Comme tous les psychiatres, Lucien Tenenbaum entend par la psychothérapie celle qu’il pratique, et comme il est psychothérapeute relationnel, cela sonne psychothérapie relationnelle là où il se contente de dire psychothérapie. Au fil du texte des crochets rétablissent dans notre terminologie l’adjectif relationnel manquant dans le texte de l’auteur, ce qui permet nous l’avons vu d’en finir avec l’amalgame provenant de l’usage du terme générique psychothérapie pour désigner dans un ensemble à proprement parler confondant les psychothérapies à protocoles, fonctionnelles ou « symptomatiques » (1), d’inspiration comportementaliste, tout aussi bien que notre {relationnelle, d’inspiration néo humaniste.
On connaît ce genre de confusion, parfois dangereuse, mais l’intelligence et l’élégance de son texte rendent cette ombre au tableau supportable. Il convient toutefois de ne jamais perdre de vue cette petite différence, qui nous distingue de la psychothérapie au sens générique, sans quoi tout le développement de notre ami Tenenbaum risque d’en pâtir. Réjouissez-vous quoi qu’il en soit de ce texte — dont les intertitres sont de notre cru, nos propres notes étant signées PHG —, ça en vaut non pas la peine mais le plaisir, sinon la jouissance.
Et réjouissance. Naturellement, quand un psychiatre médecin-chef parle de notre psychothérapie relationnelle, qu’il aime, illustre et soutient avec talent, nous nous réjouissons de l’entendre dire des vérités sur la médecine et l’université, leurs prétentions et leurs dérives. Son propos nous conforte, son argumentation touche juste et nous rappelle que c’est l’adversaire que blesse son bât. Le plutôt bas niveau des attaques populistes faisant rideau de fumée contre nous déployées exige en effet que nous n’oublions jamais que les innovateurs et porteurs d’avenir c’est nous, que nous procédons de la bonne autorité scientifique en sciences humaines cliniques. Notre psychothérapie relationnelle se voit attaquée, comme naguère et encore la psychanalyse. Recevons comme il convient cette sorte d’hommage historique.
Dans un tel contexte ce texte contribue à la fierté de notre sentiment identitaire disicplinaire et professionnel. Remercions-en ici l’auteur. Il nous rappelle que le danger ne vient pas de nous.
Mais de l’ignorance dans laquelle se tiennent tant de nos chers universitaires (2) doctement, scientistiquement, au nom du principe d’évaluation consistant à mesurer à tort et à travers, occultant ce qu’il en est de la relation comme concept critique et novateur, rejetant l’intersubjectivité, refusant le procès de subjectivation dans et à partir de la relation.
Pire, à côté, au-delà, du supposé savoir, se dessine la redoutable silhouette du veux pas savoir. Tristes temps pour notre université. Nos détenteurs de la vérité scientiste neurologique comportementaliste et évaluative fondent, à l’heure de la complexité et de la multiréférentialité, leur arrogance sur des bases périmées. Ils jouent leurs machines et machineries, idolâtres post-modernes, adeptes d’un management procustéen, à l’heure de l’âme.
Face au colosse aux pieds d’argile, fragile et sonnant creux, nous avons la chance de représenter l’avenir. Il n’y a vraiment pas de quoi se plaindre ; à terme, et dès maintenant pour une grande part, nous avons gagné. Dès lors la question du nom sous lequel nous serions appelés à opérer devient annexe. C’est l’apport de notre précieuse et irremplaçable pratique qui continuera de compter, là-dessus, pas de souci.
Philippe Grauer}}
Lucien Tenenbaum a assumé pendant une vingtaine d’années la responsabilité de médecin-chef psychiatre dans un établissement public. S’intéressant à des approches alternatives de la guérison, il développe à partir de 1989 sa propre pratique psychothérapeutique en libéral. Soucieux d’aider chacun à trouver son propre centre de gravité, il a développé une pratique personnelle largement fondée sur le corps, la forme, l’intuition, le présent.
Il est l’auteur de La Bascule des mal-aimés , de La psychothérapie, un savoir étrange aux éditions du Souffle d’Or, de Écrire, parler, soigner en chinois aux éditions You-Feng et de La dépression, une épreuve moderne aux éditions L’Harmattan (3).}
S’il est un domaine constamment créateur d’innovations et d’emplois et dont un nombre croissant d’usagers apprécie les services, c’est bien la psychothérapie. Comment comprendre, dans ces conditions, que les pouvoirs publics la diabolisent et s’évertuent à inventer une règlementation pour prévenir de dangers et de délits pour lesquels il existe déjà un arsenal juridique conséquent ?
Plusieurs hypothèses sont possibles. En dehors d’un lobbying corporatiste jaloux, et sans l’exclure, il semble que ce phénomène social, nouveau et d’ampleur croissante, qu’est la psychothérapie provoque chez les politiques un tel obscurcissement de leur pensée qu’il leur devient difficile de réfléchir.
Les risques liés au travail psychothérapique sont réels. Certains comportements délictueux, clairement définis par le code pénal, attentats sexuels, abus d’autorité ou de faiblesse, escroquerie, captation, voire criminels comme les viols, tombent sous le coup de la loi et justifient des poursuites.
Les pouvoirs publics, qui s’en soucient (4), y ajoutent des comportements dont la définition est beaucoup plus hasardeuse (5), dérives sectaires, charlatanisme. Ce glissement de la définition juridique – pervers, sectaire, ou charlatan – conduit à lancer des anathèmes, au risque de favoriser tous les amalgames et de jouer sur les réflexes émotionnels. De fait, le discours gouvernemental a pris l’allure étrange d’une répétition incessante et hypnotique d’accusations vagues, répétition que je dis hypnotique, car le procédé endort tout le monde et empêche de poser les questions de façon rationnelle.
Tous les jours ou presque, des médecins sont poursuivis et, quelquefois, condamnés pour les délits et crimes dont on soupçonne les psychothérapeutes de menacer les usagers. Pas n’importe quels psychothérapeutes d’ailleurs, le contexte indique clairement qu’on vise les psychothérapeutes qui ne sont ni médecins ni psychologues, c’est à dire les ni-ni 3. Comment le législateur a-t-il pu penser que le risque était lié à l’absence de diplômes et que la parade en était l’enseignement universitaire de la psychopathologie, alors que ces dispositions, qu’on prétend imposer aux psychothérapeutes ni-ni(6), semblent pourtant avoir fait la preuve de leur inefficacité. L’expérience montre que les praticiens auxquels la législation nouvelle confère le droit d’exercer la psychothérapie ès qualités présentent exactement les mêmes risques pour l’usager. Et si, dans le cas des psychothérapies, on remet en cause la psychothérapie et la formation psychothérapique, pourquoi, quand il s’agit de médecins, psychiatres ou psychologues, ne remet-on pas en cause la médecine, ou la psychologie ou les formations universitaires diplômantes ?
De nombreux faits, dont beaucoup n’arrivent même pas en justice, parce que les victimes, déjà victimes toute leur vie et pour cela venues en thérapie, sont peu enclines à élever la voix, montrent que l’exercice de la psychothérapie, quelle que soit la formation initiale du praticien qui l’exerce, comporte des risques. Pas seulement d’ailleurs l’exercice de la psychothérapie, mais celui de la médecine.
Une affaire récente vient jeter sur la question une aveuglante clarté. Devant la Cour d’Assises de la Dordogne a comparu le Dr C., psychiatre à Bergerac, accusé de viols sur quatre de ses patientes. Ils les auraient placées, « par des pratiques inhabituelles(7) », en « état de dépendance susceptible d’altérer leur volonté » afin de leur imposer des relations sexuelles. Il rejette ces accusations comme affabulations, voire comme allégations délirantes. Un expert décrit sa personnalité comme ayant « une forte polarité narcissique(8) ».5
Voici un professionnel, le Dr C., bardé de diplômes et de qualifications, qui commet un acte, ici qualifié de viol et donc de nature criminelle, dans l’exercice de sa profession. Il a été reconnu coupable des faits qui lui sont reprochés (9). Comme on pouvait s’y attendre, le crime a été examiné sous l’angle d’une culpabilité personnelle, éventuellement aggravée du fait de la situation d’autorité sur personne vulnérable, mais à aucun moment n’ont été remis en cause ni sa formation professionnelle ni le jugement de ceux qui l’ont reconnu apte à exercer ce métier…
Quand les affaires de cet ordre concernent des médecins, celles du moins qui arrivent jusqu’au tribunal, les juges concluent à la faute personnelle du médecin, dans tous les cas dont j’ai eu à connaître. Il s’agit pourtant, par définition, d’actes commis dans le cadre professionnel, à l’égard de personnes vulnérables par définition – tout ce qui est reproché aux psychothérapeutes. Jamais les jugements n’incriminent la formation professionnelle du médecin ou les carences de celles-ci, voire sa méconnaissance éventuelle de la psychopathologie et des « mécanismes normaux et pathologiques » (comme dit la ministre), alors qu’il s’agit de fautes identiques commises dans des contextes identiques, qu’on soit médecin, psychiatre, psychologue, psychanalyste, psychothérapeute, éducateur, etc.
Or ces risques sont bien des risques professionnels. Lors du procès du Dr C., les experts ont clairement décrit les dangers propres à cet exercice professionnel. La relation qui se déroule entre deux personnes dans le cabinet médical est de nature particulière. Un expert explique que la relation sexuelle, si elle est avérée, « ne peut être considérée comme librement consentie » dans ce contexte. Un autre expert dit : « ces personnes [les patientes] n’ont pas opposé de refus mais elles n’ont pas non plus donné leur consentement », ajoutant qu’elles étaient prises « dans un processus d’idéalisation colossale du soignant qui rendait la situation extrêmement dangereuse ». On dépiste les défauts de la vue chez les pilotes de ligne. Pourquoi pas les traits de personnalités susceptibles de dérives perverses chez les professionnels de la santé ?
Après la cour d’assises, voici la scène théâtrale. Le Dr Knock (10), pour être un personnage de théâtre, ne ressemble-t-il à personne ? N’est-il pas un virtuose du diagnostic et un médecin parfaitement formé ? Mais s’il peut si bien berner, manipuler, embobiner son monde, jusqu’au bon vieux Dr Parpalaid, et le réduire à sa dépendance, n’est-ce pas parce qu’il connaît des choses qui ne relèvent d’aucun enseignement universitaire médical et dont nul ne s’est soucié de le prévenir. Il sait tout ce qu’induit et permet une position dominante dans une relation par définition inégalitaire, ce qu’est par nature la relation médecin-malade. De très bonnes connaissances médicales et une grande aptitude au diagnostic ouvriraient-elles même grande la porte à toutes les dérives ? Alors que c’est ce que préconise avec insistance la ministre de la Santé ?
Le remède définitif aux dérives imputées aux psychothérapeutes non diplômés universitaires résiderait, pour les responsables de la santé publique, dans un enseignement universitaire. « Avant de prendre en charge une personne en psychothérapie, il est indispensable de faire un diagnostic précis, et notamment d’éliminer toute pathologie somatique ou psychiatrique qui nécessiterait une prise en charge différente, en particulier pharmacologique. C’est pourquoi il est indispensable que toutes les personnes qui utilisent le titre de psychothérapeute aient suivi au cours de leur cursus une formation théorique et clinique de psychopathologie clinique (11) ». « La connaissance du développement et des mécanismes psychiques normaux et pathologiques est indispensable », dit encore la ministre, et ceci pour deux raisons : pour faire un diagnostic et pour protéger les usagers.
Surprenant vice de raisonnement, si gros apparemment que personne ne l’a vu, peut-être suite à certaine incantation hypnotique. D’une part, on occulte avec une facilité surprenante le fait évident que ce complément, concernant la psychopathologie, est celui qu’ont reçu les psychiatres, peut-être les psychologues, sans pour autant protéger leurs patients des abus et dérives. Et ce ne sont pas les quelques heures de psychologie reçues par les médecins et autres spécialistes exposés (gynécologues, chirurgiens, etc.) qui auront pu les en prévenir. D’autre part, on commet la double erreur de confondre le diagnostic et les mécanismes, et de penser que la connaissance théorique protège les usagers.
Avant d’entreprendre une psychothérapie, dit la ministre, il faut pouvoir faire un diagnostic pour éliminer une pathologie somatique ou psychiatrique. Ceci appelle deux remarques.
D’abord, comment une formation, quelle qu’elle soit, en psychopathologie, permettra-t-elle de faire un diagnostic ? Le psychothérapeute devra-t-il aller jusqu’au scanner, à l’échographie, à l’IRM, etc. ? Le diagnostic résulte d’une démarche médicale très sophistiquée. On peut s’étonner que les médecins acceptent de le voir ainsi réduit à un apprentissage de quelques heures hors tout contexte.
Mais surtout la ministre semble ignorer que le diagnostic, en psychiatrie, ne passe plus du tout par la connaissance des mécanismes, qu’ils soient normaux ou pathologiques. Le sacro-saint D.S.M. IV (12), sur lequel repose maintenant toute démarche diagnostique, ignore délibérément tout ce qui est de l’ordre des mécanismes, des ressorts profonds, etc. etc. pour s’en tenir à l’inventaire des signes repérables et quantifiables. La démarche diagnostique semble de plus en plus orientée vers la prescription chimiothérapique et s’écarte d’une psychopathologie conçue en termes de connaissances des mécanismes (13).
Quant à la « connaissance des mécanismes », de quoi parle-t-on ?
Les mécanismes en jeu dans la relation thérapeutique et qui rendent compte à la fois de la puissance de ses effets thérapeutiques et des « dérives » possibles ne sont pas les mécanismes neurophysiologiques, normaux ou pathologiques, du cerveau des neurologues, tels que les décrit la pensée scientifique du moment. Ce sont les mécanismes de la relation humaine qui sont de tous temps, et connus et utilisés, sinon dévoilés, de tous temps et dans toutes les sociétés.
Ils sont de même nature que ceux qui engendrent les souffrances pesant sur la vie des personnes et les amenant à consulter. Ce sont les processus complexes qui accompagnent les jeux du désir et du pouvoir, de l’amour, du manque, de l’autonomisation, etc. tout ce qui forme notre propension à la dépendance relationnelle. Le risque majeur auquel ils exposent, dans un contexte de position dominante vis-à-vis d’une personne en situation de demande, – position des parents, des soignants et aidants de toute nature, des enseignants, etc. – est la prise de pouvoir sur l’autre jusqu’au risque d’abus. Mais, autant ils peuvent aliéner et faire souffrir, autant, s’ils sont utilisés à bon escient, ils peuvent soigner et libérer. La révolution freudienne, et en cela la plupart des psychothérapies peuvent s’en réclamer, a consisté à mettre à jour ces mécanismes et, en aidant à déjouer les pièges auxquels ils exposent, à montrer le rôle essentiel qu’ils jouent dans le processus thérapeutique. Quelle que soit la technique utilisée, le travail thérapeutique aide le consultant à s’extirper de ces pièges et à sortir des dépendances et aliénations où il était assujetti, quelles que soient les formes qu’elles ont prises.
On voit que par nature le travail thérapeutique vise à désaliéner le sujet et non à prendre le moindre contrôle sur son esprit. À l’inverse des positions de pouvoir voir fondés sur la conjonction du charisme d’une personne (aimantant le transfert sur elle) et d’un système de croyances. On saisit mieux le danger de l’enseignement universitaire : il fait croire aux médecins qu’ils savent et qu’ils maîtrisent la dite psychopathologie et il fait entrer patients et public dans cette croyance , terreau des abus, comme toutes les croyances. C’est l’illusion du « sujet supposé savoir », sur lequel on reviendra, qui ne fonctionne thérapeutiquement que si le sujet en question sait qu’il ne sait pas… Le processus thérapeutique conduit le consultant à sortir de l’illusion que l’autre, le thérapeute, sait… et à s’en libérer.
À ces données générales sur les enjeux relationnels, viennent s’ajouter des caractéristiques de la demande psychothérapique qui ont peut-être échappé aux responsables de la santé publique. Elles font de la psychothérapie une discipline tout à fait originale dans les sciences humaines comme dans le système de soins et la sortent, à ce titre, des cadres de l’enseignement universitaire tel qu’il a été conçu et dispensé jusqu’à présent dans notre pays.
La particularité de la demande de psychothérapie ou de psychanalyse est d’être une nouveauté floue. La souffrance qui amène la demande n’est pas nouvelle, tant s’en faut, elle est ancienne et née avec nous. Mais que des personnes fassent une démarche pour sortir de cette souffrance, disant « ça ne peut pas continuer comme ça », constitue un fait très nouveau (14). Jusqu’à maintenant, il y a eu maintes façons de supporter, justifier, valoriser cette souffrance, mais aujourd’hui elle est devenue une gêne dans notre vie. Elle nous invalide et nous handicape. Et l’être en souffrance s’entend dire « il faut que tu fasses quelque chose, que tu ailles voir quelqu’un ». Je reprends les mots les plus habituels, ne pas continuer comme ça, faire quelque chose, voir quelqu’un, pronoms indéfinis, dont le flou n’a d’égal que l’exigence avec laquelle ils s’imposent, et auxquels fait écho le vide juridique dans lequel baigne la psychothérapie ….
La nouveauté floue de cette demande, traduit des paradigmes nouveaux dont l’émergence remonte à une cinquantaine d’années dans la société occidentale. Une des nouvelles valeurs est l’exigence de bien-être sur tous les plans, matériel, social, affectif, sexuel, physique, etc. Elle est perçue comme une exigence intérieure, qui transforme la hiérarchie des valeurs, à commencer par la valeur de la hiérarchie. Elle repose sur l’idée qu’une autre vie que celle qu’on a menée jusque là est possible, une autre vie ici-bas, pas dans un au-delà, ce qui sous-entend aussi un changement des idées sur la mort. Une autre vie qu’on n’attend pas non plus d’un changement macro-social – l’histoire du 20° siècle nous a tempérés sur ce qu’on peut espérer des grands changements.
Si ce n’est du macrocosme, d’où viendra le changement ? Nouveau paradigme: la personne humaine prend une valeur inédite, centrale. Si la personne est au centre, si elle constitue une entité en elle-même, la cause des difficultés et des souffrances qu’elle vit est à l’intérieur d’elle-même. Justes ou fausses, ces idées se développent sous nos yeux, nous y contribuons et elles fondent la psychothérapie. L’origine des souffrances est à l’intérieur, de même que le remède, la ressource. La psychothérapie a pour objet d’y donner accès. Ainsi la personne trouvera-t-elle la solution, et pourra-t-elle agir sur les leviers de son fonctionnement personnel pour sortir de sa souffrance. L’idée que la personne est un univers à elle seule, qui contient la cause comme le remède, est au fondement de notre pratique. Le résultat attendu n’est plus le retour à l’état antérieur et la réintégration dans l’ordre des choses, mais un changement. La souffrance nous apparaît désormais liée à un déséquilibre intérieur, au fait que nous n’entendions plus nos besoins profonds, ou notre vérité, quelle que soit la façon de le dire.
La demande de soins résulte d’une exigence interne – nous nous devons quelque chose à nous-mêmes – mais sa satisfaction dépend de processus nouveaux et mal connus, pour lesquels nous n’avons ni modèles de référence, ni même de noms bien établis. D’où le flou et le flottement. La pression de la demande et le flou de la nouveauté ont des effets déstabilisants, qui exposent le consultant comme le psychothérapeute à des risques majeurs. Le consultant est exposé à un risque de passage dépressif, qui lui fera d’autant plus espérer du thérapeute un soutien et un aide, quitte à s’en trouver dépendant. Le thérapeute, quant à lui, est confronté à la pression d’une demande, d’une attente, qui reviennent à remettre un pouvoir entre ses mains, avec d’autant plus de force que les autres étais se dérobent. Il est d’autant plus exposé à ce risque qu’il est pour le consultant, selon la belle formule de Lacan, le sujet supposé savoir. Ce dont le consultant crédite ainsi le thérapeute est un levier très puissant dans l’entreprise où il s’engage, mais elle comporte le danger que le sujet supposé savoir croie qu’il sait et qu’il y comprend quelque chose.
La conjonction de cette double expérience, qui confronte le consultant à la déstabilisation et le psychothérapeute à l’abus de pouvoir, peut susciter le recours à des réponses de type sectaire ou religieux. Ce n’est pas la connaissance des mécanismes neurophysiologiques qui peut protéger l’usager, mais celle des enjeux relationnels et de leurs dangers. On pourrait même dire que faire porter l’effort sur l’enseignement des mécanismes neurophysiologiques et pathologiques, en ignorant les enjeux relationnels, et le visage très spécifique qu’ils prennent pour chacun, est le meilleur moyen d’exposer étudiants et professeurs à leur jeu incontrôlé, comme on l’a vu plus haut, et comme le montrent les tribunaux. On donne un pouvoir, en laissant chacun libre d’en user…
Cette connaissance reste de peu de secours dans la pratique si elle est transmise de façon théorique et scolastique, car les enjeux se situent dans l’intimité et le fonctionnement psychoaffectif de chacun, thérapeute et consultant. La connaissance des mécanismes repose d’abord sur une praxis, une expérience vécue de leur réalité, de leur impact. C’est ce qu’ont compris et que pratiquent les écoles de formation des psychothérapeutes, où depuis toujours s’effectue un travail sur le transfert et le contre-transfert in vivo in situ . Non seulement par l’étude théorique, mais avant tout par la mise en situation et le travail expérientiel qui, 7 seuls, permettent au futur psychothérapeute de s’y confronter, de se remettre en question, de voir les implications réelles de la situation psychothérapique et d’œuvrer à en préserver l’éthique et la déontologie. C’est au terme d’une formation et non d’un enseignement que s’acquiert la lucidité sur ces processus et leurs dangers.
Lucidité qui n’est pas l’objectif des sectes, précisément parce que leur bonne connaissance de ces mécanismes relationnels, à la fois cognitifs, émotionnels et affectifs, leur permet de séduire et de recruter tant de gens confrontés à la nouveauté floue.
Lucidité qui n’est pas non plus l’objectif des publicitaires. N’est-ce pas parce qu’ils ont étudié ces mécanismes et qu’ils les utilisent en toute connaissance de cause qu’ils peuvent faire avaler (au propre et au figuré) n’importe quoi aux consommateurs, en commençant systématiquement par les plus vulnérables, comme les enfants ou les personnes de faible niveau éducatif ?
Sans parler de la façon dont les politiques utilisent les mêmes mécanismes, sans les avoir étudiés en faculté, mais en les connaissant très intuitivement. Ne parle-t-on pas d’animal politique ?
Sectaires, publicitaires, politiciens utilisent ces mécanismes de façon délibérée et sans aucune intention de les dévoiler. Le faire les déconsidèrerait à leurs propres yeux, à moins qu’ils n’en soient aucunement dupes, et dans ce cas ils fonctionnent comme n’importe quel escroc. Les dévoiler à leurs « cibles » leur enlèverait tout pouvoir sur elles. Or ces deux points, lucidité sur soi-même, refus de manipulation du consultant, sont très précisément les points sur lesquels portent l’effort incessant des instituts de psychothérapie responsables et l’éthique des psychothérapeutes eux-mêmes, à travers ces deux fondamentaux que sont la formation expérientielle et la supervision. Le paradoxe est que, concernant ces dangers réels, il n’y a pas la moindre formation en milieu universitaire, puisque, à ma connaissance, il ne s’y pratique ni formation expérientielle ni supervision.
Le paradoxe est que, concernant ces dangers réels; il n’y a pas la moindre formation au milieu universitaire, puisque, à ma connaissance, il ne s’y pratique ni formation expérientielle ni supervision.
Un enseignement de la psychopathologie est justifié, et indispensable, mais ce ne peut être celui qui permet aux médecins de poser un diagnostic médical, ni celui qui permet aux psychiatres de prescrire. Le psychothérapeute doit se souvenir qu’il n’est pas médecin, qu’il n’a pas à l’être et qu’il ne le peut pas. Il doit se souvenir qu’il y a des médecins, ou un SAMU et ne pas hésiter à y recourir. La formation psychopathologique destinée aux psychothérapeutes doit montrer comment les mécanismes relationnels impliqués dans la souffrance de chaque personne fonctionnent dans le cadre psychothérapique. Elle montre comment ces processus aliènent la personne et comment on utilise leur puissance pour en dénouer les entraves. Elle fait apparaître les risques et les dangers inhérents à ce travail et comment le praticien doit prendre ses responsabilités avec la conscience claire de ses propres limites. Car être psychothérapeute, c’est aussi, et peut-être d’abord, travailler sur ses limites, sur la place que viennent prendre dans l’espace thérapeutique la peur, la panique, voire la terreur, sur le rôle qu’elles y jouent, pour éclairer les enjeux ou les obscurcir ou les occulter. C’est aussi, et surtout, comprendre comment la peur et le danger ont à voir avec la vie, voir ce qu’il y a d’alliée potentielle dans la peur et de réalité à affronter dans le danger.
Seuls des psychothérapeutes chevronnés peuvent assurer une telle formation.
Il est plus que temps pour les psychothérapeutes [relationnels] de sortir de la position victimaire qui leur fait adopter profil bas et les soumet à une recherche de respectabilité, dans une position toujours défensive. Ce qui n’a aucune raison d’être.
Ni sur le fond : l’existence de la psychothérapie, et la leur [la relationnelle] par voie de conséquence, sont liées à un mouvement profond de la société civile, que traduit une demande engendrant en retour une offre. Offre d’écoute ou d’attention ou de « soins »(15) psychothérapiques, qui se situe en dehors des offres règlementées et diplômées, car la demande est profondément originale et le besoin qu’elle traduit n’est pas près de changer.
Ni sur la forme, car peu importe le nom. Si les psychothérapeutes dûment réglementés n’y satisfont pas, les mieux placés [nous, les relationnels] pour y répondre le feront sous un autre nom. C’est aussi simple et aussi logique que cela. Il est inutile d’y perdre son énergie.