus éminents prend la plume dans les colonnes du Point.


Le psy est devenu pour les Français un personnage familier. Non pas que l’on sache toujours précisément ce qui distingue le psychanalyste et le psychothérapeute, le psychiatre qui donne les médicaments et le psychologue qui n’en donne pas. Dans l’opinion publique, le psy, c’est d’abord quelqu’un qui vous écoute.

C’est quelqu’un à qui se confier, à qui se fier, devant qui on peut se livrer en toute liberté. Quelqu’un qui aide la souffrance (ou l’énigme) qui vous habite à s’exprimer et à se mettre en mots. Quelqu’un qui vous reçoit en tant que vous êtes un être à part, une exception, valant par elle-même, pas n’importe qui, pas un numéro, pas un exemplaire de votre classe d’âge ou de votre classe sociale. Dans un monde où chacun sent bien qu’il est désormais jetable, la rencontre avec le psy reste une clairière, une enclave intime, on peut même dire une oasis spirituelle.

Devant l’ampleur de ce phénomène de société, les grandes institutions et les grandes entreprises ont voulu avoir leurs psys. Mais le public ne s’y trompe pas ; il sait bien quand le psy sert d’abord le maître et quand il est d’abord au service de celui qui lui parle.

Eh bien ce monde est menacé de finir. Sachez que, dans les profondeurs de l’État, des officines obscures travaillent d’arrache-pied à la mise au point d’un prototype encore secret, destiné à mettre progressivement au rancart les psys d’antant : et le psy qui, au nom de son autonomie professionnelle, résiste à sa hiérarchie ; et le psy génial, ne devant sa clientèle qu’au bouche-à-oreille ; et le psy libéral, qui ne doit de comptes qu’à son analysant. Les psys à la poubelle ! Place au techno-psy !

Le techno-psy n’aura pas pour fonction d’accueillir chacun dans la singularité de son désir : quelle perte de temps ! Non, le techno-psy n’écoute pas, il compte, il étalonne, il compare. Il observe des comportements, il évalue des troubles, il repère des déficits. Autonomie zéro : il obéit à des protocoles, fait ce qu’on lui dit, recueille des données, les livres à des équipes de recherche. Les appareils de l’État sont là dès les premiers pas de sa formation, et il leur restera soumis au fil du temps par des évaluations périodiques.

La vérité est que le techno-psy n’est pas un psy : c’est un agent de contrôle social total, lui-même sous surveillance constante. Je sais : on croirait de la science-fiction. Même Staline n’a pas osé ça. Encore plus fort que la Stasi : elle posait des micros, là on vous branche directement un technicien sur le cerveau. C’est pourtant ce à quoi tend très précisément le texte de l’Arrêté qu’un conclave de fonctionnaires de la Santé et de l’Enseignement supérieur se vante dans Paris de faire signer par leurs ministres, dans la moiteur du mois d’août.

Ce beau projet repose sur un tour de passe-passe. Il ne suffit pas de programmer la mort du peuple psy : pour que rien n’en subsiste, il faut encore le dépouiller de son nom. Techno-psy, je te baptise … psychothérapeute ! Dès que le Conseil d’État aura adopté le décret d’application de la loi sur le titre de psychothérapeute, les masques tomberont : par simple arrêté ministériel, ce sera l’An I de l’ère du techno-psy.

On songe à Brecht : le gouvernement, mécontent du peuple, décide de le dissoudre et d’en élire un autre. Ou encore à Lewis Carroll : “La question, dit Alice, est de savoir si vous avez le pouvoir de faire que les mots signifient autre chose que ce qu’ils veulent dire — La question riposta Humty Dumty, est de savoir qui sera le maître… Un point, c’est tout.”

Le pire, pourtant, n’est pas sûr. Il m’étonnerait que Roselyne Bachelot, que Valérie Pécresse veuillent attacher leurs noms à cette infamie. Et puis, il y a aussi cette jeune femme qui a témoigné publiquement de ce qu’elle devait à la psychanalyse. Devenue la “reine de cœur” de ce pays, elle ne dira pas : “La psychanalyse ? qu’on lui coupe la tête !