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18 septembre 2007

La psychanalyse et la loi Jean-Pierre Sueur

Jean-Pierre Sueur

Rencontre internationale des psychanalystes lacaniens
1er juillet 2007 – Paris


Jean-Pierre Sueur,
La psychanalyse et la loi


Magistrale intervention. Le sénateur J-P Sueur resitue le cœur du débat qui a secoué les quatre professions du psychisme locataires du carré psy, et qui continue de devoir être pensé.

Un première pensée qui permet de comprendre les enjeux, c’est que l’Inserm, — utilisant la méthode artéfactice consistant à sélectionner un corpus de telle façon qu’il fournisse la réponse attendue au « chercheur », devenu chercheur de corpus, ou plutôt chercheur de poux dans la tête de celui qu’il a choisi d’éliminer, c’est que l’Inserm donc, nous a démontré que la psychanalyse et la psychothérapie relationnelle constituaient ensemble la partie des sciences humaines à disqualifier comme de moindre valeur, au regard néo hygiéniste des TCC, c’est-à-dire du cognitivo comportementalisme des années 50 rénové façon neurosciences.

La deuxième pensée, c’est que la sécurité nous viendra de ce que Roland Gori a si bien nommé la médicalisation de notre existence. Et plus généralement que les «  signaux électriques et chimiques du cerveau  » devenus l’alpha et l’oméga de la pensée officielle, les ministres grands prêtres scientistes prétendirent décréter la théorie juste, inspiratrice désormais de l’exécutif. On savait déjà ce que le « socialisme scientifique » avait inspiré comme déraison majeure au XXème siècle, on apprend que la même méthode de pensée fait école dans notre république. Pavlov a dû sauter de joie dans sa tombe et ses chiens croire entendre le carillon de ses sonnettes revenir persécuter leurs restes martyrisés.

Par quoi on aboutit à la troisième kolossale idée du fameux rapport Ginesti, un chef d’œuvre, qui propose d’ajouter un chapitre au 1984 de George Orwell à l’intention des tout petits qu’il se proposait de classifier dès le berceau comme on disait dans l’Afrique du Sud d’avant Mandela, afin de les redresser, pardon, guérir, avant karchérisation. L’idée conductrice de ce passionnant rapport étant que nous sommes déterminés, par nos gênes, à la naissance. Dieu ou qui vous voudrez — nous-mêmes, éclairés par l’analyse de J-P Sueur si vous préférez, nous préserve d’une telle version scientiste de la prédestination, dans laquelle l’âme et le libre arbitre sont liquidés par le règne d’un biologisme réducteur dans lequel vous et moi ne serions plus que des cerveaux électriques et chimiques certes, mais singulièrement décervelés. Les Pasdezérodeconduite on su entamer cette monstrueuse « pensée », nous saurons poursuivre le combat à leurs côtés.

Enfin, qu’il s’agisse corrélativement d’injonction de soins ou de peine plancher automatique, dans ce système de pensée le psychisme est ramené au psychopathologique, ce dernier à une médecine organiciste borgne débouchant sur une idéologie aveugle se voulant en prise directe sur le biopouvoir. Et voici pourquoi votre fille est muette. Décidément Molière n’a pas fini d’avoir raison de se moquer d’une certaine médecine.

Lisez ce beau texte et constituez librement vos signaux électriques et chimiques en une pensée critique, la vôtre, une pensée citoyenne de personne et de sujet responsable, qui ne gobe pas les illuminations scientistes d’une idéologie dangereusement à la mode cependant tout à fait résistible.

Philippe Grauer


Merci à Éric Laurent pour cette présentation.

En cette période d’hypertrophie de l’exécutif, il est peut-être utile de s’interroger sur le rôle de la loi. Souvent, lorsque des groupes d’élèves viennent me voir au Sénat, je leur demande qui est premier en France. Ils répondent : « Le président. » Je leur dis : « Non. Ce qui est premier dans une république, dans une démocratie, c’est la loi. Elle s’applique à tout le monde, y compris d’ailleurs au président. »

En cette période, je définirai le rôle qui doit être le nôtre comme celui d’un éveilleur attentif à débusquer tout ce qui, dans les pouvoirs exécutifs, législatifs, peut remettre en cause des choses essentielles dans une démocratie. Je vais vous parler de quelques épisodes récents, mais aussi d’un épisode en cours, à savoir l’arrivée la semaine prochaine d’un projet de loi sur les peines plancher, et tout ce que cela implique, car, avec les peines plancher, la boucle est en quelque sorte bouclée par rapport à un certains nombre d’épisodes précédents.

Il y a un épisode qui vous a tous inquiétés, préoccupés, qui s’est déroulé un certain soir, dans cette lumière jaunâtre qui est celle de l’Assemblée nationale ou du Sénat – parce que l’on fait toujours les lois dans une sorte de lumière un peu jaune, je ne sais d’ailleurs pas pourquoi – où a été voté, à la surprise générale, un amendement à l’unanimité. Le texte de cet amendement, qui est devenu célèbre – son auteur a d’ailleurs gagné quelques galons, puisqu’il préside maintenant l’Assemblée nationale –, je ne vais pas vous le lire, vous le connaissez, mais je vais appeler votre attention sur l’une des phrases de cet amendement : « Les différentes catégories de psychothérapies sont fixées par décret du ministre de la Santé. Leur mise en oeuvre ne peut relever que de médecins ou de psychologues diplômés. » Il y a dans ce ne que quelque chose d’effrayant, puisqu’il est écrit, à ce stade, dans cette première écriture de ce texte législatif, que la souffrance psychique ou son traitement ne peuvent relever que de la médecine. Ce qui a été qualifié aussitôt, en particulier par Jacques-Alain Miller, de retour de l’hygiénisme. Et ce qui m’a beaucoup étonné, c’est que cela ait été voté par tout le monde, en vertu d’une sorte de bon sens « sécuritaire ». Il fallait protéger. Et qu’est-ce qui protège mieux qu’un médecin ?

Ensuite, il y a eu les six versions de cet amendement. Ce qui est intéressant dans cette histoire, c’est qu’en fait une question : « quelles sont les conditions qui doivent être requises pour pouvoir s’appeler psychothérapeute ? », dont on peut évidemment parler, a été totalement instrumentalisée par une autre question, non dite au départ, qui s’est révélée être celle de la place de la psychanalyse dans la société. Et on n’a parlé dans cette affaire que de psychanalyse, avec plusieurs étapes, notamment une étape qui a consisté à revenir en arrière sur le côté extrêmement dogmatique du premier texte, et à basculer peu à peu dans une sorte de politique politicienne, avec la proposition gouvernementale en vertu de laquelle les médecins, les psychanalystes inscrits sur des listes et les psychologues seraient épargnés – cependant que les seuls psychothérapeutes [relationnels, NDLR] devraient demander et obtenir leur inscription sur des listes préfectorales, etc.

Ce qui m’a frappé dans cette affaire, c’est un autre vote qui a eu lieu à la fin du processus et qui a abouti à un formidable lapsus du législateur, puisque le législateur a adopté en dernière lecture deux alinéas totalement contradictoires. L’un disant que les représentants des trois catégories précitées seraient, de droit, psychothérapeutes. L’autre disant que pour être psychothérapeute, il fallait faire des études spécifiques de psychopathologie. Ces deux alinéas étaient – et sont toujours – complètement contradictoires. C’est-à-dire qu’après six lectures, la loi bafouillait : elle disait une chose et son contraire.

On a assisté ensuite à la volonté d’un ministre d’élaborer un décret à partir d’une loi contradictoire dans ses termes. Et cela a duré jusqu’aux dernières semaines avant les présidentielles, où il y a eu un grand acharnement (trois moutures successives !) à publier un décret – qui n’est toujours pas publié, qui, je l’espère, ne sera jamais publié. Tâche impossible pour la simple raison que si on veut faire un décret cohérent, il faut refaire la loi, car la loi est contradictoire dans ses termes.

Je voulais insister sur le fait que derrière tout cela, il y a le premier rapport de l’Inserm qui prétend démontrer que les TCC sont plus efficaces que la psychanalyse ou les psychothérapies relationnelles. Ce rapport est un pur artefact , c’est-à-dire qu’il ne fait que démontrer ce qu’il a choisi de démontrer, et que la conclusion est déjà inscrite dans la liste des travaux que les personnes qui ont fait ce rapport se sont donnés comme objet d’études.

On voit bien que derrière la question des psychothérapeutes, il y a en réalité la volonté de disqualifier l’approche psychanalytique et tout ce qui lui est lié.

Dans l’une des moutures de l’avant-projet de décret, le ministre de l’époque, M. Xavier Bertrand, écrit ceci : « Le professionnel souhaitant user du titre de psychothérapeute devra acquérir une connaissance des quatre approches de la psychothérapie validées scientifiquement : analytique, systémique, cognitivo-comportementaliste, intégrative. » C’est quelque chose d’assez extraordinaire dans l’histoire qu’un ministre décrète , puisqu’il s’agit d’un décret , en l’an 2006, quelles sont les quatre approches « validées scientifiquement » de la psychothérapie, qui sont donc toutes les quatre posées l’une à côté de l’autre, juxtaposées, comme si elles avaient toutes la même valeur, le même poids, la même réalité. Il est, bien sûr, évident que la « validation scientifique » ne relève pas du décret ! Et il y a là une très inquiétante confusion des genres.

Je veux mettre cela en relation avec d’autres faits.

D’abord avec ce qui s’est passé dans notre pays à propos de la lecture. Nous avons eu un ministre de l’Éducation nationale, M. Gilles de Robien, qui tout d’un coup a dit : il y a un grave problème dans ce pays, il faut défendre la méthode syllabique pour apprendre à lire. M. de Robien a le droit d’être partisan de la méthode syllabique. C’est un choix respectable. Mais très peu d’enseignants utilisent aujourd’hui la méthode globale, si bien que la seule question intéressante est en réalité de savoir pourquoi il faut tout à coup parler de la méthode syllabique. Bien entendu, cela n’est pas neutre dans l’idéologie du savoir et de la transmission du savoir, qui n’est pas sans rapport avec la sécurisation des esprits. Ce ministre publie un article dans un quotidien dans lequel il écrit textuellement ceci : « Les méthodes globales contredisent directement les structures de fonctionnement du cerveau. » Et sur cette question de la méthode globale et de la méthode syllabique, il écrit encore – je cite – : « Les signaux électriques et chimiques du cerveau permettent de trancher définitivement cette question. » Un ministre de l’Éducation nationale, qui devrait être garant de l’esprit critique, déclare donc que les neurosciences, ou l’idée qu’il s’en fait, nous apprennent que la méthode syllabique est la meilleure. Si je devais corriger une dissertation qui comprendrait ces assertions, je ferais de nombreuses remarques ! Mais ce n’est pas le problème. Notre ministre pense de toute éternité que la méthode syllabique est la meilleure. La seule question qu’il faut se poser est de savoir pourquoi il éprouve le besoin de justifier ce qui est son intime conviction par «les signaux électriques et chimiques du cerveau ».

Autre fait et autre affleurement du même système de pensée : le deuxième rapport de l’Inserm, qui suit le rapport de M. le député Ginesti, nous expose qu’il y aurait un grand intérêt à détecter les futurs délinquants dès l’âge d’un, de deux ou de trois ans. L’idée sous-jacente, et même explicite, est qu’il y a un déterminisme dès l’origine, en vertu duquel on pourrait prédire les futurs délinquants, de la même manière que si l’on adopte un certain nombre de méthodes issues du béhaviourisme, on pourra « guérir » facilement ces futurs délinquants, et cela sans se donner la peine, comme le font les psychanalystes, d’accomplir une tâche très importante. On va régler les problèmes de l’insécurité puisqu’on va isoler dès le début les cas qui doivent l’être, de manière à les traiter.

Affleurement suivant : les déclarations de l’actuel président de la République, alors qu’il était candidat, dans un dialogue avec un philosophe sur l’inné. À partir du moment où la criminalité potentielle est quelque chose qui relève de l’inné, on est dans un déterminisme absolu. Il faut toujours se mettre en colère contre ces propos, parce qu’ils sont le contraire de l’humanisme, le contraire de l’éducation, parce qu’ils réduisent à néant ce que peut faire la société, ce que nous pouvons faire pour l’éducation, l’accompagnement, l’émancipation d’un jeune enfant. Personne n’est, bien entendu, ainsi déterminé à l’avance de manière inéluctable !

Je pourrais continuer, mais je voudrais dans la dernière partie de cet exposé en venir à ce qui va se passer dans quelques jours. Il y avait une promesse électorale relative aux peines plancher. Les peines plancher, tout le monde comprend ce que cela veut dire : il y aura une peine, et elle sera fixe, c’est-à-dire qu’il n’y aura pas matière à discussion. Donc, un individu fait ceci, il encourt cette peine minimale, puisque c’est une peine plancher. Cela veut dire que les juges n’ont pas le droit d’infliger une peine qui soit inférieure au plancher. Il y a bien entendu dans le texte du projet de loi, qui est soumis au Sénat cette semaine et la semaine suivante à l’Assemblée nationale, un certain nombre de précautions, parce que si c’était écrit comme je viens de le dire, ce serait inconstitutionnel. Il y a donc toute une série de précautions de style.

Mais je voulais appeler votre attention sur autre chose : il y a un lien entre les peines plancher et la quasi-généralisation, dans un certain nombre de cas, de l’injonction de soins. Ainsi, l’article 5 du projet de loi étend le champ de l’injonction de soins au sursis avec mise à l’épreuve et aux peines mixtes. L’article 7 étend l’injonction de soins obligatoires à la surveillance judiciaire créée par la loi de 2005. L’article 8 organise le soin contraint en détention en prévoyant qu’aucune remise de peine ne pourra être accordée à un détenu condamné pour une infraction punie du suivi socio-judiciaire s’il refuse les soins qui lui sont proposés, etc.

Le syndicat de la magistrature vient de déclarer à ce sujet : « Ces dispositions procèdent d’une dangereuse confusion entre délinquance et pathologie psychiatrique. Le postulat semble être que tout délinquant sexuel ou criminel présente une pathologie mentale et relève donc d’une prise en charge médicale. Or, le délinquant sexuel est rarement atteint de troubles psychiatriques, il est en revanche souvent l’objet de troubles de la personnalité face auxquels la psychiatrie moderne reste encore désarmé. » « En outre – écrit encore le syndicat de la magistrature –, les psychiatres relèvent d’une déontologie médicale et ont besoin d’instaurer une relation de confiance avec leur patient. Les instituer auxiliaire de justice pour prévenir la récidive apparaît non seulement contraire à l’éthique médicale mais contreproductif. »

Alors, ce qui va se passer – et nous avons reçu beaucoup de magistrats qui nous ont dit leur inquiétude –, c’est que dès lors que les experts auront parlé, le juge ne pourra pas faire autre chose que de décréter l’injonction de soins. S’il ne le fait pas, il sera en tort. Il sera donc obligé de le faire. Dans un grand nombre de cas, de même que la peine plancher deviendra mécanique, l’injonction de soins deviendra obligatoire. L’ennui, c’est qu’il manque gravement d’experts , de médecins coordinateurs et de psychiatres, c’est-à-dire que l’on sait que l’on ne pourra pas le faire. Cependant le juge devra le faire. Et il importe au plus haut point dans le système de communication ambiant que l’on commence par dire ce que le juge devra faire avant que l’on se donne les moyens de faire en sorte qu’il puisse faire ce que l’on voudrait qu’il fasse !

Il y a là quelque chose d’absolument incroyable. J’ai dit à Mme Rachida Dati que l’on aurait aimé qu’elle vienne nous parler des moyens pour la justice ou des moyens pour la prison. Parce que si l’instauration des peines plancher a de l’effet, cela se traduira par une augmentation du nombre des détenus. Si on surpeuple des prisons qui sont déjà surpeuplées, cela posera quelques problèmes. Or, l’une des principales causes de la récidive, c’est la manière dont on vit dans les prisons, et la manière dont on en sort, et, trop souvent, la carence, à la sortie de prison, de l’accompagnement qui serait nécessaire pour éviter la récidive. On ne peut pas lutter efficacement contre la récidive sans prendre ces questions à bras le corps.

Mais je reviens au sujet. Le sujet, c’est la volonté de sécurisation par l’injonction de soins automatiques, comme il y a une recherche de sécurisation par la peine plancher automatique. Les juges deviennent donc des distributeurs de peine et des distributeurs d’injonctions de soins automatiques.

C’est pourquoi je disais tout à l’heure que la boucle était bouclée, car il y a là exactement la même logique que ce qu’illustraient les exemples précédemment évoqués : on va guérir de la délinquance par une certaine idée de la médecine, comme tout à l’heure on allait se prémunir contre les charlatans par le « ne que » hygiéniste, comme on veut justifier une méthode pédagogique par la neuroscience, comme on entend régler les problèmes de la sécurité en détectant une série de prédestinations. Il y a derrière tous les faits que je viens de citer le même substrat idéologique.

Pour finir, je voulais vous remercier parce que je sais que si un certain nombre de législateurs, de politiques, s’efforçaient d’être vigilants, vous avez su d’abord vous-mêmes être vigilants et vous mobiliser dans cette affaire-là. J’ai été sensible à une phrase de Clotilde Leguil que je veux citer : « Si l’inconscient de Freud, celui de Lacan, permet justement de penser une nouvelle sortie au déterminisme, le cerveau des neuroscientistes et tout ce qui va avec, quand il prétend s’identifier au psychisme, condamne quant à lui le sujet à un déterminisme définitif. Les précédents ne manquent pas. » Ces précédents qui, en effet, ne manquent pas, montrent que l’on doit s’inquiéter chaque fois – et actuellement c’est souvent le cas – qu’un pouvoir instrumentalise la médecine, une certaine idée de la médecine et une certaine idée du traitement de la souffrance psychique au service de l’idée qu’il se fait de l’ordre culturel et social.

Je vous remercie.