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17 juin 2006

La psychanalyse au ministère – document Serge Ginger

Serge Ginger

Paris 16 juin 2006

Réunion de concertation au ministère, concernant
la définition des associations de psychanalyse,
en vue du décret d’application de l’art. 52

(jeudi 15 juin 2006, de 14 h 30 à 16 h 30, au ministère de la santé)

Sommaire
• présents
• déclarations de M. Brunelle
• déclarations des associations de psychanalyse
• détail des déclarations de la FF2P
• analyse de Serge Ginger : regards pessimiste, optimiste et réaliste.

Présents : une quarantaine de représentants d’organismes divers de psychanalyse, certains convoqués par le ministère, d’autres venus d’eux-mêmes [la FF2P, note de l’éditeur]
M. Brunelle, entouré de ses deux assistantes.
La FF2P était représentée par Michel Meignant et Serge Ginger.

La réunion du 15 juin a rassemblé notamment les associations de psychanalyse suivantes :

– Fedepsy
– Ecole psychanalytique des forums du champ lacanien
– SPRF Société de recherche et de formation psychanalytique
– École freudienne
– SIUEERPP
– Association de psychothérapie analytique (jungiens)
– Société française de psychanalyse adlerienne
– Société psychanalytique de Paris (SPP)
– Quatrième groupe
– Association freudienne internationale
– Cercle freudien
– École de la Cause freudienne (ECF)
– Espace analytique
– Association psychanalytique de France (APF)
– Fédération Française de Psychothérapie et Psychanalyse (FF2P)
– etc. [en effet la précision n’était pas au rendez-vous, alors que le ministère disposait des listes correctes. Toujours note de l’éditeur]

Introduction par M. Brunelle

La position du ministre est très claire : la liberté des associations loi de 1901 ne peut être remise en question. Il est exclu que l’État se substitue aux associations de psychanalystes, dans un domaine éminemment complexe et évolutif. C’est à vous qu’il appartient de faire des propositions : je suis là simplement pour vous écouter, ceci est votre réunion.

Nous reconnaissons l’absolue autonomie du champ psychanalytique, et les psychanalystes sont légalement membres de droit.

Par ailleurs, nos juristes ont confirmé qu’on ne peut être membre de droitsous conditions ! Donc, l’alinéa 4 de la loi ne sera pas appliqué !
M. Brunelle s’en tiendra exclusivement à l’objet de cette réunion, et les autres points du décret ne seront donc pas abordés.

Les représentants d’une quinzaine d’associations psychanalytiques de tous bords : freudiens orthodoxes, lacaniens, 4e groupe, jungiens, adlériens, enseignants universitaires, psychothé¬rapeutes (FF2P), s’expriment tour à tour et formulent – unanimement – un NON, catégorique ou légèrement nuancé, à toute réglementation par l’État du champ analytique.

Nous ne reprendrons pas le verbatim fastidieux des interventions de chaque organisme, mais nous nous contentons de les résumer :

Chacun explicite ses motivations variées — dont voici quelques extraits

– On ne peut définir des critères simples ; ce ne peut être qu’une nouvelle source de conflits, après une histoire jalonnée déjà de multiples scissions ! On ne peut, ni on ne veut, délimiter le champ de la psychanalyse.

– Il y aurait plus de risques à une recherche de consensus improbable qu’à l’infiltration d’usurpateurs via la création de nouvelles associations de psychanalystes.

– Il y aura, de toute manière, bien peu de psychanalystes qui vont revendiquer le titre de psychothérapeute.

– Toute clôture d’un champ implique des rejets et des conflits.

– Il ne serait pas possible d’arriver à un consensus : ce n’est pas pour rien qu’il y a eu tant de scissions. L’union est impossible : il serait ridicule de vouloir uniformiser les écoles. Chaque association doit demeurer responsable de ses critères et de sa réglementation
interne. Il n’est pas question que l’État y jette un œil.

– Les organisations de psychanalyse ont une parfaite capacité d’autorégulation.

Plusieurs associations freudiennes estiment que seuls peuvent se prétendre psychanalystes les associations issues de la SPP (Société Parisienne de Psychanalyse) depuis sa fondation en 1926 : il « va de soi » que les jungiens et les adlériens ne peuvent se prétendre psychanalystes !… On ne saurait confondre scissions et dissidences : Adler et Jung ont été exclus. Mais cette nuance est difficile à traduire en termes juridiques.

D’autres soutiennent que « hors de la psychanalyse, il n’y a pas de psychothérapie » : cette dernière n’est qu’une variante de la cure type, sinon ce n’est pas une psychothérapie.
La psychanalyse n’est absolument pas une méthode.

M. Brunelle précise, à nouveau, que l’art. 52 ne fait pas partie du Code de la Santé. Il n’est pas question que le ministère « mette le pied dans la porte », à l’occasion d’une liste ou d’un annuaire. Il précise qu’il est à l’origine de la suppression du concept de liste, cela pour des raisons personnelles.

Que veut dire « régulièrement inscrit » ?
M. Brunelle et ses assistantes juristes répondent : Cela veut dire « à jour de ses cotisations », car on ne peut juger que de critères formels et non discuter sur le fond.

Détail des principales interventions de la FF2P
S. Ginger et M. Meignant interviennent à plusieurs reprises sur des points divers :

• Notre Fédération est une association loi de 1901. Elle a toujours regroupé des psychanalystes, depuis sa fondation, il y a plus de 10 ans. Ils ont toujours figuré sur notre annuaire. D’ailleurs, nous nous trouvons être une des associations de psychanalystes la plus nombreuse en France, puisque nous regroupons plus de 300 psychanalystes, pratiquant des psychothérapies psychanalytiques : trois associations (École ferenczienne, société adlérienne, et branche française de l’ECPP ou European Confederation for Psychoanalytical Ppsycho¬therapy) ainsi qu’une centaine de psychanalystes indépendants. Nous avons toujours considéré la psychothérapie psychanalytique comme une psychothérapie, la psychanalyse étant pour nous une approche parmi plusieurs autres, ainsi que cela est reconnu dans tous les pays d’Europe depuis plus de 20 ans. Notre changement de nom est récent, car la loi a introduit une distinction arbitraire parmi ces approches, mais cela n’a changé en rien la composition de notre Fédération, bien antérieure à la loi. D’ailleurs, certains ont suivi plusieurs formations dans diverses écoles psychanalytiques et désirent conserver leur indépendance : rester psychanalystes, mais sans s’inféoder à une obédience déterminée. Ils se sont inscrits chez nous dès la création de la FFdP en 1995.

• Nous n’avons jamais compris sur quels critères juridiques ou scientifiques reposait la distinction arbitraire de la loi — qui semble en contradiction avec le principe consti¬tutionnel d’égalité devant la loi. M. Brunelle revendique le « droit de ne pas répondre à une question… où la réponse semble contenue dans la question ».

• De plus, pourquoi privilégier une orientation psychanalytique par rapport à une autre, selon le contexte culturel provisoire d’un pays : Freud ou Lacan, en France ; Jung en Suisse ; Adler en Allemagne ; Klein ou Winnicott en Grande-Bretagne ; Kohut aux Etats-Unis, etc ! Comment l’État pourrait-il intervenir dans ces distinctions subtiles et ces choix subjectifs ?

• Il serait pour le moins paradoxal d’attribuer « de droit » le titre de « psychothérapeute » à tout membre d’une association de psychanalyse qui le sollicite… alors même que son organisation clame et écrit depuis des années que la psychanalyse n’est pas une psychothérapie ! Parallèlement, on refuserait ce titre à des psychanalystes qui ont justement adhéré à notre fédération parce qu’ils avaient délibérément opté pour la psychothérapie !

(Note : A la sortie de la réunion, à 16 h 30, nous croisons un millier de manifestants ostéopathes venus revendiquer un décret réaliste, et notamment le droit de pratiquer l’ostéopathie crânienne avec les bébés. Ils font face à plusieurs camions de CRS en tenue anti-émeutes… Ils exigent une audience immédiate du ministre…)

Analyse de Serge Ginger, secrétaire général de la FF2P

• La position des diverses associations de psychanalyse n’a surpris personne, ni les intéressés eux-mêmes, ni le représentant du ministre. Ce qui a été spectaculaire, c’était l’unanimité contre toute définition par l’État, malgré des motivations différentes.

• La nouvelle principale a été l’intention du ministère de contester un alinéa de la loi, l’alinéa 4 affirmant : Un décret en Conseil d’État précise les modalités d’application du présent article et les conditions de formation théoriques et pratiques en psychopathologie clinique que doivent remplir les personnes visées aux deuxième et troisième alinéas.

Le ministère n’a pas l’intention de l’appliquer aux personnes visées au 3e alinéa, soit les médecins, psychologues et psychanalystes !

Reste à savoir si la Conseil d’État acceptera une telle lecture tendancieuse.

• Si elle était acceptée, on arriverait à une situation caricaturale :

– Seraient acceptés comme « psychothérapeutes » garantis par l’État, sous réserve qu’elles en fassent la demande, de nombreuses personnes n’ayant aucune formation ni en psychothérapie, ni en psychopathologie (tels qu’un radiologue ou un médecin oto-rhino, ou encore un psychologue du travail, ou bien un psychanalyste issu d’une filière littéraire) !

– Tandis que risqueraient d’être refusés des praticiens en psychothérapie privés, dûment formés, pendant de nombreuses années, à la psychothérapie et à la psychopathologie !

La profession serait ainsi officiellement dévalorisée et les usagers seraient exposés à de nombreux risques :

– être pris en charge par des charlatans, sans aucune formation spécifique ;

– tomber sur des représentants d’une secte, regroupés sous couvert d’une association de psychanalyse (fondée à cet effet) automatiquement agréés, de ce fait, comme psychothérapeutes de droit ;

– les usagers n’auraient d’autre recours de sécurité que de consulter les annuaires privés de praticiens de la psychothérapie, garantis par les fédérations représentatives des professionnels.

En résumé

1 • Lecture pessimiste :

Un décret serait publié en plein été (comme l’a été la loi), pour limiter les manifestations. Il maintiendrait une obligation de master (5 ans à l’université, sans équivalences) en psychopathologie, cela uniquement pour les psychothérapeutes proprement dits.

Après 3 années de remous sociopolitiques importants (d’oct. 03 à oct. 06), avec de nombreux échos dans les médias, « la montagne aura accouché d’une souris » congénitalement handicapée, aggravant l’insécurité des usagers, et condamnant à l’indiscipline les profes¬sionnels qualifiés, puisque bien peu d’entre eux, après 5 années en moyenne de formation de psychothérapeute, n’entreprendront 5 années supplémentaires de formation universitaire dans un domaine (la psychopathologie)… qu’ils ont déjà étudié !

Les sectes s’engouffreront dans la brèche… proposée par le gouvernement : accréditation d’office, sous réserve de fonder une association de « psychanalyse », sans aucun critère !

De plus, « l’exception française » serait, une fois de plus, la risée de toute l’Europe — ce qui serait d’autant plus regrettable qu’à l’heure actuelle, la psychothérapie française (dont la psychanalyse) est appréciée sur le plan technique et scientifique, comme l’une des plus avancées d’Europe.

2 • Lecture optimiste :

L’amendement Accoyer aura « réveillé » tant les professionnels que l’opinion publique sur l’importance de la psychothérapie. D’ailleurs, il est frappant de constater avec quelle passion de nombreuses corporations revendiquent aujourd’hui ce titre ! D’autre part, les usagers osent maintenant demander des garanties de formation.
La pratique de la profession reste entièrement libre.
L’accès au titre aussi ! Ne serait-ce que par la nouvelle porte, grande ouverte, de la « psychanalyse ».
Ceux qui n’entreprendraient pas les formalités nécessaires à l’octroi du titre de « psychothérapeute » pourront parfaitement utiliser celui de « praticien en psychothérapie » (en y ajoutant, le cas échéant, « titulaire du Certificat Européen de Psychothérapie », ou encore, par exemple, « spécialisé en Analyse transactionnelle, en Gestalt-thérapie, etc. ».

Quant au fait que la loi attribuerait ainsi le titre à certains médecins ou psychologues sans formation spécifique à la psychothérapie (ni à la psychopathologie), cela ne changerait rien à la situation actuelle — où quiconque peut s’arroger ce titre, à sa guise.

3 • Proposition simple de « sortie de crise » :
Pour en finir avec plus de 30 mois de tergiversations houleuses, la proposition d’arbitrage du 7 janvier 2006, de M. Xavier Bertrand lui-même, serait la moins mauvaise solution : obligation pour tous (conformément au texte de loi déjà promulguée), d’une formation minimale de 150 h en psychopathologie (avec possibilité de conventions avec l’université), venant s’ajouter à une formation professionnelle initiale de plusieurs années comme psychothérapeute, médecin, psychologue ou psychanalyste. Cela limiterait aussi, quelque peu, de fausses associations de psychanalyse.

Il suffirait que le ministre s’en tienne à ses propres propositions de médiation, indépendam¬ment des divers lobbies corporatistes.