Par Philippe Grauer
En attendant d’y revenir nous constatons que le jugement concernant le procès absurde attenté par Judith Miller à Élisabeth Roudinesco n’a pas été gagné par celle-ci. Judith Miller se voit déboutée de ses demandes de retrait du livre Lacan envers et contre tout. Encore heureux.
L’autrice du livre est cependant condamnée conjointement avec son éditeur pour diffamation. Ce qui est contradictoire avec la décision de ne pas ordonner de retrait. Soit le livre diffamatoire est retiré soit il ne l’est pas (retiré, donc non diffamatoire) et on le laisse en circulation.
On en est là. On peut constater que cette condamnation ne respecte pas la liberté d’expression des historiens et privilégie des familles qui se prennent pour des victimes.
11 janvier 2012
Par Pascale Robert Diard
On ne touche pas impunément aux dernières volontés de Jacques Lacan.
Pour avoir écrit, dans son livre, Lacan envers et contre tout, que le célèbre psychanalyste avait été enterré « sans cérémonie et dans l’intimité » au cimetière de Guitrancourt « bien qu’il eût souhaité des funérailles catholiques » l’historienne Élisabeth Roudinesco vient d’être condamnée pour diffamation par la 17ème chambre du tribunal correctionnel de Paris.
L’auteure était poursuivie par la fille de Jacques Lacan, Judith Miller, qui estimait que cette phrase était gravement diffamatoire en ce qu’elle lui imputait « d’avoir trahi les volontés d’un mort« .
L’affaire avait mobilisé les partisans des deux parties, dans un climat électrique, à l’audience le 17 novembre 2011.
Dans son jugement rendu mercredi 11 janvier, le tribunal relève que la phrase reprochée à Élisabeth Roudinesco « par sa brièveté, sa composition et l’opposition sur laquelle elle est construite entre le souhait exprimé par Jacques Lacan, présenté comme un fait objectif et certain, et la réalité contraire de ses obsèques » sont « incontestablement contraires à l’honneur et à la considération » de la plaignante, Judith Miller.
Le tribunal refuse le bénéfice de la bonne foi à Élisabeth Roudinesco, au motif que l’auteur, « professionnelle de l’écriture maîtrisant parfaitement l’expression de sa pensée » qui a déjà consacré plusieurs ouvrages à la vie et l’œuvre de Jacques Lacan, a « manqué de prudence et de rigueur dans l’expression« , en présentant comme une « affirmation aussi concise que péremptoire« , le vœu de funérailles catholiques qui avait pu être formulé à un moment de sa vie par le psychanalyste.
Le tribunal condamne en conséquence les éditions du Seuil et Élisabeth Roudinesco à verser un euro de dommages et intérêts à Judith Miller et 6000 euros au titre des frais de justice.
Vous pouvez retourner à vos préoccupations quotidiennes.
Grand recul du droit par rapporte à la cour européenne de justice. On observera et certains s’étonneront que la communauté psychanalytique dans son ensemble n’ait pas réagi à ce procès qui pose la question de la liberté d’expression de l’historien face non seulement à une famille mais à un groupe sectaire.
En quoi l’École de la Cause freudienne et les Miller serait-ils des victimes ? ce jugement laisse entendre apparemment qu’on aurait le droit de mener des campagnes de calomnie contre une personne, comme ce fut le cas 80 jours durant, sans que le tribunal ne s’en soucie. Maître Kiejman dans sa plaidoirie avait bien évoqué l’instrumentalisation de la justice au profit d’un règlement de comptes contre la liberté d’expression d’une historienne. Comment se fait-il que cela n’ait pas été entendu ?
Il est difficile de commenter une décision de justice sans avoir soi-même recours au droit, mais les lois de notre pays qui nous permettent de jouir de la liberté d’expression nous laisseront professer qu’il y a quelque chose qui boîte dans ce jugement. Avec pour résultat qu’il n’en manquera pas pour l’estimer, au sens primitif du terme, scandaleux.
Ayant pris parti contre les loi mémorielles nous en profitons pour souligner les effets collatéraux néfastes d’une idéologie qui conduit à faire des procès à des historiens. Ce n’est tout de même pas à un tribunal d’interpréter les écrits d’une historienne en lui opposant une autre interprétation tout aussi discutable. N’aurait-il pas fallu renvoyer les procéduriers à leurs occupations quotidiennes ? nous y reviendrons quand nous disposerons de plus d’éléments.
Par ailleurs nous apprenons que l’École de la Cause freudienne dans sa lancée, en passe de devenir l’École de l’accuse freudienne, intente également un procès contre un film sur l’autisme qui lui déplait parce qu’hostile à la psychanalyse. Il s’agit du film de Sophie Robert Le mur. Sans partager la position de la réalisatrice, nous nous interrogeons sur l’opportunité de demander le retrait de l’œuvre ! Où va-t-on comme ça ? jugement rendu à Lille le 26 janvier. Nous vous en rendrons compte.
Commentaire paru sur le blog
1. On se demande en effet, à l’instar de C. Godin comment un juge a pu accepter une plainte aussi ridicule. Comble d’absurdité : l’éditeur et l’auteur sont condamnés mais la demande d’insertion d’un encart dans l’ouvrage est rejetée ; l’ouvrage peut donc continuer à être vendu tel quel dans les librairies. Ce jugement a quelque chose de politicien.
2. On peut également se demander à lire Pascale Robert Diard, si ce jugement ne sonne pas comme un avertissement pour les historiens, sommés ainsi, lorsqu’ils écrivent une biographie, de s’en tenir au seul discours des familles et de construire une « histoire » conforme aux idéaux de celles-ci. Sinistre et ridicule.
3. Espérons que tout cela n’empêchera pas Élisabeth Roudinesco de continuer à travailler comme elle l’a toujours fait.
Athos