Sexisme et racisme : les paradoxes de la domination.
par Liliane Kandel
Sociologue. A été responsable du Centre d’études et de recherches féministes de l’Université Paris 7-Denis Diderot. Membre du comité de rédaction de la revue : Les Temps Modernes . A publié Féminismes et nazisme , Odile Jacob 2004.
Sexisme ? Le mot apparu dans les dictionnaires vers le milieu des années 70, est aujourd’hui d’usage courant. Il désigne ce racisme bien particulier qui, à l’instar du racisme anti-noirs ou anti-émigrés prétend définir une nature ou une essence immuable des femmes (le plus souvent d’ordre biologique) et légitimer de ce fait les discriminations, stigmatisations, insultes, violences ou persécutions, perpétrées à leur encontre : tout le registre donc de ce qu’il est convenu d’appeler la « domination masculine ».
Le parallèle imposé par les mouvements féministes, était nécessaire à l’époque pour faire accepter l’idée que la situation dominée des femmes, tout comme celle des autres groupes « racisés » était une construction historique, sociale et politique et qu’elle n’avait ni substrat ni justification biologique d’aucune sorte. Le succès sur ce plan fut incontestable.
Et aujourd’hui ? À travers l’analyse de quelques uns des avatars historiques du parallèle entre « sexe » et « race », entre sexisme et racisme, on tentera d’examiner à la fois sa fécondité et ses impasses, ses limites et ses points aveugles, en se demandant en particulier jusqu’où il est possible de penser avec les mêmes grilles d’analyse, et de combattre avec les mêmes armes l’oppression raciale et l’oppression de femmes ? Le régime d’apartheid en Afrique du Sud et harcèlement sexuel dans les lieux de travail ? Les viols de guerre comme il y en a eu en ex-Yougoslavie par exemple ? Le refus d’embauche au « faciès » ? La publicité sexiste ? Le génocide des juifs ou des tziganes, ou des Tutsis au Rwanda ? L’absence de parité dans les institutions politiques ? L’inégalité de salaires entre hommes et femmes ? Les injures et insultes racistes ? On pourra se demander également s’il est possible de parler comme certains de « racisme anti-chrétien », ou « anti-blanc », ou si au contraire, racisme et sexisme sont seulement deux des multiples figures de la domination.
Y a-t-il autrement dit, un ou bien des racismes ? Un ou bien des sexismes ? Et entre eux des différences de degré, du plus anodin au plus meurtrier ? Ou bien des discontinuités, voire des contradictions ou des ruptures ?