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11 juin 2009

Les sans papiers du CARRE PSY : non expulsables Philippe Grauer

Philippe Grauer

PHILIPPE GRAUER

Une ambition légitime

On peut estimer légitime de vouloir définir des conditions d’accès au titre générique de psychothérapeute. Il devient déraisonnable de tirer la couverture de la définition d’un côté ou de l’autre des quatre du carré psy, une couverture raccourcie découvrant l’un ou l’autre plus ou moins totalement, au lieu de tenir compte de l’existence paradigmatique de ces quatre protagonistes institutionnels des professions du psychisme.

Déshabiller Pierre pour revêtir Paul

Par manque volontaire de tissu on procéda successivement des années durant au déshabillage de Paul pour revêtir Pierre. Cela n’a jamais fonctionné. À chaque fois le déshabillé protestait qu’il était demi nu, et pourquoi lui, que c’était tant qu’à faire à l’autre de l’être, pis qu’il exigeait que ce le fût. L’opération se doublait d’ailleurs de vastes offensives de politiques universitaires d’occupation du territoire scientifique, au bénéfice généralement du cognitivisme, au détriment de la psychanalyse.

Noms d’oiseaux en vue d’un nettoyage psychique

L’hostilité s’adressait le plus souvent d’abord à la psychothérapie relationnelle, dernière arrivée au carré psy — naguère triangle, dont une rhétorique hostile refoulait jusqu’au nom, nié ou dénié, connoté à des termes diffamatoires tels que charlatanisme et dérive sectaire. Bref, il fallait procéder d’urgence à un sérieux nettoyage psychique.

Mobilisation

Une mobilisation sans précédent de l’opinion éclairée, des experts et d’une partie importante du peuple psy, fit barrage à cette vindicte. Elle n’atteignit pas ses objectifs. En face enfla la rage.

3 côtés égaux sur 4

L’article 52 étant contradictoire dans ses différents articles, aucun décret d’application ne put jamais habiller une loi bancale, demeurée du coup inapplicable. Un nouvel amendement Accoyer, car il en est l’auteur véritable, proposé récemment dans le cadre de la loi HTSP, vient remettre d’équerre la loi 52. Cette fois tout le monde sera traité pareil, réjouissons-nous s’exclame M. Le Guen, du Parti socialiste, appuyé par l’éternelle alliée du Dr. Accoyer, le Dr. Génisson. Traité de façon égale sauf pour ceux qui sont moins égaux que les autres. Les locataires des trois côtés du Carré reconstituant le triangle initial, auront accès à l’usage du titre selon les mêmes conditions, embrassons-nous ! le quatrième n’existant plus, peu importe, titre confisqué à ceux qui précisément l’avaient introduit, soutenu, maintenu et honoré, voici qu’on vous propose un Carré psy singulier, un carré triangulaire équilatéral aux trois côtés égaux certes, amputé de son côté gênant.

250 à 500 heures de psychopathologie universitaire

Le fond du problème est simple : que tout usager du titre générique de psychothérapeute ait bénéficié d’un volume d’heures — le ministre Xavier Bertrand avait chiffré à 250, c’était remonté à 450 — de psychopathologie clinique diligentée par l’université. Proposition finalement oubliée. On vient d’y substituer une issue ultra. Solution rudimentaire à la Accoyer, simplicissime : devenir préalablement psychologue, ce qui comporte pour un quart les fameuses heures, et au terme de cinq ans d’études dans une discipline qui n’a à voir que pour moins d’un quart, de l’aveu même des psychologues, avec la psychothérapie relationnelle, bénéficier du droit au titre générique. Psychologue on se trouvera dispensé même d’études sérieuses dans le domaine, autant il est vrai que pour administrer des thérapies à protocole point n’est besoin d’études spécialisées longues et difficiles. Réjouissons-nous de cette égalisation du jeu : la loi garantit que dorénavant aucun psychothérapeute officiel ne connaîtra notre métier. Docte ignorance.

Injustice redoublée

Et si l’on est consciencieux, on pourra reprendre des études en psychothérapie relationnelle sur cinq nouvelles années pour se spécialiser, que les psychologues se rassurent, d’ailleurs ils n’ont craint à aucun moment, il s’agit seulement d’une option, le législateur se désintéresse de la question. Ils protègent leur pré carré et militent pour l’ignorance de notre domaine. Manque de curiosité scientifique et injustice sur injustice.

Acharnement

Pourquoi un tel acharnement, et surtout est-il équitable de procéder ainsi ? les Écoles aux formations spécifiques que se sont données les psychothérapeutes relationnels sont variées de contenus et de niveau. Les deux fédérations de praticiens en psychothérapie relationnelle et psychanalyse connues et responsables, ainsi que les deux syndicats professionnels historiques, ont de longue date critérisé les écoles dépendant de leur système d’encadrement et de contrôle.

Certification double et à double sens

Il demeure que lesdites écoles délivrent des diplômes privés, garantis seulement par les fédérations, fussent-elles européennes elles sont surtout uniquement professionnelles, et que le niveau d’équivalence au Master 2 de psychologie n’est pas garanti. Le législateur a raison, en l’état actuel des choses la certification doit être double pour valoir pour tous. D’où l’idée du quota d’heures de psychopathologie, venant appuyer les formations spécifiques de 2000 heures (cinq années universitaires, la quotité ordinaire pour un master professionnalisant) des dites écoles. Y joindre l’idée connexe que tout psychologue ou médecin désireux d’exercer la psychothérapie relationnelle devrait venir l’apprendre de nos institutions, seules détentrices d’un savoir qu’ignore et veut continuer d’ignorer l’université française. Au grand dam de la qualité de la réflexion théorique et des soins dont on nous rebat les oreilles.

Deuxième âge

Il se trouve par ailleurs que le recrutement de nos écoles s’adresse à des personnes du deuxième âge, parvenant à cette profession par reconversion, atypiques donc par rapport à la population étudiante classique, en cela comparable aux Sciences de l’Éducation, sauf que cette dernière constitue une discipline universitaire et que pour des raisons historiques trop longues à expliquer ici la psychothérapie relationnelle n’a pour l’instant pas accédé à cette dignité, et quand elle l’eut esquissé, avec Max Pagès et Edmond Marc, l’entreprise ne survécut pas à leur magistère.

VAE : vae victis ?

Précisément le moment est venu de créer un premier système de passerelles, plutôt que de couper les ponts. La VAE, validation des acquis de l’expérience, constituerait une passerelle idéale. Obstacle majeur, les psychologues refusent systématiquement de faire jouer ce système en direction des psychothérapeutes relationnels au motif … qu’il s’agirait d’une tout autre profession.

Clans et vengeances ou juste loi

Il faudrait savoir. La rhétorique ici s’embrouille, on trouve facilement à cinq lignes de distance s’accumuler l’argument selon lequel la psychologie comprend (attention au sens ici de ce verbe) la psychothérapie, puis strictement l’inverse, que de plus il ne s’agit en aucun cas d’une profession, et le contraire. Ce cafouillage révèle l’existence d’une zone confuse, tout aussi grise que le concept de soin, entendu médicalement comme soin administré, ou philosophiquement comme souci, véridiction de soi. Il révèle également le jeu de rivalités corporatistes intenses dans ce milieu— qui n’en détient toutefois pas le monopole. Rappelons qu’il n’appartient pas au législateur d’entrer dans le jeu des clans et des vengeances, mais de proposer une juste loi.

Intégrisme contre homologation

Une autre solution consisterait à homologuer les écoles qui le peuvent, quitte à leur donner un délai raisonnable pour entrer dans des normes elles-mêmes raisonnables. Point n’est en ce domaine l’intention du ministère, inspiré jalousement par le Dr. Accoyer qui sait ce qu’il veut : une éradication. La République n’est pas intégriste, nous ne sommes pas une incarnation du mal, qu’un député à idée fixe pourrait traquer jusqu’au dernier représentant, associé à un site victimaire et à des scientistes adorateurs du Chiffre. Certains voudraient en finir avec 68, d’autres avec le processus de subjectivation en commençant par nous, au nom d’une morale populiste et de l’ignorance.

Barrer la route à l’intolérance

Jamais ils ne toléreront notre existence, jamais non plus les français n’admettront l’intolérance. Leurs groupes de pression continueront de barrer la voie à notre originalité rigoureuse en étanchéifiant tous les circuits possibles. L’entreprise est condamnée d’avance. Leur règne n’aura qu’un temps. Nous pouvons annoncer sans savoir de quelle façon cela se produira que nous avons déjà gagné. Nous serons comme l’eau, elle trouve toujours son chemin. Nous barrer la route est heureusement devenu chimérique.

Une loi partisane

Ainsi au cours de la bataille d’amendements que connut le Sénat la semaine passée, où le sénateur Sueur proposa une série de modestes aménagements (mais de bonne consistance), le verrouillage et la mauvaise foi opposés à toute amélioration de la loi mise au vote ont manifesté un souci autre que d’équité. Cela est dommage, et injuste. Il n’est jamais bon pour la République de se doter d’une loi partisane, marquée d’iniquité, d’arrogance et de contre-vérités. Cela constitue à terme un facteur de désordre et risque d’instaurer une ambiance discriminatoire ruineuse du bien vivre ensemble.

Un type de pratique clinique originale

La psychothérapie relationnelle dans ses meilleures écoles, programmes et résultats , représente une ressource au titre de la psycho diversité profitable à la recherche, à la clinique, au développement des sciences humaines dans notre pays, à la population enfin, à qui elle propose un type de pratique clinique original, inédit, honorablement efficace et autorégulé. Heureusement que nous existons, sur le terrain et par nos écoles, car si on avait compté sur l’université actuelle pour répandre notre savoir la France serait dans ce domaine un pays arriéré. Au lieu de s’occuper de discréditer et bannir nos cliniciens de la cité, mission impossible au demeurant, il serait grand temps de songer à les accueillir, en toute rigueur et sans discrimination partisane.

Une équitable psycho diversité

Notre psychothérapie ne cessera de revendiquer l’usage d’un titre générique qu’elle a su créer et de soutenir qu’il est malhonnête de le lui confisquer pour le confier à des adversaires épistémologiques. Elle trouvera ses solutions dans la situation qui vient. En aucun cas une véritable normalisation du champ psy ne doit faire jouer ce dernier terme dans son sens soviétique, sans quoi le nouveau mur qu’on aurait édifié se verrait destiné à l’issue de beaucoup de souffrances et d’injustice à voler en éclats par le simple effet d’une inévitable épiphanie institutionnelle à venir. Nous le proclamons solennellement, et appelons tous les psychothérapeutes et psychanalystes épris de conscience professionnelle et de justice de ce pays à nous rejoindre dans le combat pour la nécessaire diversité des professions du psychisme faisant pleinement place au processus de subjectivation, pour en un mot qui ici pèse de tout son poids, nous voir à notre tour traités de façon normale.

Paradigme incontournable

On peut prédire que notre psychothérapie relationnelle, sérieusement implantée comme pratique et référence théorique d’esprit pluraliste dans le tissus social de notre pays, se maintiendra et vivra, jusqu’à sa pleine et légitime reconnaissance au service de tous. Déterminés, nous demandons aux professionnels de se mobiliser pour que continue de vivre un courant psy héritier de la psychologie humaniste existentialiste américaine, inspiré de psychanalyse, paradigme inévitable des autres courants et tendances dont aucun ne doit exercer les pleins pouvoirs au détriment d’un autre.

Nous imposer sur le plan intellectuel

Il nous reste une responsabilité historique à assumer. Quelles qu’en soient les modalités, accéder au domaine de la recherche universitaire en nombre et en force, accéder au domaine du concert de la pensée, la seule vraie, la pensée scientifique (au sens de sciences humaines cliniques). Notre mouvement dispose de revues, dont certaines tiennent la route, nos congrès et colloques se succèdent, continuons d’écrire écrivons ouvrages et articles, dont certains, produits ou non par des universitaires, sont de qualité. Nous ne sommes pas absolument absents sur la scène du débat scientifique. Mais nous manquons de personnalités comme Roland Gori ou Élisabeth Roudinesco, qui nous imposeraient sur le terrain intellectuel. Français encore un effort ! Nos Écoles devront former les défenseurs de demain des valeurs et savoirs qu’elles seules sont en capacité et charge de représenter et diffuser.

Devoir de transmission

Continuons de faire fonctionner des Écoles sérieuses et dignes, soigneusement sélectionnées et encadrées par nos modestes seules forces. Ça n’est pas suffisant mais déjà nécessaire. Continuons de transmettre, comme nul part ailleurs, le cœur du message spécifique qui est le nôtre, dont nous sommes les uniques dépositaires, de l’héritage de la psychologie humaniste à son point d’articulation problématique mais fécond avec la psychanalyse. Nous avons le devoir de le maintenir, développer et remettre aux mains de la génération qui vient. Nous continuerons d’honorer ce service historique.

Saine légitimité

Parallèlement on devrait être en droit d’attendre des pouvoirs publics qu’ils fassent savoir que nous méritons le respect, en qualité de professionnels organisés et responsables, et suscitent les moyens législatifs d’exister et d’exercer en paix et saine légitimité dans une société ouverte et tolérante.

Accéder à la vérité de soi

Si tel devait ne pas être le cas, au vu de l’attitude d’une Ministre de la Santé ayant rompu avec le style d’ouverture de ses deux prédécesseurs, nous dénoncerions une loi agonistique, visant non à encadrer les pratiques psys mais à chercher à en détruire une que pour d’obscures raisons certains ne pourraient pas souffrir et ce au détriment des besoins légitimes de la population de ce pays et de son droit de recourir — ce qu’elle fait déjà et conforte notre situation sur le terrain, pour accéder à la vérité de soi aux parrésiastes de son choix.