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8 novembre 2016

« Me voilà aujourd’hui en prison pour avoir cru à des mots tels que vérité et paix » Asli ERDOGAN

Une femme disparaît, tirons la, tirons les du truc turc qui broie les journalistes

Philippe Grauer

Lettre écrite depuis une prison. Victime de la répression organisée par le gouvernement turc, la romancière Asli Erdogan est détenue depuis le mois d’août et fait face à des accusations de terrorisme. Dans ce courrier écrit le 16 octobre, elle demande que l’on n’oublie pas les intellectuels turcs emprisonnés. Le Monde 16 octobre 2016


Une femme disparaît, tirons la, tirons les du truc turc qui broie les journalistes

Mots clés : féminisme, prison, vérité, paix.

Asli Erdogan, brillante intellectuelle turque, écrivaine et journaliste, croupit dans les geôles, qui affichent une affluence record, de l’anti Atatürk, un certain… Erdogan. Nous ne sommes malheureusement pas tout à fait dans une pièce de Ionesco, où tous les personnages portent le même nom. Utilisons donc les prénoms. Recep Tayyip, le démocraturien qui supprime la liberté de la presse et enferme les journalistes, a fait boucler Asli, l’autrice, dont nous livrons une photo.

vérité et beauté : à délivrer de Bakirköy.

Pensez donc, elle écrivait dans Ôzgün Güden (c’est fou ce que la langue turque est musicale), un journal prokurde. On n’a pas idée. Elle est grave en danger comme on dit de nos jours. Souvenez-vous de Midnight Express, on ne rigole pas dans les prisons turques. Surtout ces derniers temps. Circonstance aggravante, son dernier livre, Le Bâtiment de pierre (Actes Sud, 2013), dénonce la torture et les conditions de détention en Turquie. On imagine.

Quand vous recevez une lettre comme celle que vous allez lire au bas de cet écran qu’est-ce que vous faites ? vous je ne sais pas mais moi j’ai tendance à m’efforcer d’en multiplier l’impact, pour venir en aide et soutien à la liberté de penser, d’écrire, et de soutenir le peuple kurde qui n’en finit pas de souffrir une interminable oppression, incarcérée à la turque, i.e. à la trique. Vous me direz mais ça c’est moi, dont vous vous indifférez.

En effet ma mère la peintre Yvonne Grauer, fut accueillie en 1944 à Stamboul ce qui la sauva in extremis de la fournaise à laquelle elle était promise, aussi j’en suis reconnaissant à la Turquie, à l’Atatürkie de l’époque (même si Atatürk… mais ceci est une autre histoire). Journaliste à l’Orient le jour, elle avait ce visage et cette détermination, que vous regardez ici même affiché. J’ai ensuite connu Nazim Hikmet, Paris ma rose, et pratiqué l’amitié avec le peintre Abidine et Guzine Dino sa femme, première traductrice en français de Yachar Kemal, dont j’ai eu l’honneur de relire Memet le mince avant édition, je sais par tradition familiale comment ça se passe là-bas quand ça recommence, à se passer mal.

Je sais que si nous oublions les locataires des geôles turques, ils en ont pour longtemps, très longtemps, à y pourrir – et pire. Alors je ne reste pas tout à fait sans rien faire, j’écris ceci.

J’écris… enfin j’ai failli écrire. J’ai hésité à mettre ce texte en ligne sur un psycho-site. Puis le hasard fit que j’ai édité un texte d’Élisabeth Roudinesco qui parle des destinées tragiques de certaines femmes de la Révolution, fondatrices du féminisme, et je me suis dit que les deux articles rimaient. Elles sont mortes les Théroigne, Olympe et Claire, elles sont (encore) vivantes, les Asli. Alors, au nom de la rime, je me suis dit soutenons Asli Erdogan et ses compagnes et compagnons de répression. Ne les oublions pas. C’est par nous qu’ils existent toujours. C’est par nous qu’ils seront délivrés. Par nous ? par vous ?

Contrairement à ce qu’on pourrait penser, les régimes anti démocratiques sont toujours attentifs aux marques de solidarité internationale avec leurs victimes. Il y a une pétition en ligne :

http://danactu-resistance.over-blog.com/2016/08/petition-pour-la-liberation-de-la-romanciere-turque-asli-erdogan.html

Allez, signez-la, ça sera utile. J’espère que le cœur vous en dira. La vérité et la beauté, si ça vous dit quelque chose, faites quelque chose pour elles. À votre bon cœur Messieurs Dames ! La justice viendra sur vos pas triomphant.


Asli ERDOGAN

Le Monde 30 octobre 2016.

Salutations d’une écrivaine, Asli Erdogan, actuellement incarcérée à la prison pour femmes de Bakirköy, située, symboliquement, entre un asile psychiatrique et un ancien hôpital pour lépreux. J’espère que ma voix vous parviendra, à travers ces murs épais, impénétrables, historiquement construits contre  » les Autres « .  » La beauté est vérité, la vérité beauté. «  Me voilà aujourd’hui en prison pour avoir cru à des mots tels que  » vérité  » et  » paix « . Mais il est de mon devoir de rendre leur sens à ces mots ou de trouver les mots qui exprimeront leur sens.

J’ai écrit huit livres, traduits en plus d’une dizaine de langues et, à 50 ans, je me retrouve, parmi une centaine de journalistes, accusée de  » terrorisme  » et arrêtée. Simplement parce que je suis membre du  » conseil consultatif  » du journal Özgün Güden – un quotidien qui soutient les revendications des Kurdes – , et alors même que la loi sur la presse pose que les conseillers n’ont aucune responsabilité légale.

C’est une longue tradition, dans mon pays, que d’essayer de monopoliser la vérité : plus de 140 écrivains ont été emprisonnés et 136 journalistes assassinés. Nous, les écrivains réduits au silence, savons bien que la liberté d’expression est profondément liée à un mot, le plus important de tous : vie. À ce moment précis, le seul lien qui nous rattache à la vie est votre solidarité.