La survenue de l’amendement Accoyer a été une surprise. Avons-nous été joués par des manœuvres faites en catimini, ou n’avons-nous pas voulu, ou su, voir ce qui se tramait ? Sans doute un peu des deux.
Nous nous sommes alors mobilisés. Comme jamais dans nos professions. C’est d’ailleurs à ce mouvement, et donc indirectement à M. Accoyer, que je dois ma présence, sur votre invitation, à cette journée. Deux ans après, nous commençons à avoir un aperçu des forces en présence et des mouvements qui sous-tendent cette affaire. Nous serons donc peut-être un peu moins surpris par les évènements.
La demande
Il faut d’abord rappeler la massification de la demande adressée aux psys. Sous nos latitudes, le recours à la psychothérapie fait partie aujourd’hui du monde de l’homme contemporain. Cela devient même un droit, une exigence, gageons que tôt ou tard cela sera inscrit dans les droits de l’homme. Les compagnies d’assurance et autres mutuelles se sont d’ailleurs bien rendu compte de la chose et proposent le soutien psychologique comme une des options pour les assurés.
Nous enregistrons cette massification à tous les niveaux, dans tous les lieux, ou l’offre de psychothérapie est faite. Nous récoltons ce que nous avons nous-mêmes semé. Cette massification de la demande ne pourra que s’accroître encore par un effet de boule de neige. Le navire est sur son erre. Et il n’est pas prêt de s’arrêter. Et donc, n’est pas prête de s’interrompre, la sollicitude, pour la nommer ainsi, dont nous sommes l’objet depuis deux ans. Il faut le savoir, nous sommes sur un cycle qui n’en est qu’à son début et nous n’avons pas atteint encore la phase de stabilisation qui viendra.
Il me semble que l’on peut situer la crise actuelle autour du métier de psychothérapeute dans une série. La première crise me semble avoir été résolue par la séparation de la psychiatrie de la neurologie en 1968. La deuxième a conduit il y a 20 ans à l’adoption de la loi sur le titre de psychologue. La troisième, est celle que nous traversons.
Donc les politiques, et de façon plus générale, les pouvoirs publics nous témoignent leur intérêt à cause précisément de l’inflation de la demande. C’est ce qui, sur le fond, légitime, s’il en était besoin, leur intervention. Comme cela a été dit dans les débats parlementaires, ce sont des millions de personnes qui ont ou ont eu recours à notre aide.
Je ne reviendrai pas aujourd’hui sur la façon calamiteuse dont le débat a été posé dans le public, il y avait là-derrière une intention de nuire.
L’article 52
Sur le plan parlementaire, et après les tergiversations que l’on sait, l’article 52 a été adopté fin juillet 2004. Il est assez saisissant, quand on relit les débats en séance ou en commissions du Sénat comme de l’Assemblée, de voir à quel point la plus grande confusion a régné tout au long de l’épisode législatif. Et pour qui connaît les enjeux et questions qui traversent le champ psy, ces débats ont quelque chose de surréaliste. La même impression émane des dizaines de rencontres avec les élus que nous avons pu avoir. A quelques exceptions près, nos élus n’y entendent pas grand-chose, confondent, mélangent, les statuts, professions, pratiques, formations, etc.
Cela a donné le fameux article 52 – dont la rédaction ne satisfait personne – qui est confus et qui pose beaucoup plus de problèmes qu’il n’en règle. Dans un geste de Pilate, l’Assemblée Nationale, qui a quand même eu le dernier mot dans son débat avec le Sénat et le Ministère, s’en est remise au ministre pour proposer un décret qui lèverait les contradictions du texte.
Le décret d’application
Or, on le sait, un décret d’application ne saurait corriger un texte de loi. Si la loi est mauvaise, il ne saurait y avoir de bon décret. C’est sur cette base d’ailleurs que l’InterCoPsychos, tout en se déclarant disponible pour la concertation, a fait savoir son désaccord avec ce texte. Et c’est pourquoi il nous semble vain de tenter d’influer sur la rédaction de ce décret.
Le mieux qui puisse advenir c’est que ce texte passe aux oubliettes et qu’une autre modalité d’encadrement de la pratique de la psychothérapie s’enclenche. A cet égard, la proposition Gouteyron garde toute son actualité en ce qu’elle permettrait d’engager un chantier associant les intéressés à la définition de cet encadrement. C’est ce que l’on appelle, je crois, la démocratie participative.
Alors où en est-on de la rédaction de ce décret ? Nous aurons peut être un texte d’ici quelques semaines, mais pour l’instant nous n’avons rien. Si ce n’est des fuites qui sont peut-être des ballons d’essai. Il faut dire que la tâche du cabinet du ministre est ardue. On y sait bien que la question est surveillée de près et que, étant donné que le texte de loi ne règle aucun des problèmes posés, nécessairement, chaque rédaction du décret butera sur des contradictions, et aussi sur l’hostilité des uns ou des autres.
Survol
Élevons-nous un peu au-dessus du champ de bataille. Nous avons vu la donnée de la massification de la demande. Voyons comment les acteurs y répondent. Du côté des psys il y a l’effort de formation accompli par les sociétés, instituts, écoles et associations. Cet effort porte globalement ses fruits. De même, du côté universitaire, la formation des psychologues est assurée depuis 20 ans. Là où le bât blesse, c’est dans la formation des psychiatres qui est en perte de vitesse, avec ce qui est annoncé comme baisse de la démographie médicale. Pour des raisons d’offre de formation et pour des raisons de baisse de la motivation.
Du côté des pouvoirs publics il y a la volonté de réduire les coûts de la réponse sociale à la demande, tout en élargissant l’offre et les missions. Du côté des autorités académiques médicales s’annonce depuis plusieurs années une volonté de reprise en main du champ psy par les autorités médicales. Aux points de vue de la formation, de la pratique et du contrôle. Et ce d’autant plus que s’annonce la baisse de la démographie médicale. L’article 52 est donc un mauvais compromis entre ces différents éléments.
Néo-psy
On saisit alors toute la complexité de la rédaction du décret. Toutefois il y a un élément qui domine c’est la création d’une nouvelle profession : le psychothérapeute. Oui, vous entendez bien, c’est ainsi que lors de la seconde lecture au sénat pouvait s’exprimer M. Giraud, rapporteur de la commission des affaires sociales.
« Que l’on comprenne bien : la commission des affaires sociales, dont je suis le rapporteur pour ce texte, n’a jamais voulu jeter l’opprobre sur qui que ce soit. Toutefois, il faudra bien, un jour ou l’autre, que les organisations concernées prennent contact avec le représentant des pouvoirs publics, c’est-à-dire avec le ministère, afin que celui-ci organise une concertation qui débouchera sur un décret. Alors, ce débat sera clos : une nouvelle profession existera, comme tant d’autres dans le domaine de la santé. Ne voyez aucune arrière-pensée dans la position de la commission des affaires sociales. »
Une nouvelle profession : psychothérapeute. À ce point la méconnaissance atteint son comble : alors qu’il y a une profession constituée, organisée, agissant en réponse à la demande du public, le législateur, fait fi de cette réalité pour « créer une nouvelle profession ».
Car, il ne faut pas s’y tromper, le psychothérapeute dont nous parle M. Giraud, et l’article 52, ce n’est pas le psychothérapeute que nous connaissons, c’est un nouveau psychothérapeute, un néo-psy.
Transfert de compétences
Reprenons la question. Du côté des psychiatres il y a la baisse de la démographie médicale, le fait que les psychiatres vont être appelés à être toujours plus des experts et de moins en moins des thérapeutes. Le Plan Psychiatrie et Santé Mentale 2005-2008, est explicite sur ce point, il s’agit que les psychiatres aient des fonctions d’encadrement, de diagnostic, de prescription, de prévention, de formation. Du thérapeute, ils conserveront la prescription médicamenteuse, la psychothérapie étant alors dévolue à d’autres, et sans doute prescrite. C’est ce que l’on appelle le transfert de compétences.
Qui seront ces autres? D’abord, ceux qui, au regard de la loi et de l’administration existent : les psychologues. Mais ceux-ci, chaque nouveau rapport depuis 10 ans, nous le dit, ne sont pas bien formés, leur statut leur confère une place particulière dans le champ des soins puisque eux-mêmes, ne sont ni profession médicale, ni paramédicale. Ils ont conquis une autonomie professionnelle, qui, dans le cadre du grand remaniement en cours est menacée. On veut la remettre en cause, de même que leur statut jugé récemment encore par un haut fonctionnaire qui recevait des organisations de psychologues, « trop favorable ». Certains prennent leur rêve pour des réalités, ainsi le conseil national de l’ordre des médecins, qui en juillet 2004, écrivait que les psychothérapies pratiquées par les psychologues sont prescrites par les médecins.
Il y a donc une grande offensive concernant la formation initiale des psychologues, que l’on veut faire passer des facultés de lettres à celles de médecine, avec la création d’un internat de psychologie sous le contrôle des médecins. Mais tout cela ne se fera pas sans difficultés. D’abord parce que les psychologues sont les plus nombreux parmi les psys : 37000 lit-on régulièrement. Ensuite parce qu’ils sont attachés à leur autonomie professionnelle. Dans les derniers temps, leurs organisations, d’abord atones, ont pris la voie de la mobilisation. Nous avons quant à nous en deux mois recueilli deux mille signatures pour notre appel pour l’autonomie professionnelle des psychologues.
Mais, d’autre part, d’ici dix ans, une grande partie de la génération qui a été embauchée dans les années 70 va partir à la retraite. C’est dans cette faille que va sans doute porter l’attaque, et la création du titre de psychothérapeute est centrale dans cette offensive. Il suffira, en effet, de remplacer les psychologues par des néo-psys, et le projet se mettra en place. Les hôpitaux publics, les établissements médico-sociaux feront appel à ces néo-psys.
Profil-type
Quel est le profil-type de ces néo-psys ? On ne le sait pas encore car il y a plusieurs options, mais on peut faire des hypothèses. Sur la base de l’article 52, il faudrait bien sûr une formation en psychopathologie. Il revient de façon récurrente qu’il faudrait trois ans d’études, sous entendu post-baccalauréat. Sur ce point les sources vont toutes dans le même sens : il s’agirait d’une formation universitaire. Les écoles, instituts, sociétés, existants ne recueillant pas la faveur des autorités médicales. Quelle serait la formation ? On peut supposer qu’elle serait confiée en partenariat aux universités de lettres et de médecine, celles-ci assurant la direction de l’ensemble. Si l’on en croit l’expertise collective de l’Inserm de février 2004, Psychothérapies trois approches évaluées, au nom de l’évaluation et de l’utilité directe ce sont les TCC qui feraient le cœur de ces études. M. Cottraux a pu publier un communiqué triomphant à l’issue d’une réunion au Ministère de la santé, disant qu’il était prêt avec ses collègues comportementalistes à former les nouveaux psychothérapeutes. Info ou intox.
En tout cas, pas de démenti du ministère. Quel diplôme serait obtenu au bout de ces trois ans ? On ne le sait pas, on peut faire toutes sortes de conjectures : licence professionnelle ? ou même diplôme d’état comme les infirmiers, ou bientôt les orthophonistes dont la durée d’études va être ramenée de quatre à trois ans, ou encore les conseillers d’orientation psychologues dans l’Éducation nationale qui vont disparaître pour être remplacés par des titulaires de licences quelconques.
Dans tous les cas, en regard du statut, de l’autonomie professionnelle des psychologues, cela constituera une régression conséquente. On lit entre les lignes, et parfois écrit en toutes lettres, que ces formations pourraient être remplacées par la VAE ce qui permettrait aux infirmiers d’intégrer la fonction de psychothérapeute.
Pyramide psy
Ce qui est visé c’est donc un édifice pyramidal à trois niveaux. En haut de l’échelle des psychiatres, expertisant, diagnostiquant, prescrivant. Au niveau intermédiaire, des psychologues réformés, intégrant les professions de santé, accomplissant, sous l’autorité du médecin, les tâches que celui-ci ne pourrait plus accomplir. Et à la base, une foule de néo-psys répondant à la demande d’écoute en appliquant des protocoles éprouvés, « scientifiquement » évalués, ne faisant aucune place à l’innovation à la recherche, mais plutôt mettant en œuvre sur prescription des techniques d’éradication des troubles. C’est ainsi que peu à peu se dessine les projets dont l’amendement Accoyer était la première pierre.
Point aveugle
Je voudrais conclure en soulignant une question qui me semble essentielle. Il y a un problème de fond c’est que pour les politiques, pour la haute administration, comme pour les autorités académiques, l’unique référence c’est le modèle médical, et que cela les empêche de saisir la spécificité du champ psy. Plusieurs élus nationaux, dont des présidents de groupe politique à l’assemblée et au sénat m’ont fait remarquer que si dans chaque groupe politique il y a des médecins, et souvent des professeurs de médecine, il n’y a pas un seul psy. Cela a comme conséquence que les questions du champ psy sont traitées selon le modèle médical. Cela doit nous porter, me semble-t-il à prendre en compte cette question. C’est ce que nous avons fait dans nos rencontres avec les élus, et que nous devons poursuivre.
Cette situation créée un point aveugle sur une donnée essentielle de notre formation comme de notre pratique : ce que nous appelons la formation personnelle, qui a été appelée dans la formation du psychanalyste, la psychanalyse didactique. Malgré toutes nos tentatives ce point est invisible pour nos interlocuteurs. Nous avons eu beau le montrer, leur mettre devant les yeux, c’est le savoir de type universitaire qui reste la seule mesure. Ce qui est inaudible, c’est que c’est dans sa propre cure psychanalytique que se réunissent ou pas les conditions de l’acte psychanalytique ou de l’action psychothérapique. C’est ce qui est rencontré, dépassé, traité dans sa propre formation « personnelle » qui est le point d’appui de cet acte et de cette action. C’est le ressort proprement éthique de l’acte, c’est le point où toute garantie s’évanouit. Sur ce point spécifiquement il y a à trouver les moyens afin que quelque chose de cette spécificité passe hors de nos rangs et éclaire les élites qui statuent sur le sort de nos pratiques