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31 juillet 2014

L’antisémitisme matrice de tous les racismes par Élisabeth Roudinesco, précédé de « Dissoudre la confusion et maintenir l’espérance » par Philippe Grauer

dissoudre la confusion et maintenir l’espérance

par Philippe Grauer

Si le sionisme c’est le mouvement politique international qui a abouti à la création et reconnaissance de l’État d’Israël, alors l’anti sionisme définirait l’attitude politique visant à liquider l’État d’Israël. Cela existe d’ailleurs. Mais si le sionisme aboutit à confondre État d’Israël et judaïsme, on aurait un État qui ressemblerait en plus grand au Vatican, une sorte de théocratie (qui peut être de forme démocratique) passablement intégriste dont tout juif serait membre national potentiel. La confusion juif / israélien nuit aux deux termes pris séparément.

Que les deux soient liés apparaît dans la figuration symbolique, la ménorah apparaissant en fond d’image quand Netanyhaou parle, comme chez nous si un crucifix adossait le président de la République dans ses prestations télévisées. L’alliance du trône et de l’autel chère à notre Restauration, qui fut un régime abominablement réactionnaire, n’a pas tenu.

Le mélange des deux prête à confusion puisqu’un juif et un citoyen israélien (l’État d’Israël comprend deux millions de citoyens arabes – de seconde zone, livrée au sous-développement mais tout de même) ça n’est pas du tout forcément la même chose, et que tant au sein de l’État d’Israël – où c’est violemment réprimé par des militants d’extrême droite, que dans la diaspora, on compte des juifs en désaccord avec le goût de l’escalade guerrière de l’actuel gouvernement israélien.

« la guerre des monstres »(1)

Comme le Hezbollah de son côté refuse de reconnaître Israël, côté bande de Gaza la figure devient dramatique, prenant l’allure d’une collusion de deux extrêmes droites. Likoud-Hamas même combat ? Comme le rappelait Fernand Raynaud s’adressant dans un sketch à son fils, si tu veux jouer au con avec moi on sera deux.

Alors que faire ? commencer par ne pas se laisser embarquer dans des effets médiatico-émotionnels, et rester ferme sur le principe de deux États – dont l’un ne soit pas un archipel de bantoustans à la botte coloniale de l’autre.

perpétuation du traumatisme

Actuellement on se trouve face à une situation tragique dont la face juive est bien décrite par Élisabeth Roudinesco disant « C’est terrible, il est arrivé la pire des choses possibles : le peuple le plus persécuté de l’Histoire, après avoir créé un État sur sa Terre promise, est à son tour devenu persécuteur. Et, en agissant ainsi, il fait reflamber l’antisémitisme partout dans le monde, qui n’en a pas besoin, car il n’est pas mort, et ne mourra jamais. C’est une véritable tragédie juive. » Nous maintenons une réserve sur cet espèce de championnat à la palme de la persécution mais faisons nôtre l’analyse. Contagion traumatique, faire endurer à autrui ce qu’on a soi-même souffert c’est le B. A. BA du genre(2). Quand cette paranoïa connaîtra-t-elle sa fin ? surtout ne se laisser ni intimider ni contaminer.

ne pas manquer de culot

Il y a du pain sur la planche de l’Histoire (qui en a vu d’autres, souvenez-vous de la Guerre de Cent ans, de celle de Trente ans si terrible pour les allemands, des Temps des troubles ça n’est pas ce qui manque). Mais au lendemain de la seconde guerre mondiale les français et les allemands s’y sont collés et ça n’a pris qu’une génération pour inverser la tendance ennemi héréditaire. Aux pires moments, maintenir le principe espérance d’Ernest Bloch, qui ne manquait pas du culot (chutzpa en hébreux et yddish) philosophique nécessaire pour oser l’utopie. Il va en falloir, de l’audace, tout autre que celle d’envoyer chars et réservistes obturer des tunnels et tuer humanitairement des « boucliers humains », pour ouvrir une nouvelle voie.

voir aussi

À propos d’une lettre inédite de Freud sur le sionisme et la question des Lieux saints

– un bel article de Dominique de Villepin dans le Figaro dont voici un court extrait :
« Ayons le courage de dire une première vérité: il n’y a pas en droit international de droit à la sécurité qui implique en retour un droit à l’occupation et encore moins un droit au massacre. Il y a un droit à la paix qui est le même pour tous les peuples. La sécurité telle que la recherche aujourd’hui Israël se fait contre la paix et contre le peuple palestinien. En lieu et place de la recherche de la paix, il n’y a plus que l’engrenage de la force qui conduit à la guerre perpétuelle à plus ou moins basse intensité. L’État israélien se condamne à des opérations régulières à Gaza ou en Cisjordanie, cette stratégie terrifiante parce qu’elle condamne les Palestiniens au sous-développement et à la souffrance, terrifiante parce qu’elle condamne Israël peu à peu à devenir un État ségrégationniste, militariste et autoritaire. C’est la spirale de l’Afrique du Sud de l’apartheid avant Frederik De Klerk et Nelson Mandela, faite de répression violente, d’iniquité et de bantoustans humiliants. C’est la spirale de l’Algérie française entre putsch des généraux et OAS face au camp de la paix incarné par de Gaulle. »


par Élisabeth Roudinesco, précédé de « Dissoudre la confusion et maintenir l’espérance » par Philippe Grauer

“L’antisémitisme est la matrice de tous les racismes”

par Élisabeth Roudinesco
Propos recueillis par Juliette Bénabent et Yohav Oremiatzki – Télérama n° 3368

Entretien | L’historienne et psychanalyste revient sur deux siècles d’antisémitisme en France. A l’heure où les manifestations pro-palestiniennes font resurgir les divisions hexagonales héritées, notamment, de l’affaire Dreyfus.

Le 03/08/2014 à 00h00- Mis à jour le 31/07/2014 à 12h33

Dans le sillage de manifestations en soutien à la population de Gaza, mi-juillet, Paris et sa banlieue ont vu des commerces tenus par des Juifs incendiés, entendu fuser d’immondes « on va vous cramer » ou « mort aux Juifs ». En dépit d’interdictions, certains rassemblements ont donné lieu à de violents débordements antisémites, mettant à mal toute opinion mesurée sur la guerre qui se déroule entre l’armée israélienne et le Hamas, dans la bande de Gaza.

L’historienne et psychanalyste Élisabeth Roudinesco, dans son livre Retour sur la question juive (1), retraçait une histoire du rejet des Juifs, en s’appuyant sur la littérature et la psychanalyse. Selon elle, depuis la Révolution française, il y a toujours eu « deux France » à l’égard des Juifs : l’une accueillante et émancipatrice ; l’autre excluante et persécutrice. Elle décrypte aujourd’hui la violence des réactions françaises.

Pourquoi le conflit israélo-palestinien déchaîne-t-il de telles passions en France ?

Il en déchaîne ailleurs aussi, ainsi à Londres, où elles s’expriment moins dans la rue mais très fortement dans les débats politiques ou universitaires, par exemple sur le port du voile. Mais la France a plusieurs spécificités. Elle a d’abord une importante immigration issue de la décolonisation des pays du Maghreb, dont certains membres s’identifient à un peuple palestinien qui revivrait, d’une certaine manière, la colonisation française. Elle a aussi une abondante communauté juive, dont une partie s’est politisée et radicalisée sous l’influence de certaines fractions extrémistes des institutions juives.

Et puis la France est un État laïque, qui refuse catégoriquement l’expression de tout communautarisme –, alors que l’Angleterre, par exemple, s’en accommode. Mais dans le même temps sa politique d’intégration semble en échec, pour des raisons économiques notamment, et la pauvreté des banlieues ne fait qu’empirer ces ressentiments et laisser libre champ au radicalisme.

D’autre part, n’oublions pas que la France est le pays de la Révolution ! Elle est profondément contrastée, et a toujours une lecture extrêmement politisée des conflits et des enjeux. Grâce à la Révolution française, puis à Napoléon, les Juifs ont acquis ici plus de droits civiques, et plus tôt, qu’ailleurs. Dès 1904, mon père est venu en France, dans le culte de Voltaire, pour fuir l’antisémitisme de Rou­manie. Nous sommes aussi le pays de l’affaire Dreyfus et de la pire des collaborations, celle du régime de Vichy. Il y a toujours eu deux France : celle que j’aime, la France ­généreuse des dreyfusards, celle qui a très tôt protégé et accueilli les Juifs, et une France réactionnaire qui a toujours été marquée par l’antisémitisme. Cette dualité fait partie de notre nature profonde.

“L’antisémitisme et le racisme anti-arabe
sont les deux facettes d’une même pensée
d’extrême droite que l’on voit grandir en France.”

L’inconscient collectif français est-il irrécupérablement antisémite ?

Non, je ne dirais pas cela, puisque la France est divisée, elle n’a pas un inconscient collectif unique. Lorsque j’entends certains brandir le vocabulaire de la Seconde Guerre mondiale [les slogans antisémites des manifestants, mais aussi les « pogroms » évoqués par le Crif (Conseil représentatif des institutions juives de France) après les débordements des manifestations de la région parisienne, ndlr], je suis outrée. Il n’y a aucune comparaison possible. Aujourd’hui, Israël est un État auquel tous les Juifs de la Diaspora ne s’identifient pas, et dont on peut critiquer la politique d’escalade. Et tout en affirmant que les cinq millions de musulmans de France ont le droit de vivre en paix, on ne peut accepter le soutien à un Hamas qui refuse de reconnaître l’existence de l’État d’Israël.

[…] Disons que l’antisémitisme va de pair avec le racisme – même s’il le précède historiquement. Le mot « antisémitisme » apparaît en Allemagne dans les années 1870. C’est la haine des Juifs en tant que prétendue race, alors que le concept précédent d’antijudaïsme, lui, était purement religieux. L’antisémitisme, c’est la matrice de tous les racismes !

En France, aujourd’hui, la montée en puissance d’un certain discours politique attise la haine contre les Juifs, c’est vrai, mais elle attise pareillement la haine contre les Arabes. L’antisémitisme et le racisme anti-arabe sont les deux facettes d’une même pensée d’extrême droite que l’on voit grandir en France.

Observez-vous une confusion entre antisionisme et antisémitisme ?

Le sionisme est un mouvement politique, historique, qui a abouti à la création de l’État d’Israël, en 1948. On ne peut donc pas aujourd’hui être « antisioniste », cela n’a plus de sens, sauf à contester l’existence même de cet État. La confusion s’opère entre hostilité à la politique israélienne d’une part, et antisémitisme d’autre part. C’est absolument stupide. Même en Israël, il existe une opposition à cette politique, bien qu’elle soit écrasée par une sorte de sursaut national, surtout en temps de guerre. En outre, une bonne partie de l’intelligentsia, pourtant très attachée à Israël, voyage et enseigne beaucoup à l’étranger, en France ou aux États-Unis, avec le risque que le pays soit livré aux forces les plus obscurantistes…

C’est terrible, il est arrivé la pire des choses possibles : le peuple le plus persécuté de l’Histoire, après avoir créé un État sur sa Terre promise, est à son tour devenu persécuteur. Et, en agissant ainsi, il fait reflamber l’antisémitisme partout dans le monde, qui n’en a pas besoin, car il n’est pas mort, et ne mourra jamais. C’est une véritable tragédie juive.

Un discours modéré sur la question peut-il encore s’exprimer en France ?
Il le faut à toute force, et je l’exprime ! À la sortie de mon livre, j’ai été attaquée de toutes parts, traitée d’un côté de « mauvaise Juive », et de l’autre de « sioniste ». Il faut s’accrocher, tenir bon. Je n’ai pas peur de dire que je soutiens l’idée d’un État palestinien, mais que je lutte contre toutes les formes d’antisémitisme ; que je suis évidemment favorable à l’existence d’Israël, mais hostile à la volonté de conquête, d’extension des territoires, à la politique désastreuse de Benyamin Netanyahou et de la droite conservatrice israélienne. Et je compatis à la souffrance des deux peuples ! Une position modérée doit être possible en France. Même si ­cela semble parfois désespéré, je continue d’avoir confiance dans les forces de progrès de ce pays.

(1) Ed. Albin Michel, 2009.