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« Le réel est toujours ce qu’on n’attendait pas et qui, sitôt paru, est depuis toujours déjà là, » écrit Henri Maldiney, mort ce 6 décembre à 101 ans, bravo pour la performance. Le voici toujours déjà là donc, ce philosophe dit heideggerien indépendant(1) allé chez Kierkegaard et auprès de la poésie allemande s’abreuver à la source des écrits d’Heidegger sur l’angoisse, un immense philosophe de la phénoménologie, écrivant transversalement sur l’art, la folie, la psychanalyse, le contact, la Gestaltung, de nombreux éléments de notre psychothérapie relationnelle.
Henri Maldiney, philosophe phénoménologue, fut l’un des introducteurs de la pensée du psychiatre Ludwig Binswanger (1881-1966) en France. Son enseignement eut une influence importante dans la formation de toute une génération de psychiatres et de psychanalystes de la seconde moitié du XXe siècle. Ce volume rassemble des textes qui portent autant sur des concepts fondamentaux de l’approche phénoménologique (ceux d’Erwin Straus sur le « moment pathique », intérieur au « sentir ») que sur l’espace, le temps et la représentation, ainsi que sur la peinture (Uccello, Tintoret, Tal Coat). Maldiney met en scène une grande méditation sur l’existence et ses épreuves : la folie, la souffrance et la possibilité pour l’homme de s’insérer dans une ouverture au monde centrée sur la parole et le regard.
Phénoménologie, esthétique et psychanalyse constituent les trois registres transdisciplinaires de cet auteur au style sans pareil, un des introducteurs en France (ne pas oublier Michel Foucault, 1954) de la Daseinsanalyse de Ludwig Binswanger (2), explorateur de la « psychologie du destin » du Léopold Szondi dont la pensée et la psychopathologie particulière restent chères au cœur de notre Jacques Tosquellas.
Avant que Claude Rabant nous livre sur cet auteur considérable qu’il connaît bien l’article qu’il mérite, prenez connaissance de ce commentaire de Jean-Christophe Goddard :
Dans Penser l’homme et la folie plus précisément dans le dernier article qui s’intitule « De la transpassibilité » (1991), Maldiney cite un court texte extrait du tout début de l’introduction de l’exposé de 1812 de la Wissenschaftslehre de Fichte. Cette citation intervient à un moment décisif de l’article : là où, précisément, il s’agit pour Maldiney d’introduire une distinction radicale entre l’esprit et la vie organique : « l’intellection se fait elle-même et ce n’est que par là qu’elle est juste. Ce qui ne se fait pas par soi, ce qu’un moi quelconque projette de sa pensée est faux. Qu’est-ce donc qui revient au moi ? Dans une totale passivité s’abandonner à cette image qui se fait elle-même par soi, l’évidence. C’est dans cet abandon qu’il se trouve. Nous devons ne faire activement absolument rien. » Cette passivité du moi « à l’égard de ce qui peut l’apprendre à lui-même », commente Maldiney, est « une première esquisse de la transpassibilité. »
Votre curiosité éveillée cherche à en savoir plus ?
– Penser l’homme et la folie
– Jean-Christophe Goddard, Henri Maldiney, Transpassibilité et psychose,
– le site Henri Maldiney
– École française de Daseinanalyse
De fait, Heidegger, crut réellement à l’efficacité en philosophie du Führer Prinzip, on appelle ça un nazi, même si de variété pas trop antisémite, et n’a jamais été capable (marié à une nazie convaincue pour ne rien arranger) de condamner au moins après-coup l’horreur des camps et de la Shoah . Tout de même une Ereignis de nature à secouer le cocotier de la philosophie (Hans Jonas, Le Concept de Dieu après Auschwitz). L’ensemble donne un grand philosophe dans la peau d’un personnage veule et sans qualité morale, réfugié dans son intelligence – le Ne-pas-vouloir-savoir ne relevant pas de ses catégories. L’humanité est ainsi parfois faite. L’inconfort est pour l’interlocuteur du philosophe, qui lui ne doit pas oublier. Être-pour-la-mort sous sa plume restera connoté Nuit et brouillard. Cet homme infréquentable par le mépris qu’il inspire (mais René Char et Hans-Georg Gadamer furent ses amis, le renard est dédouané) nous laisse une philosophie incontournable à laquelle emprunter la rigueur de sa construction et la puissance d’une pensée révolutionnaire de l’espace être-temps, ayant tout de même engendré l’existentialisme – toujours sans oublier que la reliure du bouquin s’orne d’une tête de mort de sinistre mémoire. Ceux qui veulent méditer là-dessus le peuvent. Son côté marronnier fatigue la matière, de toute façon toujours la même. Sartre l’a exécuté en quelques mots, grand philosophe et nazi. Comme dirait l’humoriste demerden Sie sich avec ça. Emmanuel Levinas parle de la dette de tout chercheur contemporain envers Heidegger : « dette qu’il lui doit souvent à regret. » (Emmanuel Levinas, Dieu, la mort et le temps, Livre de poche, p. 16.). On peut s’en tenir là. Plus outre : wikipedia, bien fait.