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16 octobre 2012

L’homoparentalité divise la planète psy

Serge Hefez
Serge Hefez

Psychiatre et psychanalyste, responsable de l’unité de thérapie familiale, la Pitié-Salpêtrière
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L’homoparentalité divise la planète psy
Publication: 15/10/2012 06:00
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Les psychanalystes sont aujourd’hui divisés, c’est le moins que l’on puisse dire, sur l’opportunité d’ouvrir l’accès à l’adoption et à l’AMP aux couples de même sexe, et de leur accorder le droit d’établir une filiation. Si peu d’entre eux mettent en doute les capacités pédagogiques et l’amour que des homosexuels sont susceptibles de mettre au service de l’enfant, l’opposition de la plupart s’articule autour des souffrances et des angoisses supposées d’une descendance confrontée à ces situations inédites, et surtout aux modifications délétères des structures de la parenté et de la filiation qui fondent l’ordre symbolique de nos sociétés.

Leur position est en général empirique, ils connaissent très mal les situations réelles de ces enfants et rejettent avec suspicion l’abondante bibliographie internationale composée de milliers d’articles, études, enquêtes, essais, témoignages publiés à ce jour, littérature qui n’établit aucune différence significative en terme d’évolution, d’épanouissement, d’identité sexuée ou d’orientation sexuelle chez les enfants élevés dans ces contextes. Pour exemple, la seule référence clinique dont Jean-Pierre Winter fasse état dans son ouvrage consacré à l’homoparenté est issue d’un de mes articles. Il tente d’y démontrer à quel point un enfant aujourd’hui adulte que j’ai suivi ponctuellement pendant une dizaine d’années et qui va le mieux du monde, est en fait en grand danger… On aurait aimé qu’il nous parle de sa propre expérience clinique.

Si je suis de notre côté, avec de nombreux autres confrères, favorable à cette ouverture, c’est pour avoir reçu depuis une vingtaine d’années de très nombreux couples, familles, parents, enfants, adolescents vivant dans des contextes d’homoparentalité. Ces situations participent d’un ensemble de formes de parenté complexes qui vont de l’adoption aux filiations fondées sur l’AMP, en passant par les recompositions familiales. Toutes ces familles sont confrontées aux mêmes joies et aux mêmes peines, aux mêmes atermoiements que l’ensemble de celles qui partagent ce type de parcours. Les enfants que j’ai pu accueillir ne nous sont à aucun moment apparus en danger et les difficultés le plus souvent exprimées sont celles d’affronter le regard des autres et l’hostilité ou l’incompréhension de leur environnement social.

La rencontre avec ces familles, avec ces enfants, est un véritable travail de création. Si l’on considère toutes les formes possibles de techniques de plus en plus sophistiquées de fécondation in vitro (donneur anonyme ou connu, jouant un rôle actif ou non impliqué, apparenté ou non apparenté, diffraction entre mère génétique, mère de gestation, mère sociale…), si l’on considère l’augmentation vertigineuse des recompositions familiales et l’accroissement des situations d’adoption internationale, on voit surgir une foule d’histoires, de romans, de mythes familiaux.
Bien des familles, homoparentales ou non, abordent par exemple les problèmes posés par le processus de néantisation du parent donneur de gamètes. Comment créer un espace triangulé composé du parent, de l’enfant et du donneur ? Il s’agit bien de pouvoir créer un parent entier qui puisse s’opposer à un parent partiel, le déconstruire dans la réalité psychique de la famille pour permettre à l’enfant de le reconstruire dans son monde imaginaire.

Pour faire des enfants, il ne faut plus un pénis mais du sperme ou une cellule reproductive mâle qui peut s’unir à un ovule, ou une cellule reproductive femelle, c’est-à-dire des moyens autres que l’union hétérosexuelle par pénétration. Ces réalités amènent inévitablement à la distinguer des fantasmes de scène primitive et de conception, qui ne sont plus une seule et même chose. La reconnaissance des nouvelles donnes de la reproduction exige ainsi une mise à l’épreuve de la réalité qui distingue la fécondation des fantasmes liés à la procréation et au désir d’un ou plusieurs parents d’engendrer un enfant.

Chacun sait que l’engendrement n’est pas l’accouplement, qu’il s’agit d’un acte social et non d’un acte naturel, et les enfants dans ces contextes de diffraction de la parenté sociale et de la parenté biologique, comme dans tout autre contexte de pluriparentalité, savent parfaitement se débrouiller pour élaborer un roman des origines qui inclut tous les protagonistes de leur histoire. Le plus important est que l’on puisse raconter à l’enfant une histoire « juste » de ses origines, histoire qu’il pourra inlassablement se raconter à lui-même, transformer à sa guise en interpellant quand il le peut tous les protagonistes du récit. L’origine ne fait sens que par les questions qu’elle pose et par la parole qu’elle fait circuler autour de son mystère. Elle est toujours à créer, elle se trame dans un conte à jamais inachevé que la famille se raconte inlassablement. Le seul « intérêt supérieur » de l’enfant réside dans une définition stable de sa filiation, définition intégrable dans la société dans laquelle il vit.

Or les réticences exprimées à l’encontre des familles homoparentales révèlent bien autre chose, à savoir le lien complexe qui lie depuis son origine la psychanalyse à l’homosexualité. Quelle que soit sa volonté de rupture épistémologique, quelle que soit l’ouverture de Freud lui-même à cette question, la psychanalyse ne s’est jamais totalement dégagée d’un discours considérant l’homosexualité comme une tare, une dégénérescence, caractérisant une « espèce » ou une « race » toujours suspecte, toujours maudite, toujours réprouvée. Une véritable homophobie psychanalytique uniformise les personnes concernées autour du déni de la différence des sexes qui fleure bon sa dimension perverse (les homosexuels ne se rendent pas compte qu’il existe des hommes et des femmes et que cette différence est nécessaire à la procréation), voire du narcissisme pathologique et du déni de l’altérité (ce n’est plus l’autre sexe mais bien l’autre en tant que tel qui est annihilé). Legendre livre ainsi une comparaison avec le nazisme qui « subvertit l’interdit et met à sac la Cité ».

En se référant à des lois symboliques transcendantes qui instituent tout à la fois le social et les psychismes des membres de la société, bien des psychanalystes font comme si les éléments de leur théorisation n’avaient pas vu le jour dans une société donnée et dans un moment historique qui les conditionne et qu’à leur tour ils influencent. Le symbolique englobe des cadres rituels, juridiques, signifiants qui sont appelés en permanence à être retravaillés, à se modifier ou à mourir. À partir d’agencements instables, de bricolages, (« odds and ends » disait Levi Strauss) se composent dans toutes les sociétés des mythes, une culture, un « ordre » qu’on voudrait immuable et éternellement universel. Mais nous ne retrouvons dans cet agencement symbolique que ce que nous y mettons. Que voulons-nous y mettre ? Voulons-nous continuer à considérer les personnes homosexuelles comme des citoyens de seconde zone, les cantonner encore et encore à un destin d' »être pour la mort » auquel ils finissent par s’identifier ? C’est la question qui se pose aujourd’hui au cœur du débat sur l’homoparentalité.