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1 mars 2009

Ne pas taper sur « La Tapeuse de Lacan » RANDOLPH Michael

RANDOLPH Michael

Billet à propos de l’ouvrage de Maria Pierrakos, psychanalyste

Un compte rendu d’un livre surprenant, se voulant — et y parvenant — bouleversant.

Ce petit livre (pas plus de deux heures à la lecture) réussit la prouesse inouïe de traduire un malaise caractérisé face au phénomène d’extase mutuelle obscure que l’auteure aurait observé lorsqu’elle était la sténographe aux séminaires, dans la déclinaison pli par pli de l’univers impitoyable de la psychanalyse selon Lacan. Elle rend visible la chaîne et la trame d’un habit qu’elle trouve tissé de narcissisme pur. 
Sur un site d’échanges d’idées autour de la psychanalyse, il est dit de ce que Maria Pierrakos a écrit dans son livre, « est passée à coté de l’essentiel ». Etrange remarque, car Maria Pierrakos s’est efforcée d’accomplir plusieurs tâches dans son petit livre dont très certainement la plus importante était de ne pas s’éloigner trop de ce qui pourrait être considéré par d’autres observateurs comme des questions essentielles : la psychanalyse lacanienne a-t-elle fait beaucoup de mal à la réputation de la psychanalyse en général ? Est-ce que la psychanalyse lacanienne aurait colporté dans l’ensemble des foyers psy de la France et parfois ailleurs une pratique désastreuse liée à une philosophie enracinée fermement dans le mortifère ? La scène originale sur laquelle s’est joué la séduction d’une large tranche du monde intellectuel français nous a-t-elle montré un processus d’emprise profondément sectaire ? Difficile, quelles que soient les réponses que l’on voudrait y apporter, de traiter ces questions d’inessentielles.   
Pour appréhender aussi bien le dessein que la portée du livre en voici quelques extraits :

« L’être monstrueux que représentait l’entité Lacan/auditoire, couple pervers communiant dans un langage secret et des rites sectaires, avec d’un côté le dévoilement des mystères, de l’autre la soumission et l’adoration, là se révélait l’imposture. » ;

« À quel moment Lacan a-t-il oublié, dans ses constructions de plus en plus élaborées, le but ultime de la psychanalyse : la délivrance du prisonnier, la victoire contre les forces d’oppression de la vie psychique ? »

« Briser la cohérence du langage, obliger l’auditoire à être aux aguets pour suivre les méandres de la pensée, suggérer une logique non-euclidienne, ouvrir des tunnels dans les profondeurs obscures de l’inconscient, c’est-à-dire avoir une fonction essentiellement éveillante, y a-t-il plus psychanalytique ? Mais les tunnels débouchaient sur d’autres tunnels, à l’infini ; et, de surprise en surprise, de saisissement en saisissement, combien sont tombés dans une sidération qui ne laissait plus place qu’à une imitation spasmodique ? »

« L’analyse lacaniennne est une recherche permanente, mais de quoi ? Quelle est cette ivresse de la béance qui transparaît dans les paroles de Lacan et qui s’est transmise dans la pratique de ses disciples ? »

« Mais, avec l’attitude lacanienne, c’est comme si le fin rideau de larmes qui s’interpose entre nous et le monde extérieur et nous permet d’en avoir une vision supportable devait disparaître, et nous nous retrouvons les yeux irrités, aux deux sens du terme. Il est de bon ton chez les lacaniens de parler avec mépris d’une certaine psychanalyse humaniste. Mais n’aurions-nous pas à faire ici à une théorie qui, dans son abstraction extrême, penche du côté du non humain ? »

« Ce n’est donc pas la théorie, savante, argumentée, explosive, nouvelle, qui doit être interrogée ici mais l’être qui naît de cette théorie. Si l’on essaie d’écarter un par un, comme les rideaux superposés d’un théâtre, les périodes étincelantes, les digressions spirituelles, les virtuosités langagières, les savants rapprochements philosophiques, linguistiques, anthropologiques, structuralistes, qu’est-ce qui apparaît sous ces voiles ? Essayons d’imaginer (oui, imaginer !) l’homme décrit par Lacan : c’est un homme en négatif, une radiographie ; ce qui est vivant n’apparaît plus ; un homme décharné, dévitalisé, une marionnette dont les fils sont tirés par le signifiant, un parlêtre. Un parlêtre est-il autre chose que parole ? »

« Ainsi, sous couvert d’une pensée hautement élaborée et donc difficilement accessible, on en arrive tout doucement à un emprisonnement des esprits, emprisonnement d’autant plus insidieux que la doctrine se dit à la fois émancipatrice et foisonnante d’idées. »

« {J’ai réussi là où le paranoïaque échoue » a dit Freud. Il serait navrant qu’au sein même de la psychanalyse, le paranoïaque fût en train de réussir. »} »

Maria Pierrakos élabore lentement, avec soin et sans excitation, sa thèse d’une énorme imposture, tellement énorme que tant et tant de personnes n’y ont vu que de l’imposant. D’autres, en revanche, comme elle, flairaient bien les habits du roi mais personne n’a proposé aussi clairement qu’elle dans ce contexte que le problème ne se situait pas dans la nudité mais dans la contagion d’aveuglement qu’elle engendrait.

Marie Pierrakos utilise, à mes yeux, la rigueur d’une humilité non feinte comme sonde de dissection d’un monde complètement sidéré et, il faut le dire, absolument sidérant.

À la fin de son petit livre, elle s’interroge en tant que psychanalyste elle-même aujourd’hui, sur l’effet sur la psychanalyse en général en France de ce qu’elle perçoit clairement comme un OPA du glauque, de l’indifférent et du méprisant. De sa part, ce qu’elle méprise le plus, on le sent, est le recours systématique au mépris, dont elle nous fournit quelques exemple d’anthologie.

Aujourd’hui la question-clé n’est peut-être plus l’auto-autorisation comme jadis, avec ou sans les quelques autres mais une auto-référentialité proche de l’hypnagogique : le métier balance d’avant en arrière, la navette dévie un fil d’un millimètre ou deux, l’absorption dans ces micro-changements est absolue, la curiosité du vivant se meurt.

Michael RANDOLPH,
Février 2009