par Philippe Grauer
« De nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine, » la formulation de l’article de loi mis en branle devant le fabuleux spectacle de l’Origine du monde qui offusque La Poste et mobilise la censure nous ramène tout de même deux siècles en arrière. Cachez moi cette touffe que je ne saurais voir. À l’ère de la pornographie généralisée qui peut certes donner à regretter la puissance de la pudeur stendhalienne, donnant à imaginer plutôt qu’à voir, mettre à l’index Monsieur Courbet lui fait une fois de plus honneur, mais au détriment d’imbéciles dignes de Monsieur Homais, bref voici tout le XIXème siècle inopinément réuni dans l’espace d’un timbre poste quelque peu refoulé.
L’hygiénisme et la bien-pensance se donnant la main se penchent du haut d’un balcon au passage de la vertu et de la pudibonderie. La Poste devrait passer cette commande à un peintre pompier à la Pubis de Chavanne pour contre-proposer la vignette d’un timbre moral style ordre nouveau comme on les aime dans nos milieux intégristes très tendance ces derniers temps.
par Thierry Savatier
02 février 2014
L’Origine du monde, le célèbre tableau de Gustave Courbet peint en 1866, continue de déranger les bonnes âmes d’aujourd’hui. C’est l’ubuesque constat que l’on peut dresser, suite au refus de La Poste d’imprimer un timbre reproduisant la toile. La Société philatélique et cartophile de Besançon (SPB) voulait en effet éditer à quelques exemplaires un timbre commémoratif à l’occasion de l’exposition qui s’ouvrira en juin prochain au Musée Gustave Courbet d’Ornans, dont L’Origine est le thème central. Techniquement, grâce au service ID Timbre, l’opération ne posait aucun problème. Mais La Poste, se dissimulant derrière une charte des ventes peu et bien pensante, a jugé l’image « pornographique » selon le courriel de motivation qu’elle a adressé au président de la SPB !
Dans un communiqué déposé à l’AFP, l’entreprise a en outre expliqué que ce refus était « motivé par une volonté de ne pas heurter la sensibilité du jeune public, tout comme il a pu être refusé des images contrevenant à la loi Evin. » L’alcool, le tabac et l’art placés au même niveau de dangerosité dans un but hygiéniste… Et une sérieuse menace, en effet, qui n’aurait pas dépassé 5 cm2…
Comme le note l’universitaire Florence de Mèredieu dans un récent essai consacré à Antonin Artaud dont il sera prochainement question dans ces colonnes, un « acte de censure est […] une victoire qui porte le fer au cœur de la plaie sociale. » Nous sommes ici au cœur du problème : on pensait, dans la France de 2014, se trouver à l’abri du puritanisme imbécile qui conduisit, il y a quelques mois, les sites anglo-saxons Facebook et Picasa à censurer le tableau (pour « pornographie », bien entendu) mais il n’en est rien. À l’exemple des hamburgers trop gras et des sodas trop sucrés, la pudibonderie traverse toujours aussi facilement l’Atlantique pour exporter ses ravages, sans, a priori, qu’aucune résistance ne lui soit opposée.
Que l’œuvre de Courbet soit exposée depuis 1995 au Musée d’Orsay, visité quotidiennement par des scolaires, qu’elle soit régulièrement reproduite à la une des journaux ou diffusée sur les chaînes de télévision à des heures de grande écoute (comme l’an dernier) n’y change pas grand chose. Pour La Poste, ce tableau resterait nocif pour un « jeune public » qui, cependant, a accès à des images beaucoup plus crues et explicites sur Internet. Quid, en outre, de la carte postale du tableau qui demeure l’une des meilleures ventes de la librairie du Musée d’Orsay ? La Poste refuse-t-elle de l’acheminer ?
Cette tartufferie est significative du néopuritanisme ambiant, soutenu par l’éternelle menace de poursuites brandie par de prétendues « associations familiales » au titre de l’article 227-24 du Code pénal qui punit « le fait soit de fabriquer, de transporter, de diffuser par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support un message à caractère violent ou pornographique ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine ». Tant que les œuvres de l’esprit ne seront pas exclues du champ d’application de cette loi, la censure des œuvres d’art perdurera. Dans un courrier publié sur ce blog pendant la campagne des présidentielles, François Hollande s’était engagé à modifier le texte dans ce sens. Cette réforme, rapide à mettre en œuvre et ne coûtant rien aux finances publiques serait la bienvenue.
Pour l’heure, une seule certitude émerge de cette affaire ridicule : pour qualifier L’Origine du monde – sans doute le tableau le plus célèbre de l’art occidental après la Joconde – de pornographique, il faut être un peu… timbré.