L’anthropologie, la psychothérapie relationnelle s’y trouve englobée, comment penser l’humanité de l’humanité sans l’inclure dans l’humanité ? À propos de globalisation, terme auquel Augé préfère planétarisation, ce en quoi nous avons plaisir à le rejoindre, l’idée de village planétaire est trompeuse car plus ça va plus le village devient muséal (dans le meilleur des cas) et la ville tentaculaire, lieu de vie des ruraux et migrants précipités dans la grande malevie ceinturant les mégapoles. Pourtant la revendication villageoise, sa nostalgie demeure, et les vieux urbains se plaisent à décrire les villages juxtaposés constitutifs du tissu hyperurbain du lieu de leur résidence.
Certes on peut rêver de nouveaux villages, d’une nouvelle campagne (et même de nouvelles villes) et de nouveaux cultivateurs comme on disait dans le temps, et d’une vie commune ajustée à l’écologie, à échelle humaine, mais suivons seulement Augé où présentement il nous emmène.
Restons lucides, notre psychothérapie relationnelle s’adresse généralement, dans la classification qu’il nous propose, aux consommateurs, avec quelques exceptions pour les exclus haut de gamme (qui ont moins accès au vieillissement, ont la culture et de quoi payer une poignée parfois vraiment minimaliste d’€). La grande misère elle est traitée par les prisons (retour au XIXème siècle), la moyenne misère, la pauvreté, par les CMP, la psychiatrie de secteur. Les puissants ont les moyens, sauf exception par le cheminement culturel, d’oublier de se préoccuper du sens de leur être et de leur vie, occupés à jouir de leur aliénation, et à gérer leur part de gâteau.
Luciano Movio/SINTESI/SIPA
La démocratie et les Lumières dont nous héritons, repensées après le soubresaut du fascisme, sont indispensables à notre psychothérapie relationnelle, et à une progression des Terriens. Cela passe par la laïcité, laquelle a pour corollaire une sortie du religieux, peut-être plus complexe que ce que s’imagine Marc Augé, et qui ne s’effectue pas sans soubresauts en effet et hoquets de violence spectaculaires.
À nous de penser l’histoire à périodisation large, pour récupérer la capacité de sagesse nécessaire à notre exercice et à nos contemporains, à ce moment de transition que nous traversons, pas toujours si facile à appréhender. Au quotidien de la Menace présenter le visage inquiet et suffisamment apaisé de celui qui a effectué le travail sur soi qui permet d’avancer non sans peine mais avec la capacité encore d’actionner le Principe espérance.
propos recueillis par Macha Séry© Le Monde
Il a existé des formes partielles de mondialisation dans le passé, soit des tentatives d’hégémonie politique – le monde grec, les empires coloniaux, par exemple. Dans sa définition initiale, la globalisation vise à décrire les technologies de la communication et les mécanismes de l’économie de marché. Je propose, pour ma part, le terme de « planétarisation », afin de mieux signifier la consistance géographique, mieux, géologique, qu’est la planète. La conquête spatiale, qui se limite pour l’instant à la proche banlieue de la Terre (la Lune, Mars), et la découverte de notre planète comme paysage vu depuis les satellites d’observation ont changé la donne. De même que l’urbanisation massive, partout. En ce sens, l’expression « village global » est erronée. Autre changement d’échelle qu’on oublie souvent de rappeler : la croissance démographique. La population mondiale d’il y a cent ans équivaut à la population de la Chine aujourd’hui. Et avec l’espérance de vie, on voit parfois coexister quatre générations.
Les plus jeunes forment les plus âgés parce que les technologies requièrent de la virtuosité. Il y a là un renversement des perspectives dans la transmission. En tout cas en apparence. L’allongement de la durée de la vie permet aussi de saisir combien l’Histoire s’accélère en ce moment. Il n’y a qu’à constater les progrès scientifiques accomplis depuis quarante ans et l’impossibilité de savoir quel sera l’état des connaissances dans quarante ans.
Toujours est-il que ce progrès, entendu comme somme de connaissances, est inégalement partagé. De fait, le développement des moyens de communication est parallèle à l’écart qui se creuse entre riches et pauvres. Pour moi, les Terriens se divisent aujourd’hui en trois catégories : les puissants, les consommateurs et les exclus. Les puissants représentent l’oligarchie formée par ceux qui circulent sur la planète et la considèrent comme leur jardin. Les consommateurs sont nécessaires au fonctionnement du système. Quant aux exclus, ils le sont de la consommation autant que de la connaissance. Le grand défi de l’avenir sera de faire en sorte que chacun, quels que soient son âge et son degré de richesse, puisse participer à l’aventure commune de la connaissance.
Instantanéité, ubiquité. Ils abolissent le temps et l’espace. Le risque est de nouer des rapports désincarnés. L’homme est un animal symbolique. Il a besoin de relations inscrites dans l’espace et le temps.
Chaque culture, si elle revendique son droit à la différence, ne se l’applique pas à elle-même. Celui qui sort des règles est sanctionné. Cela peut paraître curieux pour un ethnologue, mais je ne suis pas un amoureux des cultures au sens anthropologique du terme. Certes, elles sont nécessaires dans la dialectique identité-altérité, du fait qu’on a besoin des autres pour se construire et qu’il faut des règles pour cela. Et le meilleur régime pour concilier sens social et autonomie individuelle, c’est la démocratie. Au fond, je suis un héritier des Lumières, ce siècle, qui, certes de façon incomplète, a pour moi souligné l’essentiel. Si je parle de Terriens, c’est sur le modèle imaginaire du Martien qu’on n’imagine pas divisé en cinquante ou soixante nations. Tels qu’on se les représente, les extraterrestres sont indifférenciés. À nous de le devenir, indifférenciés.
C’est une vision optimiste, j’en conviens. Reste le problème de la religion. À mon sens, le monothéisme est prosélyte et un grand nombre de nos malheurs viennent de là. Le prosélytisme armé, le djihadisme, est un anachronisme meurtrier, périlleux et sans avenir. La sortie du religieux me paraît évidente, tôt ou tard. Il y a des milliards de systèmes solaires dans notre galaxie et des milliards de galaxies dans l’Univers connu, l’idée d’un dieu qui s’affairerait au salut de chacun a quelque chose d’absolument incroyable.
Je me situe dans un très long terme. L’Histoire n’a jamais été un long fleuve tranquille. Elle se caractérise par des soubresauts, des retards, des contradictions. La science elle-même est tributaire de l’argent, donc pas totalement à l’abri des puissances politiques et financières. Mais je crois que la curiosité l’emportera. Cette société planétaire, que préfigure vaguement l’ONU, verra fatalement le jour.