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3 mars 2008

Les Exilés de l’intime. Médecine et psychiatrie au service du nouvel ordre économique Hervé Hubert, psychiatre, psychanalyste — dans L’Humanité.

Hervé Hubert, psychiatre, psychanalyste — dans L’Humanité.

Comment la perte de l’intime guette l’homme de la performance économique

par Roland Gori et Marie-José Del Volgo. Éditions Denoël, 2008, 22 euros.

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C’est avec ce qui fait l’essence de l’intime de l’humain, la perte et le manque, que les auteurs, psychanalystes tous deux, démarrent leur réflexion menée avec coeur et intelligence d’écriture. Cet intime se transmet dans leur style, poussant le lecteur à avoir soif de la découverte, comme un souffle pour vaincre cet exil de l’humain produit par le capitalisme. Les auteurs partent emblématiquement de l’oeuvre de sépulture, la manière de s’y prendre avec les morts, et interrogent son destin dans cette civilisation biogénétique asservie au management, où il n’y a que le chiffre qui compte.

L’avenir de l’humanité va-t-il être ravalé à celui du mythe de l’homme neuroéconomique ? Cette question, nourrie de l’apport de Weber, Foucault, Adorno, va être portée dans les trois parties de l’ouvrage : les logiques et limites de l’homme biomédical, le sujet neuroéconomique, la transformation de la psychiatrie en une logique sécuritaire de la santé mentale. La dialectique qui s’est instaurée entre la fonction des attitudes psychologiques et l’obéissance de la vie émotionnelle à la logique des échanges économiques produit une mutation anthropologique. Ses effets peuvent devenir ravageurs : l’homme se trouve ainsi transformé en une petite entreprise de production de comportements, ouverte à la performance et à la compétition.

La médecine passe sous le règne de la probabilité d’un risque écartant la cause singulière, le drame de son histoire que représente la maladie . Cette gestion capitaliste du risque individualisé rompt avec les principes de solidarité sociale. La pratique de la santé est ainsi modifiée jusqu’aux confins de l’intime. Le mythe de l’homme neuroéconomique vient faire désaveu de la mélancolie fondamentale qui fonderait nos subjectivités. Ce désaveu a pour corollaire la haine, mise en réserve de l’inconscient, que le sujet peut retourner contre lui-même ou contre les autres.

Différents exemples cliniques sont donnés avec humour de même que des situations sociopolitiques en rapport avec la théorie des jeux. Va-t-on vers un nouveau style anthropologique ? Le monde humain devient monde numérique et se conjuguant à la naturalisation de l’humain peut donner lieu au cauchemar d’une administration rationnelle et scientifique de la vie : une nouvelle crise éthique de la civilisation est à craindre. La référence à Michel Foucault oriente la réflexion sur la psychiatrie qui s’éloigne de la folie pour devenir le domaine de toutes les conduites possibles et privilégier l’expert. Alors que la psychanalyse avait soustrait la folie et les déviances au champ du déficit : le concept de handicap consacre le retour de l’exclusion.

Là encore un changement anthropologique survient : nous passons d’une civilisation dépressive fondée sur la faute à une civilisation de la paranoïa envers soi-même dans laquelle l’individu se trouve invité à dépister les signes qui le menacent et dont il est à la fois la victime et le suspect. L’apport psychanalytique dans un style accessible et précis se concentre alors sur les pathologies du nihilisme, l’objet toxicomaniaque, le sniff aussi bien que le snuff movie ! Contre l’acéphale de l’encéphale, contre la négation de l’humain monte dans cette lecture la lumière qui éclaire ce qui est à prévenir de notre aliénation.