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13 juillet 2007

Mort d’Ernest Federn — un témoin historique s’il en fut. Élisabeth Roudinesco

Élisabeth Roudinesco

La mort d’Ernst Federn

Fils de Paul Federn, grand compagnon de Sigmund Freud, Ernst s’est éteint le 24 juin à l’âge 93 ans. Très tôt, il sut que la psychanalyse serait la grande affaire de sa vie, au point de parler de lui-même en utilisant le langage de la tribu : « Je suis né avec un tempérament narcissique oral typique. »
Adolescent difficile, il fut initié très tôt à la politique par Therese Schlesinger (1870-1940), soeur d’Emma Eckstein, ancienne patiente de Freud, et qui deviendra l’une des dirigeantes du Parti social-démocrate autrichien. Aussi rêve-t-il de concilier le marxisme et le freudisme tout en ayant une sympathie profonde envers Léon Trotski et Rosa Luxembourg. En 1936, il devint le secrétaire de son père, s’immergeant ainsi dans la saga freudienne des origines.

Arrêté comme juif et militant politique, il fut alors déporté d’abord à Dachau puis à Buchenwald, où il rencontre Bruno Bettelheim. Il passe la durée de la guerre au camp et ne doit sa survie qu’à des circonstances exceptionnelles. Il eut la chance d’être veilleur de nuit puis de pouvoir se servir de la psychanalyse en s’occupant des détenus criminels ou en accompagnant dans la mort ceux qui étaient désignés pour l’extermination. Il fut ainsi, comme il le raconte par la suite, une sorte de «  psychanalyste de camp « , allant même jusqu’à donner des conférences sur le sujet.

Libéré en 1945 par l’armée américaine, il se rend à Bruxelles et entre en contact avec le délégué de la Croix-Rouge internationale avant d’être mandaté pour réaliser un projet d’hygiène mentale destiné aux anciens déportés. Trois ans plus tard, il émigre aux Etats-Unis, où il retrouve sa famille et tous les autres viennois déjà exilés. C’est alors qu’il entre en analyse avec Herman Nunberg (1883-1970), qui avait été lui-même analysé par Paul Federn.

Comme de nombreux viennois, il ne pouvait échapper à ce destin particulier qui avait fait de lui non seulement un rescapé du génocide, mais aussi l’héritier d’une histoire à laquelle il demeure fidèle toute sa vie. C’est donc comme travailleur social et dans la droite ligne des engagements de sa jeunesse qu’il se consacre autant à la réinsertion des adolescents en difficulté qu’à l’aide psychologique aux familles juives.

Il étudie avec finesse la psychologie des génocidaires, s’opposant notamment à la thèse selon laquelle les exterminateurs nazis n’auraient été que des fonctionnaires zélés. Par ailleurs, il s’intéresse à la constitution d’une historiographie psychanalytique (Témoin de la psychanalyse, PUF, 1994).


Élisabeth Roudinesco pour Le MONDE – Article paru dans l’édition du 06.07.07


Ernst Federn

26 avril 1914 : Naissance à Vienne (Autriche)

1994 : Publication de Témoin de la psychanalyse

24 juin 2007 : Mort à Vienne