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29 décembre 2013

Nathan G. Hale Jr. – disparition d’un grand historien de la psychanalyse Anthony Ballenato

Il n’y a pas que les révisionnistes, anti freudiens mordicus et l’érudition perverse des obsédés falsificateurs, il y a les grands historiens qui permettent à la faveur d’une description et réflexion sur la façon dont les choses se sont passées d’accéder à l’intelligence de ce qui se déroule sous nos yeux.

PHG


Anthony Ballenato

Disparition de l’historien américain Nathan G. Hale Jr. – 1922-2013

par Anthony Ballenato

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C’est avec beaucoup d’émotion et d’étonnement que nous apprenons seulement aujourd’hui la disparition de l’historien américain Nathan George Hale Junior survenue dans son sommeil, le 17 février 2013 à l’âge de 91 ans.

Né le 5 septembre 1922, à Sacramento, Californie, d’origine gallo-écossaise, Nathan G. Hale Jr. était issu d’une famille de l’aristocratie de Nouvelle-Angleterre, installée à New Haven, Connecticut, depuis 1632, qui prit une part active dans la guerre d’indépendance. C’est d’ailleurs à la demande de Georges Washington que son ancêtre, Nathan Hale fut envoyé comme espion auprès des troupes britanniques du Roi Georges III, qui stationnaient alors à Long Island. Probablement trahi par un loyaliste, Hale est capturé à New York et pendu comme « combattant illégal » en 1776 à Manhattan. Tout juste âgé de 21 ans, Nathan devint ainsi un héros de la Révolution américaine et le premier espion de l’histoire des États-Unis.

Hale Junior passe la majeure partie de son enfance dans la banlieue sud de San Francisco avant de s’inscrire à Princeton, New Jersey, en 1940. Après l’attaque de Pearl Harbour en décembre 1941, ses compétences en japonais lui font intégrer le Signal Corps sur le front pacifique, afin de décoder les messages de l’ennemi puis, à partir de 1945, les services d’interprétariat des forces d’occupation du Général MacArthur à Tokyo.

à la Sorbonne

En 1947, il retourne terminer ses études à Princeton, d’où il sort valedictorian, c’est-à-dire major de promotion. Grâce à l’obtention d’une bourse Woodrow Wilson, il vient étudier à La Sorbonne et après une absence de près de 10 ans, se réinstalle à San Francisco où il travaille comme reporter au San Francisco Chronicle.

histoire de la médecine / histoire sociale

À partir des années 1950, la baie de San Francisco se passionne pour les recherches à l’interface de l’histoire de la médecine et de l’histoire sociale et culturelle. Entre Stanford et Berkeley, les premiers travaux savants consacrés à la question des médecines de l’âme et du freudisme sont désormais départis de leurs oripeaux hagiographiques (notamment Fred Matthews et John C. Burnham).

Convaincu que l’enseignement et la recherche étaient ses véritables vocations, Hale soutient à Berkeley une thèse en 1964 sur les origines et l’établissement du mouvement psychanalytique sur le sol américain. Il y montre comment, au début du XXème siècle, la psychanalyse refonde une psychiatrie devenue moribonde en la dotant de principes dynamiques et surtout, comment la théorie freudienne est investie comme une politique de remise en cause, plus ou moins radicale, de l’éthos puritain.

ouvrage de référence

Publié en 1971, de façon augmenté, sous le titre The Beginnings of Psychoanalysis in the United States, 1876-1917, l’ouvrage est immédiatement considéré comme un chef d’œuvre et devient, au fil du temps, un des plus grand classique du champ (Oxford University Press – traduit en français en 2002 et édité par Philippe Pignarre aux Empêcheurs de penser en rond, 2002).

Dans la foulée, il se marie en 1973 et devient professeur au département d’histoire de l’Université de Californie-Riverside où il est autant apprécié pour son écoute que redouté par les étudiants pour ses exigences de travail. Il occupera ce poste jusqu’à sa retraite.
Pianiste émérite, cavalier hors-pair et fervent épiscopalien, il aimait la nature au point de passer la moitié du temps à s’occuper de son ranch dans le nord de la Sierra Nevada.
De fait, et malgré de nombreuses publications d’articles – dont l’édition de la correspondance de James Jackson Putnam, professeur de neurologie à Harvard, avec Freud, Sándor Ferenczi, Ernest Jones et les grandes figures de l’École bostonienne de psychologie médicale (Harvard, 1971 – Gallimard, 1978) – il aura fallu attendre près de 25 ans pour lire son second volume consacré à la période 1917-1985.

hygiénisme du bonheur et psychologie de l’adaptation

Publié en 1995, The Rise and Crisis of Psychoanalysis in the United States, montre comment la psychanalyse s’est entièrement fait évider par une médicalisation croissante qui va la soumettre à l’idéal de l’American Way of Life (bonheur, réussite matérielle et santé), transformant ainsi la doctrine freudienne en un hygiénisme du bonheur et une psychologie de l’adaptation.

Hale revient aussi en détail sur l’institutionnalisation du mouvement et la dissémination des idées freudiennes dans les Roaring twenties, le sauvetage de la psychanalyse et de la diaspora freudienne à partir des années 1930 et les conflits croissants entre « orthodoxes » et « néo-freudiens », culminant dans les années d’après-guerre alors que l’influence de la psychanalyse est à son apogée.

nouvelle mythologie cérébrale et biologique

Il montre enfin comment à partir des années 1970, l’industrie pharmaceutique et le renouveau d’une psychiatrie organiciste, associés aux critiques d’un anti-freudisme radical, amorcent le déclin de la psychanalyse tant dans l’opinion que dans les institutions médicales au point que celle-ci se trouve définitivement supplantée, à la fin des années 1980 par une approche de la condition humaine basée sur une nouvelle mythologie cérébrale et biologique.

S’il est une référence dans le monde anglophone, ce deuxième volume demeure, malheureusement, inédit en français, alors même qu’il représente – avec la somme consacrée à la France par Élisabeth Roudinesco, comme l’ont souligné Edward Shorter et John Forrester – l’histoire d’une culture et d’une situation de la psychanalyse la plus complète et subtile faite à ce jour.

de nouvelles têtes à l’hydre freudienne

Et si, à partir des années 1990, la psychanalyse est déclarée morte et enterrée en Amérique, Nathan Hale consacre néanmoins un de ses derniers articles à l’histoire de la psychanalyse à Los Angeles avec pour titre : De nouvelles têtes à l’hydre freudienne.


Brève bibliographie

Freud and the Americans. The Beginnings of Psychoanalysis in the United States, 1876-1917, New York, Oxford University Press, 1971.-
James Jackson Putnam and Psychoanalysis: Letters Between Putnam and Sigmund Freud, Ernest Jones, William James, Sandor Ferenczi, and Morton Prince, 1877-1917, Cambridge, Harvard University Press, 1971.-
L’introduction de la psychanalyse aux États-Unis. Correspondance de James Jackson Putnam avec Freud, Jones, Ferenczi, William James et Morton Prince, Paris, Gallimard, 1978.-
– « From Berggasse XIX to Central Park West: The Americanization of Psychoanalysis, 1919–1940, » Journal of the history of the behavioral sciences, 1978,14.-
– « Freud’s Reich, the Psychiatric Establishment, and the Founding of the American Psychoanalytic Association: Professional Styles in Conflict, » Journal of the history of the behavioral sciences, 1979, 15.

The Rise and Crisis of Psychoanalysis in the United States, 1917-1985, New York, Oxford University Press, 1995.-

– « New heads for Freud’s hydra: Psychoanalysis in Los Angeles », Journal of the history of the behavioral sciences, 2001, 37.

Freud et les américains. L’implantation du freudisme aux États-Unis, 1876-1917, Paris, les Empêcheurs de penser en rond, 2002.-