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23 novembre 2006

L’Inserm cède : son évaluation « experte »des psychothérapies remise en cause JF Cottes, Thérèse Petitpierre

JF Cottes, Thérèse Petitpierre

JEAN-FRANÇOIS COTTES

Un colloque Inserm sur l’Évaluation des psychothérapies en avril prochain : mobilisons-nous dès maintenant

Que de chemin parcouru en un peu plus d’un an ! La publication par l’Inserm en septembre 2005 de son « expertise collective » Trouble des conduites chez l’enfant et l’adolescent avait été interprétée par nous comme un pas supplémentaire dans la diffusion des conceptions scientistes dans le champ psychiatrique.

Dès le mois de septembre des collectifs d’InterCoPsychos se sont mis au travail sur la question : il s’agissait de réfuter ces thèses et démontrer leur nocivité. Lors de la réunion du Bureau d’InterCoPsychos avec les responsables de collectifs, début novembre, nous décidions d’organiser avec l’Association des psychologues freudiens l’après-midi de lecture critique publique de ce rapport de l’Inserm qui s’est déroulée le 28 janvier au CNAM à Paris.

Le 29 janvier est lancée l’Appel Pas de 0 de conduite pour les enfants de trois ans ! à l’initiative du Syndicat national des médecins de PMI. Les premiers signataires, médecins, pédopsychiatres, psychiatres, psychologues, psychanalystes, se constituent en le collectif Pasde0deconduite. Ce collectif prendra des initiatives décidées pour porter le débat sur la place publique, avec le succès que l’on sait – les Instantanés s’en s’ont faits largement l’écho. La parution du livre collectif Pas de 0 de conduite pour les enfants de trois ans aux éditions Érès, le colloque du 17 juin, la prise de position sur l’article 5 du projet de loi de prévention de la délinquance seront les temps forts de l’élaboration et de la transmission de la réflexion critique de Pasde0deconduite.

C’est sur ce fond, que, comme le mentionne Thérèse Petitpierre dans son texte, au mois de juillet dernier, le Ministre de la Santé, M. Xavier Bertrand organise une réunion avec le collectif Pasde0deconduite pour recueillir son point de vue. Thérèse Petitpierre y représente l’InterCoPsychos.

Entre temps les collectifs de psychologues et l’InterCoPsychos organisent des conférences-débats dans les régions et publient avec l’Association des psychologues freudiens les actes du 28 janvier.

Comme vous allez le lire ci-dessous le colloque de l’Inserm du 14 novembre a enregistré le résultat de la contre-offensive massive du secteur professionnel, des acteurs de terrain, mais aussi plus largement du monde associatif, syndical, et du grand public contre la logique et les conclusions de la funeste expertise collective.

La moindre des surprises qu’a apportée cette journée n’est pas l’annonce d’une journée similaire qui se déroulera en avril sur… une précédente « expertise collective » de l’Inserm qui avait fait grand bruit « L’évaluation des psychothérapies, trois approches comparées » lors de sa parution en février 2004. On se souvient que ce rapport prétendait établir la supériorité écrasante des TCC sur les psychothérapies familiales et psychodynamiques – tentant de cette façon de discréditer la psychanalyse. La fronde était partie du cours de Jacques-Alain Miller le 3 mars 2004 au CNAM. Il y avait alors donné la parole à des collègues qui avaient chacun apportés leur critique à ce texte. Il avait alors fallu que les Forums des psys, le magazine l’Âne, l’École de la cause freudienne et la Coordination psy se mobilisent pour que le Ministre de la Santé d’alors, M. Philippe Douste-Blazy, lors d’un Forum des psy, le 5 février 2005, à la Mutualité déclare que « la souffrance psychique n’est ni mesurable, ni évaluable » et qu’il annonce qu’il avait fait retirer ce rapport de l’Inserm du site Web du Ministère de la Santé.

Ce mouvement, qui avait d’ailleurs débuté en octobre 2003 dans l’action contre l’amendement Accoyer et le Plan Cléry-Melin, et s’était étendu à une interrogation et remise en cause de l’évaluation, et ces évènements, n’auront sans doute pas été pour rien dans la mobilisation des professionnels sur le Trouble des conduites. On se rappelle qu’au cours des années 1990 et au début des années 2000, le discours scientiste pro-TCC avait accompli des ravages dans le secteur psychiatrique, en particulier en pédopsychiatrie : notamment sur l’autisme, l’obésité chez l’enfant, les troubles mentaux chez les enfants et les adolescents, sans que ce secteur ne se mobilise à la hauteur des enjeux. On a alors beaucoup plié l’échine en laissant passer la tempête, attendant des jours meilleurs.

Aujourd’hui le contexte a changé : donc, trois ans après, il y aura un colloque de l’Inserm sur l’évaluation des psychothérapies. Tirons les leçons du 14 novembre et de cette année 2006 à propos du Trouble des conduites : ce n’est pas sans la mobilisation que le rapport de l’Inserm pu y être massivement invalidé – comme vous le lirez ci-dessous.

Ce ne sera pas sans une nouvelle mobilisation que le colloque sur l’évaluation des psychothérapies, annoncé pour avril prochain, fera, à l’instar de celui du 14 novembre, une place majeure au point de vue critique. Que doit être cette mobilisation ? C’est à plusieurs qu’il faut en débattre : de sa coordination, des thématiques, des initiatives à prendre. Pour sa part l’InterCoPsychos se met à l’œuvre et appelle les collectifs qu’il rassemble à mettre la question à leur ordre du jour.

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THÉRÈSE PETITPIERRE
Du Collectif de l’Ile-de-France

DEUX EXPERTISES DE L’INSERM :
DE L’ÉVALUATION DES PSYCHOTHÉRAPIES AU TROUBLE DES CONDUITES… ET RETOUR

Il y eut l’attaque : le rapport d’expertise collective de l’Inserm sur le Trouble des conduites, et la contre-attaque : la pétition et le mouvement Pasde0deConduite dans lequel l’InterCoPsychos a trouvé place dès le départ. À un discours stigmatisant et mortifiant ont répondu près de 200 000 signataires de la pétition, des débats, des articles et conférences de presse, des initiatives à l’endroit des élus politiques et des rencontres avec des membres du gouvernement dont une réunion de deux heures au ministère de la Santé le 11 juillet 2006. Le ministère avait été un peu long à ouvrir sa porte mais la rencontre fut fructueuse, nous fûmes écoutés, entendus. Le ministre Xavier Bertrand y fit l’annonce : à sa demande, l’Inserm organiserait un débat sur le Trouble des conduites à l’automne.

Le colloque s’est tenu le 14 novembre dernier à la Mutualité. Pour Pasde0deConduite, l’enjeu consistait à faire de ce colloque un moment décisif de la contre-attaque. Dans l’après-coup, il s’est avéré que c’était chose gagnée dès avant la tenue de la journée mais elle a permis de le faire apparaître et de l’officialiser, lui donnant ainsi tout son éclat, comme en témoignent les nombreux articles de presse qui s’en font l’écho.

En effet, dès les premières minutes, Monsieur Christian Bréchot, rappelant les principes aux fondements de l’Inserm : le continuum recherche fondamentale – clinique – santé publique corrélé à indépendance – évaluation basée sur les faits, indiquait : « Mais l’Inserm doit pouvoir dialoguer et infléchir ses options ». Le débat inauguré avec le Comité d’interface de la psychiatrie, le collectif Pasde0deConduite et le Comité national d’éthique aboutissait à la nécessité de modifier la méthodologie à mettre en œuvre dans la conduite des expertises concernant la santé mentale. Il concluait son propos en soulignant qu’il s’agissait là d’un « vrai engagement », le point de départ d’une « approche interdisciplinaire ».

Mais c’est Jean-Marie Danion, Professeur de Psychiatrie et directeur de l’unité Inserm 666 à Strasbourg, qui sera le maître d’œuvre du colloque : il situera les enjeux du débat en se référant à la philosophie et à l’histoire des sciences, s’appuyant sur Canguilhem, d’une part, pour préciser les articulations médecine/société, vérité objective/vérité subjective non superposables et non réductibles l’une à l’autre et Paul Ricœur, d’autre part, évoquant les savoirs multiples et non totalisants et la nécessité de faire en sorte que les différents discours ne s’ignorent pas. C’est lui qui tirera les conclusions du colloque. Mais là encore, gageons qu’elles étaient déjà tirées, depuis quelque temps déjà, du débat engagé dans une large frange de la société, au moins pour le fond.

Pour le ministre Xavier Bertrand, il s’agissait, dans ce colloque, de parvenir à déterminer ensemble de nouvelles pistes d’action par rapport à la souffrance des enfants et de leurs parents. Il a énoncé à nouveau son refus de l’amalgame entre trouble des conduites et délinquance, le dépistage étant à référer au soin et à l’accompagnement. Il a défini trois grands axes de l’action de son ministère :

1. le dépistage précoce, notamment à l’école maternelle mais aussi entre la 6e et la 12e année pour dépister les troubles du langage, la nécessaire articulation entre le sanitaire et le social ;

2. le plan psychiatrie et santé mentale, le renforcement des moyens, le dépistage, des campagnes d’information en particulier sur les troubles alimentaires, des conventions avec la Fondation de France-Fondation des Hôpitaux pour le développement des maisons des adolescents ;

3. la nécessité de décloisonnement, citant, entre autres, la difficulté liée au rattachement de la médecine scolaire à l’Éducation nationale. Revenant à l’Inserm, il indiquait sa position : le rapport de l’Inserm ne s’impose pas en politique et il exprimait le souhait que ce colloque puisse permettre aux décideurs d’agir « pour que ce qu’on dise ne reste pas lettre morte ».

Il ne s’agit pas ici de rendre compte de manière exhaustive de l’ensemble des exposés et d’ailleurs l’Inserm, par la voix de Jean-Marie Danion, a annoncé que les textes des interventions seraient publiés. Mais plutôt, nous tentons de saisir la dynamique à l’œuvre qui a produit ce colloque et ses conclusions. On pouvait s’attendre à des débats vifs. C’est plutôt une succession d’exposés qu’on a entendus, avec des temps de discussion, mais c’étaient enfin les professionnels chargés du soin aux enfants et à leurs parents qui rendaient compte d’une activité professionnelle riche et chargée d’histoire, mais disqualifiée, invalidée par l’expertise : langage que nous connaissons, celui de la souffrance psychique, de la singularité, du symptôme, de la prévention « prévenante », de la précarité, du manque de moyens, du manque de psychologues — dans les services de PMI en particulier.

S’il a été davantage question du sens des symptômes que du réel du symptôme (Sylviane Giampino y a fait référence quand elle a opposé l’intime, le ténu, l’indicible à l’ »obsession du visible » des experts), aux auteurs de ces exposés, à quelques exceptions près, pourrait convenir le terme d’IRM, doté du sens nouveau que Philippe Sollers avait conféré à ce sigle il y a quelques années — lors de la soirée organisée par la revue Ornicar au cours de laquelle Philippe Sollers avait accepté de répondre aux « questions mêmes les plus difficiles » — : Identités rapprochées multiples. Des personnalités bien connues de la pédopsychiatrie et de la pédiatrie françaises ont décliné un argumentaire, chacun selon son orientation et son style, contre « le trouble des conduites » et l’expertise, dénonçant le flou du concept (Jean Garabé), l’absence de référence à la notion de structure et à la psychopathologie (Roger Misès), soulignant la présence de la psychopathie en arrière fond du rapport (Claude Bursztein), mettant l’accent sur le souci que suscitent les enfants trop calmes, passifs tout autant, si ce n’est plus, que les enfants turbulents, agités (Christine Bellas-Cabane, dont l’exposé sur la prévention fut longuement applaudi, Bernard Golse).

La question était posée par ce dernier (Bernard Golse) : l’Inserm est-elle la mieux placée pour faire ce type d’expertises dans le champ de la santé psychique, peut-on faire l’économie de l’apport des cliniciens du terrain ? Il y sera répondu, mais nous ne pouvons passer aux conclusions sans que mention soit faite des interventions d’Alain Ehrenberg, dont la vivacité des propos surprenaient quelque peu si on l’avait entendu au colloque organisé en juin par Pasde0deConduite (il était également surprenant, pour les mêmes raisons, d’entendre Bruno Falissard, dire « il va falloir changer la règle du jeu des expertises« ), et de Jean-Claude Ameisen qui posait la question « comment concilier recherche médicale et éthique ? » ou encore, citant en exemple les malades mentaux et les personnes âgées : « que fait la médecine ? détecter ce qui va mal pour inclure dans la société ou pour exclure ? » pointant ici le risque que la science soit antagoniste à l’éthique. Il ouvrait déjà sur les conclusions en préconisant que les expertises ne soient pas prescriptives en l’absence d’urgence, qu’elle soient délivrées dans le cadre de débats et en rappelant la nécessité de conjuguer connaissance et incertitude. Oui, bien sûr, il y eut les pro-TDC, les défenseurs du tempérament, de l’humeur, des facteurs biologiques, des études et recherches basées sur des statistiques, vous ne m’en voudrez pas, je l’espère, de ne pas évoquer davantage leurs propos.

Voici donc les conclusions de cette journée, telles qu’elles ont été tirées par l’Inserm et énoncées par Jean-Marie Danion :

Concernant les expertises :

1. Repérer les problématiques qui peuvent avoir des implications importantes pour les professionnels du domaine concerné et pour la société civile.
2. Associer la sociologie, l’épistémologie…
3. Donner voix aux associations de malades.
4. Mettre en place une cellule de veille.
5. À différentes étapes de la production de l’expertise, organiser des colloques, congrès, séminaires.
6. Des personnes sollicitées feront des propositions quant au choix des experts.
7. L’expertise sera relue par les acteurs du domaine et les points de vue qui s’exprimeront seront joints à la publication.
8. La rédaction des recommandations fera l’objet d’une attention particulière.
9. Le décalage entre la synthèse et le texte intégral est à améliorer.
10. L’ensemble de la littérature scientifique liée au sujet sera mis à disposition sur le site de documentation de la FFP et pourra être complété.

Si l’on considère que la tenue de ce colloque prend part à cette nouvelle orientation de travail à l’Inserm, il s’en déduit ceci : l’annonce en aval du rapport sur les psychothérapies, une journée scientifique sera organisée au printemps prochain concernant la méthodologie pour l’évaluation des psychothérapies en est la seconde conséquence.

Mais objet du colloque oblige, Jean-Marie Danion concluait en dégageant « les manifestations de la souffrance psychique » de l’enfant de la gangue « trouble des conduites« , notait qu’il restait des points ne faisant pas consensus mais soulignait l’accord sur la nécessité d’une prévention précoce non articulée à la question de la délinquance et d’une prise en charge globale fondée sur l’analyse psychopathologique, mettait l’accent sur le respect à porter aux enfants et à leurs familles, la richesse des institutions et des partenariats pluridisciplinaires, le constat partagé du manque de moyens et la nécessité de parler d’une même voix pour obtenir des moyens suffisants. Il esquissait les chantiers à faire avancer : chantier nosographique (l’augmentation modes d’expressions de la souffrance par l’agir), chantier épidémiologique (il faut avoir des données chiffrées), chantier sur l’évaluation des pratiques (nécessité d’outils, échelles, grilles indispensables).


Une victoire du vivant sur la politique des choses
(cf. Jean-Claude, Milner, La politique des choses, Navarin éditeur, 2005) ?