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30 décembre 2008

L’Appel des 39 : nuit sécuritaire au crépuscule de la psychiatrie Hervé BOKOBZA, Elie WINTER (Psychiatre)

Hervé BOKOBZA, Elie WINTER (Psychiatre)

Ça pétitionne, sur la nuit qui s’abat sur la psychiatrie. Hier Franck Chaumon, aujourd’hui Bokobza.

Hervé Bokobza(1), instigateur du présent Appel des 39, fut l’un des organisateurs des États généraux de la psychiatrie en 2003. Non signataire (2) du rapport Cléry Melin qui préluda sinistrement aux amendements Accoyer qui mirent le feu aux poudres psys dans notre pays, on peut néanmoins le considérer comme ayant sa part de responsabilité dans la situation qu’il dénonce.

Il n’a pas à notre connaissance renié son assentiment à ce rapport(3) malfaisant particulièrement … pour la psychiatrie, dont il organisait la liquidation. Mieux vaut se réveiller tard que jamais, mieux vaut encore reconnaître qu’on a personnellement contribué à la catastrophe contre laquelle à présent on s’insurge, en effet à juste titre.

0,4 % des crimes commis imputables aux malades psychiatriques, aboutissant à la séquestration à vie des « grands dangereux »ainsi qualifiés par expertise c’est de la politique frisson dans le dos à la Berlusconi. Voici pourquoi lucides sur l’ami Bokobza et résolus unitaires tout de go, nous nous inscrivons en solidarité avec cet Appel. Il importe de faire front contre de tels textes odieux et nuisibles à la citoyenneté, comme il importe qu’aucun des quatre partenaires du Carré psy, en cette occurence la psychiatrie mise à contribution pour expertise impossible ne subisse de dommages moraux et institutionnels qui par contre-coup se répartissent sur la structure d’ensemble des professionnels du psychisme.

Philippe Grauer


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Correspondance

Nous communiquons à nos abonnés et amis internautes pour information l’échange de correspondance entre Hervé Bokobza et Philippe Grauer.

1— À M. GRAUER,

Tombant par hasard sur votre site , je lis avec stupeur  que je serais signataire du rapport CLERY-MELIN !!!!
Que je serais donc partie prenante d’un plan qui a permis la liquidation de la psychiatrie !!!!
Cela n’ a jamais été: c’est exactement l’inverse qui s’est passé! !!!!!
C’est dommage que vous ayez mal lu : j’ai été auditionné et dit ce que je pensais et jamais signé quoique ce soit
Dans de nombreux textes et conférences de presse j’ai vivement condamné ce plan.
Je vous renvoie par exemple au livre « Psychjatrie en Péril »
j’ose espérer qu’il s’agit d’une grave erreur de votre part et que vous rectifierez en conséquence

Dr Hervé BOKOBZA

2 — Réponse : Cher Monsieur,

Je vous remercie de votre lettre et de votre vigilance.

Certes, vous n’avez pas signé le rapport Cléry-Melin et je reconnais volontiers avoir commis une erreur. Mais, comme vous le dites vous-même, votre nom figure parmi tous ceux qui ont été entendus. Vous dites, et je vous crois, que vous avez contesté ce rapport après ladite audition. Voulez-vous me communiquer les textes à travers lesquels vous avez pris position contre ce rapport? Je m’engage à les publier immédiatement sur mon site, sans la moindre censure, et cela fera office de réparation puisque vous me demandez de rectifier selon vos termes « une grave erreur ».

Que j’accède à votre demande, parfaitement légitime, n’empêche pas de vous rappeler quelques événements passés.

J’ai souvenir en effet d’une émission de radio dans laquelle vous attaquiez les positions de Jacques-Alain Miller, lequel, à cette époque, avait créé avec nous une Coordination psy dans laquelle étaient représentés les principaux courants de la psychothérapie relationnelle. Cette coordination était soutenue par de grands intellectuels français : Jean-Claude Milner, Catherine Clément, Bernard-Henri Lévy, Élisabeth Roudinesco et bien d’autres encore.

À l’époque, emporté par vos propos – ce qui est votre droit – vous n’avez pas eu que je sache un mot de compassion envers nous, comme d’ailleurs l’ensemble de la communauté des psychiatres et des psychanalystes.

Nous fûmes les premiers à nous retrouver victimes d’une loi incohérente, qui, désormais, se retourne contre vous, contre la psychiatrie elle-même, contre ses représentants. Contrairement à vous, nous avons eu, au-delà de certains dérapages de parole, le souci de toujours rechercher une certaine unité.

Qui sommes nous ? Rien, puisque nous voici dépossédés de notre nom par une loi qui vous permet de prendre notre place. Que serez-vous demain ? Peu de choses, hélas puisque votre discipline risque de disparaître à mesure qu’un transfert de compétences s’opérera vers les psychologues d’un côté et les neurologues de l’autre. Qu’avons nous à perdre ? Rien, puisque nous ne sommes rien et qu’en France nous n’avons jamais obtenu la moindre reconnaissance ni de l’État, ni des psychiatres, ni des psychanalystes. Qu’avez vous à perdre ? Tout, puisque vous êtes désormais menacés de n’être plus rien, comme nous le sommes.

Cher Monsieur, au lieu d’être indifférent à notre sort, vous auriez dû, vous et vos collègues, nous soutenir, dans un vaste front commun contre cette loi incohérente dénoncée par de nombreux sénateurs, et contre le rapport Cléry-Melin. Vous avez critiqué ce rapport, mais vous ne nous avez pas soutenus. Quant à moi, je n’agis pas comme vous puisque j’ai signé toutes les pétitions en votre faveur et que je les installe sur mon site.

À présent qu’à votre tour vous vous battez à juste titre pour votre survie, j’espère que la sagesse vous viendra de comprendre que dans cette affaire, nous sommes désormais, par anticipation, dans la situation qui un jour, hélas, sera peut-être la vôtre. À ceci près que, du fond de notre inexistence légale, nous compatissons à votre malheur et ne manquerons jamais de marquer notre solidarité.

Je vous propose, en guise de réparation, de publier sur mon site votre lettre et ma réponse et, si vous le voulez, la réponse que vous voudrez bien m’adresser quel que soit son contenu.
Je vous prie d’agréer, Cher Monsieur, l’expression de mes sentiments respectueux.

Philippe Grauer

3 — Réponse du Pr. Bokobza

– la conclusion du livre « psychiatrie en péril » ; tout y est.


Appel des 139

Le 2 décembre 2008, dans une enceinte psychiatrique hospitalière, se saisissant d’un crime pourtant très rare commis par un patient diagnostiqué comme schizophrène, le président Sarkozy a annoncé un plan pour la psychiatrie aux conséquences dévastatrices.

Dans ce discours, les fondements même de la psychiatrie ont été attaqués avec la plus grande brutalité, celle qui amadoue pour mieux exécuter.

Il aura suffi d’un fait divers dramatique pour relancer une politique de la peur dont le projet de centres de rétention de sûreté tout comme les soins sans consentement en ambulatoire sont le parachèvement.

En amalgamant la folie à une pure dangerosité sociale, en assimilant d’une façon calculée la maladie mentale à la délinquance, est justifié un plan de mesures sécuritaires inacceptables.

Alors que les professionnels alertent régulièrement les pouvoirs publics non seulement sur les conditions de plus en plus restrictives de leur capacité de soigner, sur l’inégalité croissante de l’accès aux soins, mais aussi sur la mainmise gestionnaire et technocratique de leurs espaces de travail et d’innovation, une seule réponse leur a été opposée : attention danger, sécurisez, enfermez, obligez, et surtout n’oubliez pas que votre responsabilité sera engagée en cas de dérapage .

Un pas vient d’être franchi, l’heure est trop grave pour que la résignation l’emporte.

Que peut signifier cette prétendue méconnaissance, en réalité cette volonté délibérée d’ignorer les réalités de la psychiatrie ?

Il y a les faits, il y a les chiffres : le rapport de la Commission « Violence et santé mentale » dénombre qu’en 2005 sur 51 411 mis en examen dans des affaires pénales (crime ou délit) 212 ont bénéficié d’un non-lieu pour irresponsabilité mentale, c’est-à-dire 0,4 % des crimes et délits ! Mais en revanche, la prévalence des crimes violents contre les patients psychiatriques est 11,8 fois plus importante que par rapport à la population générale. La proportion des vols à leur encontre est 140 fois plus importante !

Nous, soignants en psychiatrie, n’acceptons pas que la plus haute autorité de l’état répande de tels propos, qui laisseraient croire que les personnes atteintes de troubles psychiques font bien plus souffrir la société que celle-ci ne les aliène. Nous n’acceptons pas non plus que ces citoyens soient jetés en pâture à la vindicte populaire pour maintenir de manièère forcenée, irresponsable, le ferment de la peur.

« La politique de civilisation » annoncée est une politique de rupture du lien car elle tente de bafouer les solidarités sociales qui ont permis de sortir du grand enfermement de la folie. Il n’y a pas d’exercice possible de la psychiatrie sans respect constant des valeurs de la République : celles qui en énonçant le respect de la séparation des pouvoirs permettent à la démocratie de rassembler solidairement afin de ne pas exclure les plus démunis.

Devant tant de « dangerosité » construite, la psychiatrie se verrait-elle expropriée de sa fonction soignante, pour redevenir la gardienne de l’ordre social ?

Nous, citoyens, psychiatres, professionnels du soin, du travail social, refusons de servir de caution à cette dérive idéologique de notre société

Nous refusons de trahir notre responsabilité citoyenne et notre éthique des soins dans des compromissions indignes et inacceptables.

Nous refusons de voir la question des soins psychiques réduite à un pur contrôle sécuritaire criminalisant outrageusement la maladie mentale.

Nous refusons d’être instrumentalisés dans une logique de surveillance et de séquestration.

Pour maintenir la fonction soignante en articulation permanente entre le singulier et le collectif, nous refusons l’aveuglement d’une supposée culture de l’efficacité immédiate concernant des problèmes qui n’existent que peu.

Dans le champ de la psychiatrie, des actions s’opposent à la normalisation des enseignements ( sauvons la clinique ), des pratiques prédictives (pas de zéro de conduite), des dérives scientistes assignant à la psychiatrie le devoir de prévoir l’avenir (non à la perpétuité sur ordonnance, politique de la peur).

Nous soutenons et accompagnerons toute perspective de regroupement de ces initiatives car elles vont toutes dans le même sens : défendre et soutenir la dignité des patients qui nous sont confiés ou qui se confient à nous.

Faudrait-il que nous entrions en résistance par la désobéissance civile, pour soutenir la possibilité d’une psychiatrie au service des sujets en souffrance, respectueuse du sens de leur existence, et non une psychiatrie servant au maintien de l’ordre sécuritaire stigmate de l’asservissement de la population par la peur ?

«  Il faut de la crainte dans un gouvernement despotique : pour la vertu, elle n’y est point nécessaire, et l’honneur y serait dangereux . » Montesquieu


signez la pétition.