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16 octobre 2009

Merci Monsieur Accoyer Par Yves Lefebvre — présenté par Philippe Grauer

Par Yves Lefebvre — présenté par Philippe Grauer

Par Yves Lefebvre

Ce texte provient du site du SNPPsy, avec son aimable autorisation.

Notre éminent Yves Lefebvre, l’éditeur de Profession psychothérapeute, Buchet-Chastel, 1995, tient pour acquise l’interdiction qui nous serait faite à l’issue d’une adoption d’un décret dont le texte n’est toujours pas sorti des placards ministériels, de porter notre titre. N’allons pas plus vite que la musique, pour l’instant rien de tout ceci n’est acquis et d’autres batailles juridico-politiques pourraient avoir lieu.

Cela dit, Yves Lefebvre excelle à renverser le contre en pour, et lit dans l’apparente adversité que nous administre une injuste loi officialisant la méconnaissance précisément dans le domaine où c’est d’elle et de la souffrance qu’elle engendre que les gens qui viennent à nous cherchent à se défaire, lit dans cette adversité même l’annonce et proclamation de notre reconnaissance.

Cette histoire n’en a pas fini de vivre des prolongements, tant il est vrai qu’interdire de leur titre des praticiens présentant un système de garanties et un ancrage éthique et institutionnel incontestable, validé sur le terrain par le recours constant de nos concitoyens éclairés, n’est pas une mince affaire. À moins précisément qu’en fait on ne constate à l’usage qu’elle tient davantage à la sémantique qu’à la réalité.

Qui sait, on pourrait voir continuer leur petit bonhomme de chemin sous un nom bien à eux à nos collègues inscrits dans des systèmes de caution solidaire respectés et respectables, relevant d’un secteur libéral étayé à de bonnes écoles privées et à une reconnaissance par des organismes historiques comme notamment le Snppsy et l’AFFOP.

Alors suivez le guide dans le détail d’argumentations qui font apparaître la spécificité épistémique et morale, la dignité, de notre identité disciplinaire et professionnelle.

Philippe Grauer


Une meilleure reconnaissance

Eh oui, Monsieur Accoyer, nous vous devons paradoxalement une meilleure reconnaissance de notre profession, celle-là issue de nous-mêmes et d’un processus vivant d’une nature si radicalement différente de vos critères administratifs et scientistes, que je comprends qu’elle vous échappe.

L’essentiel est d’en parler

Tout d’abord, vous nous avez fait une publicité inestimable, alors que nous sommes bien mal outillés et pas très bien formés à la communication chère au monde des marchands, des journalistes et des politiciens. « Parlez-en en bien, parlez-en en mal, l’essentiel est d’en parler » dit-on parfois dans ces milieux.

La quatrième profession du Carré psy

En dérobant le titre des « ci-devant psychothérapeutes » pour le donner à ceux qui ne le demandaient pas parce que déjà pourvus de labels prestigieux et suffisants pour exercer la psychothérapie à leur façon (psychiatres, psychologues et psychanalystes), vous avez mis au grand jour l’existence d’une catégorie de psy que d’autres préféraient cacher pour des raisons de concurrence corporatiste. Vous avez tellement insisté et persévéré qu’aujourd’hui plus personne n’ignore la quatrième profession du fameux carré psy, avec sa spécificité, ses cinq critères exigeants et ses quelques usurpateurs ayant échappé aux associations sérieuses autoréglementant les ex-psychothérapeutes.

Système pervers

Le nom que nous nous donnions depuis plus de trente ans sera par vos soins désormais réservé à des psychopathologues universitaires concurrents des psychologues cliniciens qui n’en avaient vraiment pas besoin, tandis qu’il est proposé aux trois professions psy reconnues par la loi de compléter leur titre en s’inscrivant dans les listes préfectorales pour s’approprier celui de psychothérapeute. Si leur titre précédent doit être ainsi complété du nôtre vidé du sens qu’il avait pris par nos soins, cela sous-entend que le leur est devenu insuffisant pour exercer la psychothérapie. N’importe quel psy des quatre professions reconnaîtra immédiatement dans cette complication le système pervers décrit par la psychopathologie, où tout le monde est perdant.

Comme un médecin réduit une fracture

Vous nous avez donc mis devant l’impossibilité d’accepter ce bourbier et obligés de préciser qui nous étions : des psychopraticiens relationnels c’est-à-dire utilisant la relation comme outil principal pour exercer la psychothérapie du sujet, traitant les symptômes comme un langage à entendre pour permettre au je qui entend d’advenir. C’est la psychothérapie qu’on pourrait appeler philosophique ou subjective pour la distinguer de l’autre aussi utile mais ne s’adressant pas tout à fait au même public, la psychothérapie médicale ou objective qui vise à traiter des symptômes en tant qu’objets à réduire scientifiquement, comme un médecin réduit une fracture.

L’occasion de se construire soi-même

Vous avez en fait involontairement renforcé notre identité en voulant éradiquer notre honorable métier qui offre à d’innombrables personnes l’occasion de se construire elles-mêmes, devenant libres sujets de leur propre vie dans un processus créatif d’individuation qu’elles étaient dans la peine d’entreprendre seules, parce que prises dans d’innombrables “bleus de l’âme” comme vous le disiez vous-même si joliment. Vous avez cru devoir diaboliser une belle profession au prétexte qu’il s’y glisse parfois des usurpateurs n’ayant pas satisfait aux critères qui la fondent.

Essences différentes

Vous avez voulu imposer l’impérialisme du diplôme universitaire essentiellement fondé sur un enseignement de psychopathologie médicale, comme seule preuve de compétence pratique dans l’art de la psychothérapie, faisant accroire l’idée que cela préserverait aussi des charlatans, c’est-à-dire de personnalités psychotiques, perverses, sectaires ou immatures, ce qui n’a rien à voir avec l’obtention d’un diplôme et dont les psys sont loin d’avoir l’exclusivité. Vous n’avez en réalité rien réglé du charlatanisme mais vous nous avez contraints à approfondir notre identité, à la fortifier et à la renouveler par un processus vivant qui ne peut trouver de place dans les catégories administratives parce qu’il est d’un autre ordre, comme l’art et la science également honorables mais d’essence différente.

Dialogue entre professions voisines

Accessoirement, vous nous avez aussi obligés à coopérer entre associations qui s’ignoraient ou se concurrençaient, à dialoguer avec les professions voisines de la nôtre où nous avons rencontré autant d’amis que d’adversaires, à prendre notre juste place dans le vaste champ de la psychothérapie.

De tout cela, comment ne pas vous remercier ?

Une nécessité sociale

Au risque de paraître subversifs, nous refusons désormais grâce à vous la reconnaissance administrative que nous avions naïvement espérée et que nous découvrons fondée sur des critères étrangers à ce que nous sommes, seulement apte à nous faire perdre notre âme. Nous refusons par conséquent d’accéder au titre que votre loi veut nous dérober pour le dénaturer. Et si vous parvenez un temps à persécuter des personnes, pour lesquelles nous nous battrons sans faiblir ni rien céder, vous ne pourrez jamais éradiquer la réalité vivante que nous représentons. La psychothérapie du sujet que nous exerçons n’est en effet rien d’autre que le produit de la société contemporaine, ou de son inconscient collectif comme dirait Carl Gustav Jung. C’est une nécessité sociale qui a fait émerger notre profession, comme un corps malade produit des anticorps.

Supprimer le désir par décret

Notre pratique n’est aussi qu’un des aspects de la version actuelle d’une démarche très antique, inhérente à l’être humain. Rien n’a jamais pu éradiquer le désir d’un sujet de se réaliser comme tel et d’en chercher les moyens subjectifs, car cette recherche est inscrite au cœur de la psyché humaine depuis toujours. On ne peut supprimer par décret ni la philosophie, ni la spiritualité, ni le désir, même si beaucoup s’y sont essayé dans l’histoire, pas plus qu’on ne peut supprimer la psychothérapie relationnelle d’aujourd’hui qui y plonge ses racines.

Nos cinq critères

Mais qu’est donc alors ce besoin de reconnaissance recherchée par les psys eux-mêmes, qui a finalement produit une telle perversité ? « L’analyste s’autorise de lui-même » disait justement Lacan, certes pas de son ego malade qui voudrait être ce qu’il n’est pas mais de son être profond, de sa nature personnelle, de son labeur et de sa propre autorité créatrice ; surtout pas d’un décret. « Et de quelques autres » ajouta-t-il un peu plus tard, ce qui justifie nos cinq critères qui se sont révélés à l’usage bien plus efficaces qu’un diplôme, le dernier critère étant un processus d’agrément par les pairs.

Reconnaissance par les pairs ou administrative ?

Dans le travail d’individuation cher à Jung, le besoin de reconnaissance diminue à mesure que l’on se reconnaît soi-même, même si ce besoin reste longtemps nécessaire : l’enfant ne se constitue-t-il pas comme sujet sous le regard et la reconnaissance de ses parents ? N’a-t-on pas besoin plus tard d’une reconnaissance sociale comme on a eu besoin d’une reconnaissance personnelle pour se sentir exister psychiquement dans un monde relationnel ? Mieux vaut alors adresser ce besoin légitime aux bons endroits, par exemple élaborer des processus de reconnaissance par les pairs. Ça n’est pas la même chose que risquer de perdre son âme pour une reconnaissance administrative qui pourrait nous détourner de notre véritable identité en nous plaçant dans un cadre imposé depuis un autre lieu que le nôtre et dans une autre langue, comme on peut le voir actuellement en Grande Bretagne.

Psychopraticiens relationnels

Vous nous avez permis de dépasser le besoin d’une reconnaissance administrative extérieure à nous-mêmes, besoin dont les racines plongent dans une lointaine enfance à laquelle renoncer fait grandir. Nous sommes donc des psychopraticiens relationnels qui allons nous entendre entre associations de psychothérapie sérieuses et respectables, pour reconnaître par droit privé notre nouveau titre et les critères exigeants imposés à ceux qui voudront le porter, critères expérimentés depuis plus de trente ans et qui correspondent à ce que nous sommes réellement et à ce que nous faisons légitimement, dans une dynamique fondée sur le vivant.

Identité officielle ou réelle et vivante

Contraints par vous de choisir entre nous perdre dans une identité officielle qui n’était plus la nôtre ou bien grandir et nous fortifier par nous-mêmes dans la réalité vivante et la vérité de notre identité professionnelle singulière, nous n’avons rien pu faire d’autre que le bon choix.

De tout cela nous pouvons vous remercier, tant il est vrai que le processus de la vie prend parfois des chemins inattendus.