Samuel Lézé est anthropologue. Pour ce chercheur au CNRS, les théories freudiennes conservent de nombreux adeptes malgré les remises en cause dont elles font régulièrement l’objet
Entretien
Comment devient-on psychanalyste en France ?
Ni université ni diplôme En France, il n’existe pas d’enseignement universitaire qui permette de devenir psychanalyste.
Il n’y a donc pas de diplôme reconnu par l’État, contrairement à d’autres pays. » La psychanalyse est encore indépendante et il est important qu’elle le reste « , juge Denise Sainte Fare Garnot, ex-secrétaire générale de l’Association lacanienne internationale (ALI).
Formation
La première étape, obligatoire, pour un aspirant psychanalyste est de suivre lui-même une analyse. Sa durée a fait l’objet de débats infinis. Le futur analyste prend ensuite lui-même un ou plusieurs patients en » cure contrôlée » par un collègue expérimenté.
Il suit également une formation théorique dans plusieurs disciplines.
Analyse profane En 1926, Freud suscita un conflit violent en soutenant que des non-médecins pouvaient conduire une cure psychanalytique.
Cette approche, appelée {{analyse profane, } } n’est plus discutée. Le débat s’est déplacé vers l’affrontement entre la psychanalyse, centenaire, et les thérapies comportementales et cognitives (TCC) importées des États-Unis dans les années 1980.
La position de Michel Onfray dans l’espace public, celle d’un philosophe populaire qui revendique sa différence par rapport aux intellectuels dominants, y est évidemment pour quelque chose. Mais on ne peut s’en tenir à cette explication. Si son discours suscite de l’intérêt, c’est avant tout parce que la conjoncture s’y prête. Il y a une vraie » fenêtre d’opportunité « , aujourd’hui, pour ceux qui veulent s’attaquer à la psychanalyse.
La psychanalyse, c’est deux choses : une science humaine et une pratique thérapeutique. Or, d’un côté comme de l’autre, elle se trouve dans une situation de vulnérabilité. En tant que science humaine, elle est fragilisée au même titre que l’histoire, la philosophie ou la sociologie — des disciplines dont le rayonnement dans le champ académique et l’espace médiatique a fortement décliné depuis les années 1960-1970. En tant que pratique thérapeutique, elle subit de plein fouet les transformations qui touchent le secteur de la « santé mentale » depuis les années 1980.
La psychanalyse est affectée par l’affaiblissement de la psychiatrie, qui non seulement manque de moyens, de personnels et de considération, mais se trouve de surcroît concurrencée par des acteurs de plus en plus nombreux, comme les psychothérapeutes, les psychologues comportementalistes et les associations de patients, lesquelles exigent de plus en plus d’avoir leur mot à dire dans le choix des thérapies.
Face à ces nouveaux acteurs, les psychanalystes sont dans une situation de faiblesse. Dans une société qui exige dans tous les domaines des résultats immédiats et tangibles, les thérapies comportementalistes sont avantagées, parce qu’elles sont courtes et que leurs effets sont faciles à évaluer.
Une cure analytique, au contraire, prend nécessairement du temps. Le but, en effet, n’est pas de résoudre en quelques séances un problème ponctuel, mais de mettre le patient aux prises avec son histoire. Or un tel processus s’inscrit dans la durée, et ses effets directs sur la » santé » du patient sont par définition difficiles à mesurer.
Tous les acteurs de la santé mentale, en raison des transformations que je viens de décrire, ont été obligés de se remettre en question au cours des dernières années. À cet égard, il est significatif que se soient tenus successivement, entre 2000 et 2003, des états généraux de la psychanalyse, de la psychologie, de la psychothérapie et de la psychiatrie. Dans un univers de plus en plus concurrentiel, tous les professionnels — les psychanalystes comme les autres — se posent la même question : qui va gagner la bataille ?
Pour ma part, je pense que la psychanalyse, même fragilisée, dispose d’importantes ressources pour résister. D’abord parce qu’elle reste bien implantée dans les institutions psychiatriques. Il y a cinq ans, en étudiant un annuaire recensant environ 5 000 psychiatres, je m’étais ainsi aperçu qu’ils étaient 85 % à pratiquer la psychanalyse en cabinet privé. Cela prouve que celle-ci est encore considérée comme un véritable outil de soin, même s’il est vrai qu’elle est de plus en plus pratiquée en association avec d’autres traitements, médicamenteux notamment.
Les sociétés de psychanalyse sont toujours bien vivantes. La Société psychanalytique de Paris et l’École de la Cause freudienne, qui défend l’orthodoxie lacanienne, sont les plus puissantes. Mais il y en a beaucoup d’autres. Ce sont des lieux d’échanges sur la pratique et le soin, qui continuent de former psychologues et psychiatres.
Troisième signe encourageant : l’intérêt que suscite toujours l’œuvre de Freud. Non seulement Freud fait vendre sur son nom, comme le prouve le succès du livre de Michel Onfray, mais il est encore très lu. Les éditeurs le savent. Sinon, ils n’auraient pas profité de l’entrée de son oeuvre dans le » domaine public « , en janvier 2010, soixante-dix ans après sa mort, pour publier de nouvelles traductions.
La place de la psychanalyse dans une société est un révélateur de cette société elle-même, de son rapport aux normes morales et de la place qu’elle assigne à la personne. Qu’est-ce qu’une personne ? Est-ce un individu qui doit s’adapter à son milieu social ou bien quelqu’un qui façonne son milieu avec ses propres valeurs ? Cette question, dont l’enjeu est politique et moral, est au cœur des débats autour de la psychanalyse.
De ce point de vue, je suis frappé par l’angle qu’a choisi Michel Onfray pour attaquer la psychanalyse. C’est un angle de nature morale. En effet, il met l’accent sur les vices de l’homme Freud pour mieux torpiller sa théorie. Un tel appel implicite à la vertu est très » tendance « . Je ne donnerai qu’un exemple : une pétition circule actuellement contre un projet qui vise à mettre en place, pour les concours du capes et de l’agrégation, une épreuve visant à évaluer la capacité d’un candidat à agir » de façon éthique et responsable « . On peut se demander dans quelle société l’on vit quand la compétence d’un fonctionnaire est évaluée à l’aune de sa moralité.
Propos recueillis par T. W.
Samuel Lézé vient de publier L’Autorité des psychanalystes. L’espace politique de la santé mentale en France. 1997-2007 . PUF, 232 p., 23 euros.-
© Le Monde
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