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22 juin 2006

L’exception française : seuls les psychothérapeutes ne seront plus psychothérapeutes Jean-Marie Robine*

Jean-Marie Robine*

Ça y est, après 30 mois de ce que dans la France UMP on appelle concertation, négociation, discussion et que n’importe où ailleurs on appellerait information unilatérale descendante, le ministère a choisi et, pour ce faire, renie les promesses de ses négociateurs successifs : Accoyer, Mattei, Douste-Blazy, X. Bertrand.

Pour rendre opératoire sa loi, le décret d’application est prêt : seuls les médecins (par exemple : urologues), les psychologues (par exemple : du travail), et les psychanalystes (par exemple de formation philosophique) seront de droit psychothérapeutes. Les psychothérapeutes « à l’ancienne », ceux qui se sont formés en cinq à sept ans dans des instituts spécialisés mais privés ne sont pas et ne seront plus compétents : ils ne sont pas tous passés par l’Université, c’est-à-dire « le public ». Le privé n’a de valeur et de crédibilité, n’est-ce pas, que pour le Gaz, l’Électricité, les transports, les aéroports, etc. C’est au moins, soit dit en passant, la formidable reconnaissance indirecte de la part des Pouvoirs Publics que les Institutions privées qui depuis bientôt trente ans ont élaboré et mis en place la formation des psychothérapeutes et particulièrement des plus nombreux d’entre eux, les psychothérapeutes relationnels, ne sont pas des boîtes à fric ! À moins que… bon sang, mais c’est bien sûr ! on va obliger les Instituts privés — qui ont acquis et prouvé leur compétence — à passer convention avec l’État-Université. Puis, deuxième étape, une fois l’état devenu « compétent » grâce à ce transfert, il lui restera à privatiser, c’est-à-dire vendre, lesdites Universités ! Bingo !

C’est la politique de confiscation qui continue, comme dans les états totalitaires du XX° siècle. Depuis trente ans, des pionniers créent une profession et son titre : psychothérapeute ; ils établissent des critères (une formation longue, psychologique, psychopathologique et de méthodologie psychothérapeutique, un travail psychothérapeutique sur soi, une supervision permanente, un agrément pas les pairs…). Le titre et la compétence sont désormais reconnus par le public. Certes quelques charlatans s’en emparent, de même que dans toute profession, y compris dans celles qui ont été dotées d’un ordre professionnel. Alors ça crée le prétexte pour confisquer ce titre, à le retirer à leurs ayants-droit et à l’offrir sur un plateau, telle une tête de Jean-Baptiste, à la Salomé scientiste, épouse de l’INSERM, à ses TCC et autres serviteurs du pouvoir central.

Même de tout-petits pays européens comme la Slovénie, qui n’ont pas la longue tradition culturelle psychothérapeutique et psychanalytique de la France, finissent d’élaborer dans la concertation une loi « intelligente » régissant la profession. En Chiraquie, on passe en force, on invite les citoyens à ratifier l’Europe en ses Institutions, mais on va à l’encontre lorsqu’il est plus avantageux pour elle de soutenir quelques lobbies. Par exemple, lorsqu’il n’y a plus de psychothérapeutes relationnels formés et compétents, que reste-t-il ? Les médicaments bien sûr ! Et on crée un écran de fumée en déplorant régulièrement que la France soit la première consommatrice au monde de médicaments psy, à l’instar d’Accoyer qui en faisait son argumentaire initial pour faire passer nocturnement sa loi scélérate. Le plus étrange est que nous n’ayons pas entendu les laboratoires hurler à l’assassin !

La farce est jouée, le public est désormais « protégé » : l’ORL saura « écouter » sa souffrance, le prothésiste saura le « soutenir », le radiologue saura aborder sa « vie intérieure », le biologiste pourra l’ « analyser », le chirurgien plastique l’aidera à « se reconstruire », le psychologue saura tester ses capacités à s’adapter… et à ceux que cette modalité ne conviendra pas, il restera à s’adresser aux sectes et aux charlatans.

* Psychothérapeute didacticien, psychologue clinicien et directeur de l’Institut français de Gestalt-thérapie depuis 1980.