COMMUNIQUÉ DU MOUVEMENT UNIVERSITAIRE POUR LA PSYCHANALYSE.
Ce qui est bon pour la General Motors est bon pour l’Amérique, avait-on coutume d’entendre dire dans les années 30 outre-atlantique. La GM a connu récemment bien des tracas et l’on ne saurait jurer que l’adage reste vérifié. Par contre ce qui est bon pour la psychanalyse le demeure pour la psychothérapie relationnelle, à charge de vérifier la réciprocité de la proposition.
Le professeur Maleval nous fait part d’un des derniers hauts méfaits de l’AERÈS, dont fort heureusement nous ne dépendons pas car pour en dépendre il faut commencer par solliciter les services d’évaluation à tout va de l’Agence. Mais la proclamation de l’existence nouvelle d’arcanes administratifs permettant aux pouvoirs publics de s’immiscer dans le débat sur l’épistémologie des sciences, particulièrement les humaines, au point de se prononcer sur leur degré de scientificité, constitue une nouveauté qui en effet mérite d’être saluée.
On approche dans le ridicule le fameux scientifiquement reconnu qui sert de mot de passe à l’Association européenne de psychothérapie et nous a convaincus de n’en point être. Nous ne relevons pas du CNU (1) mais observons avec intérêt la tendance scissionniste au sein de la 16ème Section, qui départagerait les expérimentalistes des cliniciens — ces derniers étant proches de la psychanalyse donc de nous en vertu de notre communauté d’ordre épistémologique voici la cause de notre intérêt et solidarité.
Et puis un bref rappel au passage de la question de la scientificité des disciplines du processus de subjectivation ne fera de mal à personne et Jean-Claude Maleval est homme à ne pas se laisser impressionner par le popperisme appliqué mécaniquement à des domaines qu’il ne saurait concerner. La question de savoir en quoi une science humaine est scientifique renvoie à tout autre chose que la validation formaliste cherchant à établir si l’on peut ou non falsifier la théorie de l’inconscient, des pulsions ou du champ. Il demeure qu’il faut rappeler au super évaluateur Swendsen que sa propre science en matière d’évaluation reste courte, trop courte par principe pour étayer de son autorité celle de l’Agence chargée de régir rondement l’univers quelque peu complexe des sciences humaines cliniques.
Philippe Grauer
Par un mail diffusé sur la liste «Kamel Gana», le 25 novembre 2009, M. Swendsen annonce une bonne nouvelle : la psychanalyse est maintenant soluble dans la science. Il ne conçoit aucune difficulté à la soumettre à « une évaluation scientifique rigoureuse ». Les experts de l’AERES, nommés par le Ministère, ont donc résolu le difficile problème de savoir ce qu’est une science et disposent de critères pour le mesurer. Pourquoi gardent-ils cachées de telles découvertes qui jusqu’alors résistaient aux recherches des meilleurs épistémologues ? Ils semblent aussi avoir conclu sur une autre difficulté largement débattue : la science est-elle le seul mode de connaissance possible ? Des avancées aussi considérables ne sauraient rester réservées à quelques initiés : ils doivent maintenant les porter sur la place publique.
On peut espérer qu’ils auront mieux à nous proposer que le critère poppérien de falsifiabilité dont le caractère peu probant a été maintes fois démontré. Rappelons qu’aucune expérience ne peut s’avérer décisive pour réfuter une théorie. D’une part, parce que ce n’est jamais qu’un énoncé déterminé qui est comparé aux faits, et non la théorie elle-même, or l’on ne saurait évaluer tous les énoncés par rapport à l’expérience; d’autre part, plus important encore, si les faits observés ne confirment pas la théorie, la démarche initiale du savant n’est pas de l’abandonner, mais de la compléter par de nouvelles hypothèses. Les irrégularités factuelles par rapport aux thèses centrales de la théorie peuvent s’accumuler, les hypothèses ad hoc s’ajouteront tant qu’une nouvelle théorie n’aura pas été non seulement conçue mais aussi acceptée par la majorité des spécialistes. L’unification de la science sous l’’égide de l’épistémologie de Popper n’offrirait d’autre promesse que celle d’une stérilisation méthodologique de certains domaines. « On ne peut guère éviter la conclusion, note le mathématicien René Thom (1984), qu’il n’y a pas de critère unique de la scientificité, chaque domaine disciplinaire élabore ses propres critères de scientificité, compte tenu des possibilités déductives qui s’y présentent. Le critère poppérien de falsifiabilité est peut-être valable pour la physique (encore que je n’en sois pas sûr). C’est de la part des physiciens un acte d’impérialisme injustifiable que de vouloir l’imposer aux autres disciplines ». Dès lors, les épistémologues les plus pertinents parviennent à un constat d’échec : « le problème de la démarcation entre ce qui est science et ce qui ne l’est pas n’est pas encore épuisé » (Paty, 1982). La science est multiple. Avant les récentes découvertes de l’AERES, il n’en existait pas de définition neutre et objective.
Qui plus est, l’une des caractéristiques majeures des recherches scientifiques du XXe siècle réside dans la multiplication des démonstrations d’incomplétude. On connaît les théorèmes de Gödel qui établissent qu’il existe dans l’arithmétique des propositions à la fois vraies et indécidables. Mais il existe d’autres trous irrémédiables dans les connexions rigoureuses des lettres de la science : la réfutation de l’hypothèse du continu par Cohen, le théorème d’indécidabilité de Church, le principe d’incertitude de Heisenberg, le théorème d’arrêt de Turing, le théorème de la vérité de Tarski, etc. Il arrive que parfois une fiction tente de recouvrir l’aporie logique, tel est le cas de la fameuse thèse astronomique du big-bang, bien qu’issue de formalisations mathématiques rigoureuses, elle ne saurait clore l’interrogation sur l’origine, ni faire taire le naïf demandant ce qui précédait l’explosion initiale. Ces trous dans les énoncés les plus rigoureux viennent rappeler que les savoirs scientifiques sont des réductions discursives du réel faites à partir d’hypothèses conçues par un sujet. Or il est une condition nécessaire, mais non suffisante, pour déterminer ce qui est scientifique, c’est que ce sujet n’y apparaisse plus. Quand les résultats d’une expérience sont conditionnés par les états d’âme de celui qui la fait, comme dans l’alchimie ou le chamanisme, il y a consensus pour considérer qu’il ne s’agit pas de science. Lapsus, rêves, délires, symptômes ne peuvent trouver place dans le discours de la science : ils sont toujours singuliers et non reproductibles en laboratoires.
Une spécificité de la psychanalyse, ignorée de M. Swendsen, tient à ce que son étude porte sur le sujet qui fait la science, laquelle de ce fait doit méthodiquement le rejeter : il n’y apparaît plus que par l’entremise de trous dans le savoir, ombilics de son insertion. Vouloir faire entrer la psychanalyse dans le discours de la science équivaut à méconnaître sa spécificité. Elle relève d’un autre champ épistémologique et ne peut user sans se renier des outils propres à la méthode expérimentale.
Dès lors, le MUPP salue et approuve l’initiative des Professeurs du CNU 16e section qui refusent de participer aux expertises AERES, sachant que les critères retenus opèrent de fait une pré-évaluation particulièrement inéquitable pour la psychanalyse et la psychologie clinique. Il faut rappeler que la méthode clinique n’est pas la méthode expérimentale et que rien ne justifie épistémologiquement de vouloir subordonner la première à la seconde.
Le MUPP demande aux psychologues cliniciens universitaires de ne plus participer aux expertises de l’’AERES – sachant que dans leur mode actuel elles ne peuvent conduire qu’ à la disparition de leurs formations.
Seule la proposition de scission du CNU 16e section proposée par le Syndicat National des Psychologues pourrait permettre de sortir d’’une situation délétère qui alimente depuis des décennies des tensions entre psychologues intervenant à l’université.
Pour le {Mouvement universitaire pour la psychanalyse }.