Pour Alain Abelhauser, psychanalyste et professeur de psychopathologie clinique, le décret sur les conditions d’usage du titre de psychothérapeute qui vient d’être publié «vient encore accentuer la mise à sac d’une certaine politique de prise en charge de la souffrance psychique».
Quand Alain Abelhauser parle de la psychothérapie comme multiple, et énonce qu’elle se dispense en des lieux divers, nous le suivons parfaitement. Il ne va pas jusqu’à mentionner notre existence ni celle de nos Écoles. Que voulez-vous, on est universitaire ou on ne l’est pas. Vous ne conduirez jamais aisément un de nos éminents professeurs à admettre qu’en dehors de l’alma mater, pas seulement alma mais aussi un peu domina, point de salut scientifique imaginable.
Quand donc pris dans son généreux élan de soutien à l’idéologie dominante il ajoute :
« La tâche du législateur paraissait, dès lors, simple: poser ce préalable de la formation en psychopathologie clinique à l’exercice psychothérapique, définir cette formation, et rappeler qu’elle existe et fonctionne tout compte fait assez bien en France.
C’est effectivement ce qu’énonce, grosso modo, le décret (c’est nous qui soulignons), disant que peuvent se prévaloir du titre de psychothérapeute les médecins, psychologues et psychanalystes (et psychothérapeutes actuellement en activité) justifiant de cette formation – qu’ils l’acquièrent à présent en s’y inscrivant, ou qu’ils s’en voient reconnaître la possession pour l’avoir acquise précédemment, au cours de leurs études ordinaires, » il énonce froidement une contre-vérité. Le décret stipule hénaurmo modo le contraire.
Personne chez nous n’a jamais prétendu ne pas devoir se perfectionner, et c’est avec intérêt que nos étudiants puis praticiens en exercice iraient se former et même conformer à la psychopathologie à quoi se réduit selon le législateur applaudi en ceci par le professeur, sa psychothérapie universitaire et d’État. Même, on pourrait imaginer des systèmes mixtes, nous en avons confectionné des modèles de longue date, profitables à la fois à nos Écoles et à une université ouverte — on sait que cette expression fonctionne actuellement comme oxymore dans le domaine qui est le nôtre, c’est dommage mais nous devons prendre en compte le principe de réalité.
Las ! le législateur appuyé en ceci par le professeur a prévu tout le contraire. Il a expressément prévu qu’un psychopraticien relationnel formé dans une de nos Écoles agréées devrait refaire entièrement ses études depuis le tout début, arrivé à la quarantaine ou cinquantaine et 2000 heures de formation et transformation (comme l’admet fort justement Alain Abelhauser pour ce dernier terme), dans la profession voisine et oh combien distincte de psychologue, s’il voulait exercer en qualité de psychothérapeute d’État NN.
Le bon docteur Accoyer a décidé dans sa Vengeance du Dr. A, un série B médicale qui raconte l’histoire d’une femme morte du cancer après avoir, dans une famille de médecins, préféré la naturopathie à l’oncologie, que son frère a fait serment sur sa tombe de venger du charlatanisme (Excellente idée au demeurant mais pourquoi s’en prendre aux psychothérapeutes de préférence aux naturopathes ?), le bon docteur a décidé donc, d’en finir avec les professions dites de soin constituées d’amateurs non diplômés, « commis charcutiers » reconvertis à la va-vite, détruisant les honnêtes ménages etc. Du feuilletonnesque populiste. Bref ce mythe fondateur dramatise, illustre et camoufle le vieux projet de l’Académie de médecine et le rapport Piel-Rolland, dont le fond consiste à rabaisser le statut du psychologue par rapport à la médecine — c’est en cours —, à accaparer le titre de psychothérapeute — merci c’est fait —, à normaliser au passage la psychanalyse — c’est en cours ils vont devenir « psychothérapeutes », une histoire de fous —, et à évacuer ces exotiques inclassables que nous sommes. Frappés d’invisibilité, irréductibles peut-être bien aussi.
Le professeur Abelhauser n’y voit pas malice. Il n’y voit tout simplement rien, comme ça rien ne le dérange. Il ne nous voit pas, même s’il nous regarde et dis bonjour, nous n’existons pas devant ou pour lui. Cela revient en termes sartriens à faire de nous de simples objets, en termes freudiens à se livrer aux délices du déni, en termes lacaniens l’expression est jolie elle parle de forclusion locale, en termes de relation cela revient à refuser d’entrer en relation avec nous, et de considérer la réalité des choses et des êtres. En français facile à manquer de toute capacité de reconnaissance de l’autre. Pour un psychothérapeute ça n’a jamais été recommandable. Pour un universitaire c’est élémentaire si l’autre ne l’est pas. Pour un psychopathologue je ne sais, nous demandons à voir. Il y a bien symptôme, mais en quoi consiste-t-il au juste et qui est le porteur du… chapeau symptomatique ?
Alors, dans le genre « mise à sac », Abelhauser fait comme tout le monde, comme tout son petit monde, il s’est constitué en bande pour nous dérober le nôtre au lieu de parler en termes de partage du champ, des compétences et des responsabilités, et maintenant, coup de force accompli, il se retourne contre son compère le psychiatre, qui à son tour entend l’arraisonner.
Il va aller se plaindre auprès de l’ordonnateur de tous les plaisirs psycho étatiques pour se faire confirmer qu’on va lui rendre une partie du magot confisqué. Satisfait, il repartira sur son territoire administrer sa justice corporatiste en espérant bien ne plus jamais à nouveau entendre parler de nous. Bernard Accoyer nous a dit, donnez-moi votre nom et vivez votre vie, je ne veux que votre nom. En somme, disparaissez ! Notre « disparition » n’affecte pas le professeur Abelhauser, nous ne sommes jamais apparus dans son champ de vision.
Tant d’aveuglement volontaire confond. Si bien que nous avons bien raison de ne pas vouloir nous laisser confondre. Portons fièrement un nom bien à nous. Depuis ce nom, nous n’ignorerons pas pour autant celui de nos colocataires du Carré psy, avec qui sur le terrain nous savons de longue date coopérer. Notre université se met à ressembler en matière de Sciences humaines cliniques à ce qu’elle était sous le Second Empire. Rassurons-nous, la République finit par lui succéder, ouvrir les esprits, et l’esprit public. Nous tâcherons de nous épargner la transition par les massacres de la Commune. En bon ordre dès à présent préparons l’avenir, un avenir où tous coopéreront, ne s’ignoreront pas pour survivre seuls au monde de la pensée et de la recherche, trop heureux de collaborer en se reconnaissant mutuellement.
Serait-ce trop demander ? Demandez au Roland Gori de l’Appel des appels et précédent président du SIUEERPP, si cette perspective de professions ouvertes et démocratiques de conviction lui paraît utopique.
Philippe Grauer
Le décret serait – laissent entendre la plupart des commentaires émis jusqu’à présent sur l’affaire – le dernier acte d’une longue et tumultueuse histoire. Il n’en est rien à mon avis.
Fin de la dernière décennie : Bernard Accoyer entend protéger les « usagers » du charlatanisme psychothérapique, aussi bien que du péril sectaire. Il cherche donc à faire promulguer une loi régissant l’exercice de la psychothérapie en France. Et découvre, à cette occasion, que la chose est bien plus complexe qu’il ne lui apparaissait: « la » psychothérapie n’est pas une, d’une part ; il y en a beaucoup, d’inspirations, de références, de méthodes et de visées bien différentes les unes des autres. Et, d’autre part, la formation à la plupart de ces psychothérapies est très difficilement contrôlable, puisqu’elle se fait dans des lieux également très variés, échappant de surcroît souvent aux cadres publics car supposant un engagement personnel fort de la part de ceux qui y aspirent.
Les difficultés ne s’arrêtent pas là. Comment régir une profession qui n’existe officiellement pas, sans lui donner du même coup une légitimité à laquelle on n’est pas sûr de vouloir contribuer ? Et comment le faire sans modifier simultanément l’équilibre existant entre les professions voisines ? C’est en fait toute la politique de la santé dite mentale qui est là posée et mise en jeu d’un coup.
Mais Monsieur Accoyer ne faiblit pas et, dans la loi de santé du 9 août 2004, l’article 52 prétend – enfin ! – poser les conditions d’usage du titre de psychothérapeute. On a tourné, à vrai dire, la difficulté, puisqu’une nouvelle profession n’est pas pour autant définie: ce sont simplement les conditions permettant d’user d’un titre qui le sont. Et on est loin d’avoir, ce faisant, résolu tous les problèmes, puisque cette loi s’avère plutôt contradictoire, d’une part, et surtout quasi inapplicable en l’état, d’autre part.
Trois ministres de la santé successifs vont tenter de trouver l’accord qui permette la mise en place d’un décret d’application de cette loi. Sans succès –jusqu’au 22 mai dernier, jour de la publication au Journal Officiel du Décret n° 2010-534 du 20 mai 2010 relatif à l’usage du titre de psychothérapeute. Fort de ce qu’avait déjà tenté l’amendement à l’article 22 de la loi sur la réforme de l’hôpital de mars 2009, qui tentait in extremis de lever un peu les contradictions de l’article 52, le décret admet implicitement qu’on ne peut définir « la » psychothérapie et qu’on ne peut pas plus définir les modalités de ce qui y forme. Bien. Très bien, même. C’est ce que le monde « psy » avait tenté (difficilement) de faire entendre au législateur et au politique. Mais si l’on ne peut préciser ce que doit être une formation psychothérapique qui satisfasse aux exigences de protection de l’éventuel usager, il est en revanche possible de fixer à l’exercice psychothérapeutique un préalable raisonnable : justifier d’une formation en psychopathologie clinique, qui permette au praticien de s’y retrouver dans le champ tant du fonctionnement psychique que de sa souffrance.
Parfait. Pour exercer comme psychothérapeute, il faut donc au minimum s’y connaître en psychopathologie et justifier d’une formation clinique véritable. Condition nécessaire, à l’évidence, mais non suffisante, certainement. S’il faut, en somme, à tout prix légiférer dans ce domaine, autant le faire de façon raisonnable, et réaliste. D’autant que ces formations en psychopathologie clinique existent, en France, depuis nombre d’années: elles sont présentes dans les certificats de psychiatrie, d’une part, dans les très rares cursus de psychanalyse, d’autre part, et enfin dans les masters de psychologie du même nom (psychopathologie clinique), formations de haut niveau, régulièrement évaluées et habilitées, et accessibles au terme d’une sélection rigoureuse et exigeante.
La tâche du législateur paraissait, dès lors, simple: poser ce préalable de la formation en psychopathologie clinique à l’exercice psychothérapique, définir cette formation, et rappeler qu’elle existe et fonctionne tout compte fait assez bien en France.
C’est effectivement ce qu’énonce, grosso modo, le décret, disant que peuvent se prévaloir du titre de psychothérapeute les médecins, psychologues et psychanalystes (et psychothérapeutes actuellement en activité) justifiant de cette formation –qu’ils l’acquièrent à présent en s’y inscrivant, ou qu’ils s’en voient reconnaître la possession pour l’avoir acquise précédemment, au cours de leurs études ordinaires.
Or, et c’est là toute la question, si une annexe au décret reconnaît aux psychiatres cette formation en totalité, il ne la reconnaît aux psychanalystes et à ceux qu’il nomme « psychologues cliniciens » que de façon très partielle. (« Psychologue clinicien », si c’est un intitulé couramment employé, n’est en revanche pas un titre officiel comme tel. Il y a juste des psychologues qui s’orientent en psychopathologie clinique et obtiennent un master présentant cet intitulé.)
Ne parlons que de ces derniers. L’annexe du décret prévoit de ne les dispenser que d’une partie de la formation demandée en psychopathologie clinique (250 heures d’enseignement sur 400 et trois mois de stage sur cinq). Pourquoi seulement d’une partie ? Pendant deux ans, ils ne sont formés qu’à cela, avec un volume d’enseignement et de stages bien supérieur à celui exigé comme pré-requis à l’exercice psychothérapeutique. Alors ? Serait-ce qu’on juge mauvaise, insuffisante, ou inadaptée, leur formation ? Ou qu’on veuille profiter de l’occasion offerte pour y ajouter, mine de rien, une supplémentaire ? Avec de surcroît la possibilité de contrôler l’orientation de celle-ci, et de façon plus efficace, et plus sournoise, que par le biais habituel des habilitations de diplômes universitaires ?
Que représente, en d’autres termes, cette exigence faite aux titulaires d’une formation en psychopathologie clinique de se former, s’ils veulent user du titre de psychothérapeute, à nouveau en psychopathologie clinique ? Est-ce un désaveu de leur formation actuelle ? Si tel était le cas, il importerait d’en énoncer les raisons et d’en décliner les critères. Ou est-ce une déqualification ? Si tel était le cas, il importerait de le dire clairement. Ou, pire encore, est-ce une façon –éminemment sournoise, je l’ai dit– de revenir sur telle ou telle orientation de la formation actuelle et de tenter d’y substituer une autre ? Si tel était le cas, il importerait de dénoncer vigoureusement une telle manœuvre. Mais bien sûr, pareille supposition n’est que pur fantasme et n’a pas lieu d’être.
Reste ce décret –et son annexe, plus que contestable. Fait unique, les principaux syndicats de psychologues –le Syndicat national des psychologues (SNP), bien sûr, la Fédération française des psychologues et de psychologie (FFPP) et l’association des universitaires spécialisés dans le champ de la psychopathologie clinique: le Séminaire inter-universitaire européen d’enseignement et de recherche en psychopathologie et psychanalyse (SIUEERPP)– ont fait front unis devant ce texte et émis un communiqué commun dénonçant tant son esprit que ses conséquences malsaines.
Une audience a d’ores et déjà été demandée aux ministres concernés.
Reste aussi –ce qui est peut-être le plus important de toute l’affaire– ce que ce décret, en venant s’ajouter au cortège de mesures prises, et de menaces exercées en ce domaine, représente, symptômatise, et vient encore accentuer la mise à sac d’une certaine politique de prise en charge de la souffrance psychique, la mise à sac d’une certaine préservation du lien social et, partant, la mise à sac d’une certaine conception de l’humain, tout simplement.
Face à cela, craignons qu’il n’est guère d’audience susceptible de porter remède à pareil processus.
Alain Abelhauser, psychanalyste, professeur des universités en psychopathologie clinique, président du Séminaire inter-universitaire européen d’enseignement et de recherche en psychopathologie et psychanalyse (SIUEERPP).
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