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8 septembre 2011

Miller fout Lacan à La Martinière

07 septembre 2011

Miller au Seuil : finies les lacaneries !

Il va y avoir du sport pour le 30ème anniversaire de la disparition du psychiatre et psychanalyste Jacques Lacan le 9 septembre. Non en raison d’un nouveau témoignage à caractère scandaleux sur ses rapports à l’argent, de révélations sur le coup de poing américain qu’il gardait toujours dans sa poche ou de la révision des interprétations sur son imprégnation maurrassienne. Jacques-Alain Miller vient de bruyamment claquer la porte des éditions du Seuil où il éditait les œuvres de Jacques Lacan et établissait le texte de ses Séminaires depuis 45 ans : cette porte, il l’avait poussée à la première fois à 22 ans en 1966 pour y éditer l’ « Index raisonné des concepts majeurs » des Ecrits de Lacan. Ces derniers jours, le torchon a brûlé entre Jacques-Alain Miller et Olivier Bétourné, PDG du Seuil. Non que la disputatio ait tourné à l’aigre car il n’y eut guère d’échanges d’arguments d’ordre intellectuel mais plutôt de noms d’oiseaux. A plusieurs reprises par le passé, le légataire du droit moral des œuvres de Lacan a quitté Le Seuil avant d’être rattrapé car un éditeur bien né ne saurait supporter qu’un non-dupe erre. Mais cette fois, c’est la bonne. La tension a monté jusqu’à ce qu’hier soir, Jacques-Alain Miller, mari de Judith Miller née Lacan, lise en public au cours d’une soirée à l’hôtel Pullman Montparnasse cette lettre assez ouverte adressée à Olivier Bétourné, patron du Seuil et compagnon d’Élisabeth Roudinesco, biographe de Lacan (vous suivez ?) :

«(…) Je suis toujours là, Olivier, et je finis la série de vingt-cinq (25) livres du Séminaire de Jacques Lacan. J’en ai vu des PDG, Olivier, depuis l’exquis Paul Flamand, si respectueux de la grandeur de Lacan. Certains, je les ai appréciés ; d’autres, moins mais ce n’était pas l’essentiel : tous sans exception ont respecté la tache à laquelle j’étais attelé. Vous, Olivier, vous n’aurez jamais un Séminaire de moi. Rien. Rien de Lacan. Rien de moi. Rien de personne. (…) Vous avez tissé autour de moi une nasse de silence. Tous les libraires de France se sont trouvés persuadés que j’étais injoignable, qu’il leur fallait abandonner toute idée de m’inviter ».

Gratinée, la lettre à Olivier Bétourné en date de Paris le 6 septembre. La fin, applaudie par 400 personnes debout dont Philippe Sollers, vaut le détour :

« (…) Vous apportez la honte dans cette maison, Olivier, et j’en sors. Je vous tire ma révérence, Olivier. J’emporte avec moi ces dix (10) Séminaires dont neuf (9) sont achevés, et le dernier le sera sous peu, dès que j’en aurai fini avec vos bourdes, Olivier, et les conséquences de vos bourdes. Ces Séminaires, vous n’avez sur eux aucun droit, et ils ne sauraient être publiés par un homme tel que vous. La collection du Champ freudien s’arrête. Elle devait son nom à Lacan. Vous n’aurez pas réussi à la tuer. Je n’en reprendrai pas le titre. Comme responsable du droit moral de Lacan sur son œuvre, je vous interdis, sous peine de poursuites, de l’utiliser vous-mêmes. Je le laisse à l’Histoire »

Interrogé cet après-midi par l’envoyé spécieux de la « République des Livres », le PDG du Seuil Olivier Bétourné, qui connaît Jacques-Alain Miller depuis 1984, lorsqu’il était encore secrétaire général de la maison, loin de rester sur son kant-à-soi a pris les choses avec calme :

« Contrairement à ce qu’il prétend partout, nous ne sommes pas en possession des Séminaires. Vous pensez bien que si c’était le cas, nous les publierions ! Cette affaire est dérisoire et puérile. L’attitude de Jacques-Alain Miller balance entre le délire de persécution et le chahut d’étudiant. Pour ce qui est de l’effet d’annonce, c’est réussi. Pour le reste, en passant du Seuil à La Martinière, il ne fait que passer du 6ème au 4ème étage du même immeuble du même groupe… »

Il est vrai que le milieu des lacaniens exerce une forte pression sur Miller pour qu’il publie moins lentement les Séminaires ; or il s’est écoulé quatre années entre les deux derniers et l’attente a été jugée intolérable par les premiers concernés (il en est de même pour l’édition archéologique des manuscrits de Qumran mais il n’y est pour rien). Il reste dix volumes à publier. A ce rythme, nombre de lacaniens auront passé l’arme à gauche sans les avoir lus. Miller, lui, plaide que chaque édition requérait du temps ce qui, conjugué à l’instabilité du Seuil, l’a poussé à en différer la publication. Ce dont il se félicite aujourd’hui : «Ils ne sont pas entre les mains du Seuil ? Encore heureux ! Mais ils existent bien, à l’abri, terminés sauf Le Désir. Et ils paraîtront… ». Sur ce sujet et d’autres, il vient d’ailleurs d’accorder un entretien très complet au Diable probablement (170 pages, 15 euros, Verdier), revue qui réussit l’exploit d’être lacanienne sans être psychanalytique. Jacques-Alain Miller dit JAM publiera désormais les ouvrages du maître chez Hervé de la Martinière dit HLM. Samedi après-midi, il sera reçu à la librairie Mollat à Bordeaux pour y parler notamment de son dernier opus Vie de Lacan (Navarin); on espère pour la tranquillité du département de la Gironde qu’une conférence-signature d’Élisabeth Roudinesco pour son nouveau Lacan, envers et contre tout (Seuil) n’est pas prévue au même moment dans la même ville. Surtout si l’historienne de la psychanalyse a eu sous les yeux le Lacan quotidien, nouveau bulletin en ligne lancé par l’agence lacanienne de presse : faisant fi du lacan-dira-ton, Miller y raconte ses démêlés par le menu, à sa manière, drôle et cruelle, en des termes assez diffamatoires pour « Bétourné et sa démone » ainsi que leur service de presse, ce qui est inévitable pour celui qui s’y présente désormais comme la pipelette des intellos, « le Léautaud du structuralisme ».

(« Tout à l’heure, en sortant du métro Les Halles, je me perds dans le forum et je tombe nez à nez avec cette installation : il est partout ! » photo Passou)