Jack Ralite ancien ministre, sénateur de Seine-Saint-Denis
Jean-Pierre Sueur ancien ministre, sénateur du Loiret
« La profession de psychothérapeute » constitue une expression piège. Les psychothérapeutes au sens générique du terme c’est beaucoup de monde, et le titre générique conduit à faire en sorte que ce soit trop de monde. Il faut là-dessus se reporter à notre Carré psy.
Pour ce qu’il en est de la « formation au rabais » soyons clairs : nos Écoles agréées font largement l’affaire, et le Cifp avec ses 2000 heures n’a pas à rougir de la formation qu’il délivre. Le rabais ce serait que des « psychothérapeutes » low cost comme disent les psychiatres en effet issus de cursus universitaires, pourvoient d’une main d’œuvre supplétive l’exécution de programmes qu’on n’oserait plus qualifier de cliniques, dans le domaine hospitalier en particulier.
Il convient de ne pas tout confondre et d’éviter de jeter l’enfant de nos écoles de psychothérapie relationnelle avec l’eau d’un bain d’inspiration cognitiviste administré à la hâte aux psychothérapeutes génériques sur programmation ministérielle.
Les {psychothérapeutes relationnels sont au premier chef concernés par cette loi mal fichue qui n’en finit pas de se décliner selon des projets de décret d’appplication et maintenant d’arrêté scélérat, condamnés à boîter — c’est la malédiction d’Œdipe qui revient ? jusqu’à l’aveuglement.
Deux poids lourds du Sénat dont celui, Jean-Pierre Sueur, qui contribua hautement à mettre en place la loi sur le titre de psychologue de 1985 prennent la parole pour prévenir que l’actuelle manœuvre a pour objectif bien réel la liquidation de la psychanalyse à l’université, et, d’une pierre deux coups, si possible la marginalisation de la psychothérapie relationnelle sa proche cousine.
Autrement dit la mise à l’écart des disciplines visant à l’autonomie du sujet au bénéfice de son orthopédisation mécanique et organiciste. L’enjeu de civilisation est de taille.
La lutte pour une solution juste de l’incroyable imbroglio législatif de l’opération Accoyer se poursuit. Ils sont maintenant 15 000 et non plus 10 000 les signataires de Sauvons la clinique . Nous progressons. Cette méchante loi ne doit pas telle quelle présider à l’iniquité. Une table ronde réunissant toutes les parties intéressées, des quatre côtés du Carré psy, devrait permettre de dégager un accord respectant toutes les identités concernées, au lieu de jouer sans arrêt à déshabiller Pierre pour rhabiller Paul, d’un costume qui finalement ne va à personne. En matière de psychisme, où l’on est tout de même censé d’une manière ou d’une autre s’occuper de la vérité des sujets, ça la ficherait plutôt mal d’avoir à en passer par une loi torse à entorses et contorsions prétendant trouver son fondement dans un appareillage simpliste.
Philippe Grauer}
Peut-on accepter que l’État vienne imposer, au sein des universités, une ligne et une doctrine officielles pour tout ce qui relève de la connaissance et de l’enseignement des «processus psychiques» ?
Cette question, que l’on croyait dépassée, se pose avec une grande acuité. Pour mesurer les enjeux, un retour en arrière s’impose. En 2004, un «amendement Accoyer» a suscité un intense débat. Au départ, l’objectif poursuivi était apparemment d’une grande clarté. Il s’agissait de définir les conditions d’exercice de la profession de psychothérapeute.
Cet objectif, nous le partageons.
Mais il apparut bien vite que l’amendement poursuivait en fait d’autres objectifs. Car il ne portait pas seulement sur la profession de psychothérapeute, mais aussi sur l’activité des psychiatres, psychanalystes et psychologues. La première version de l’amendement était carrément hygiéniste, puisqu’elle réservait aux seuls médecins le traitement de la souffrance psychique, ce qui déclencha la colère des psychanalystes. Les versions suivantes, puis les différents textes d’application proposés, s’inscrivaient clairement dans un contexte de défiance à l’égard de la psychanalyse et de promotion du comportementalisme. En bref, les psychothérapeutes étaient instrumentalisés dans un débat qui dépassait largement celui des conditions de leur formation.
Par un extraordinaire lapsus du législateur (mais il n’y a pas de hasard en cette matière !) , le texte de loi issu de l’amendement se trouva être contradictoire dans ses termes puisque l’un des alinéas de l’article de loi affirme que les psychiatres, psychanalystes et psychologues pourront «de droit» se prévaloir du titre de psychothérapeute, cependant que l’alinéa suivant affirme que les membres de ces trois professions devront nécessairement suivre une formation en psychopathologie pour se prévaloir du titre.
Des dizaines de projets de décret ont été élaborés à partir de cet article de loi. Le dernier en date vient d’être transmis par Roselyne Bachelot au Conseil d’Etat.
Ce projet de décret transporte en son sein – comme les précédents – la contradiction inscrite dans la loi. C’est-à-dire qu’il est, selon les paragraphes, en contradiction avec l’un ou l’autre des alinéas de l’article de loi. Tel qu’il est écrit, il serait immédiatement détourné de sons sens s’il était publié. Car comme il n’existe aucune définition dans la loi ni de la psychanalyse ni des psychanalystes, il suffirait que les psychothérapeutes se dénomment psychanalystes – et créent de nouvelles écoles en conséquence – pour pouvoir bénéficier du titre de psychothérapeute. De surcroît, ce projet de décret considère qu’il suffirait d’une formation, au demeurant courte, en psychopathologie, pour bénéficier dudit titre, au grand dam des psychiatres, psychanalystes et psychologues qui font valoir que la «souffrance mentale» et les «processus psychiques» supposent autre chose qu’une formation au rabais.
Et, une fois encore, il nourrit la crainte que l’objectif à peine dissimulé consiste en la création d’un corps de supplétifs de la santé mentale qui, à grand renfort de protocoles formatés, assureraient à bon compte le triomphe du comportementalisme et des thérapies cognitivo-comportementales réputées plus courtes, moins coûteuses et plus efficaces que le long travail psychanalytique par exemple.
Et l’on revient au point de départ : la mise en cause de la psychanalyse !
Mais ce n’est pas tout.
Car, en même temps que le nouveau projet de décret, apparaît un projet d’arrêté dont la rédaction stupéfiante suscite la réaction, que nous partageons totalement, du professeur Roland Gori qui organise une pétition sur le double thème : «Non à une formation au rabais des psychothérapeutes !» mais aussi «Non à des théories du psychisme dictées par l’Etat !», qui a recueilli à ce jour 10 000 signatures(1).
Une fois encore – c’est toujours le cas depuis quatre ans -, la réémergence de la question (légitime) du statut des psychothérapeutes va de pair avec la résurgence de la croisade comportementaliste. C’est ainsi que le projet d’arrêté expose, en grands détails, aux universitaires ce qu’ils doivent savoir, penser, enseigner.
Ce texte définit une épistémologie officielle qui découpe la connaissance du psychisme en cinq «courants théoriques» ainsi dénommés : «psychanalytique, cognitivo-comportemental, systémique, socioenvironnemental, biologique». Cette nomenclature est tout un programme. On imagine que pour ses auteurs l’approche «biologique» explique comment le cerveau produit la souffrance psychique de la même manière que le foie produit la bile, pour reprendre une célèbre comparaison. Vieille histoire ! Les rédacteurs du projet d’arrêté prescrivent en outre des «outils d’évaluation» qui se limitent aux «échelles cliniques» et aux «tests projectifs».
Qui ne voit que tout cela ne vise qu’à disqualifier l’approche psychanalytique. Et, si on le pouvait, à l’exclure de plusieurs formations universitaires. Ne doutons pas que les futurs supplétifs voués à la guérison de la santé mentale, dotés, au cours d’une maigre formation, des cinq théories fondamentales et des deux outils d’évaluation labellisés, apporteront enfin le remède tant attendu à la souffrance psychique !
On est consterné devant ce dogmatisme et ces retours en arrière. Nous demandons depuis quatre ans qu’on cesse de s’enfermer dans les contradictions, qu’on définisse enfin, avec les professionnels concernés, les règles nécessaires, qu’on respecte l’indépendance des universitaires et qu’on cesse d’instrumentaliser ce débat au bénéfice exclusif des adeptes du néocomportementalisme. Est-ce trop demander ?