Interview
Paul Cassia, professeur de droit à la Sorbonne, se félicite de la décision des Sages
Recueilli par LILIAN ALEMAGNA
Professeur à l’École de droit de la Sorbonne (Paris-I), Paul Cassia a fait partie des universitaires engagés contre les lois mémorielles.
Quelle est votre réaction après la décision du Conseil constitutionnel de censurer cette loi ?
C’est une bonne décision, attendue par les juristes. Son sens ne faisait pas de doute, hormis pour les auteurs de la proposition de loi, qui avaient tenté de faire prévaloir le supposé «humanisme» dont s’inspirerait leur texte sur le respect de la Constitution.
Pourquoi une «bonne décision» ?
Elle fait respecter un principe : le Parlement n’a pas à s’ériger en tribunal. Ce n’est pas à lui de qualifier pénalement des faits, et il ne peut, au regard de la Constitution, réprimer un crime qu’il a lui-même qualifié de génocide. Le texte censuré renvoie à la loi du 29 janvier 2001 qui reconnaît le génocide arménien. Le conseil a donc aussi jugé cette loi inconstitutionnelle.
Pourquoi ne l’a-t-il pas aussi censurée ?
Il aurait pu le faire, si l’on admet que la loi censurée réprimant la négation du génocide arménien ne fait que compléter celle qui l’a reconnu en 2001.
Donc, s’il en est saisi via une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), il peut le faire…
Non. Car son inconstitutionnalité découle de ce que la loi de 2001 est exclusivement déclaratoire, sans portée normative. Ce grief ne peut pas être invoqué dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité, qui ne vise à protéger que les droits et libertés constitutionnels. La loi de 2001 reste donc dans l’ordre juridique, alors même qu’elle est inconstitutionnelle. C’est un paradoxe. Quoi qu’il en soit, en exigeant que toute loi ait un contenu normatif, le Conseil constitutionnel met sans doute fin à la saga des lois mémorielles dans le droit français. Ce n’est pas au Parlement de dire l’histoire officielle.
Nicolas Sarkozy insiste : il a chargé le gouvernement de préparer un nouveau texte…
En opportunité, c’est regrettable, car il y a sans doute des urgences plus grandes. Et la décision du Conseil aurait pu permettre aux passions excessives de retomber. En droit, cette décision ferme définitivement la porte à la répression pénale de toute contestation de l’existence du génocide arménien. Il n’est pas possible de contourner la portée de cette décision fondée sur la violation du principe de liberté d’expression, sauf à se borner à reprendre, pour ne pas perdre la face, les dispositions déjà existantes qui répriment de manière générale la provocation à la discrimination ou à la haine.
Cette décision peut-elle remettre en question la loi Gayssot de 1990 contre la négation de la Shoah ?
Il y a une différence importante entre la loi censurée et la loi Gayssot – qui a d’ailleurs été jugée conforme à la Convention européenne des droits de l’homme, notamment par la Cour de cassation, qui a refusé en mai 2010 de transmettre une QPC sur ce thème au Conseil constitutionnel. La loi Gayssot ne qualifie pas elle-même les crimes nazis, mais se réfère sur ce point au jugement du tribunal de Nuremberg. Ce n’est donc pas le législateur qui qualifie le génocide, mais le juge. Seul ce dernier peut dire si un crime a été commis et quelle est la nature de ce crime. Mais, tant que le Conseil constitutionnel ne se sera pas prononcé sur la loi Gayssot, le débat sur sa conformité à la liberté d’expression continuera.