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5 décembre 2007

Non à la gestion des âmes ! Philippe Grauer

Philippe Grauer

Bref historique des avancées et reculs du néo-scientisme attaché au projet chimérique de liquider la clinique de l’impondérable.

Texte prévu pour le Forum des psys non prononcé faute de mesure du temps (une belle figure du comble …) par Arlette Gastine au nom du SNPPsy, et destiné à l’édition dans le Nouvel âne.

Comme ce texte va comme un gant à celui de Jacques-Alain Miller qui le précède sur cet Agenda nous l’avons replacé ici, après qu’il ait figuré en éditorial, pour que le lecteur s’y repère plus aisément.


Le biopouvoir est en marche, organisateur, pardon, gestionnaire, d’une société qui considère l’homme comme une marchandise mesurable. Examinons le tableau.

L’Inserm entre en croisade

Cette honorable (jusqu’à ces derniers temps) institution embarquée dans un fort vent de scientisme québecquois emboîte le pas de la croisade anti-charlatans des années Accoyer, attestant au mépris des règles élémentaires de l’honnêteté scientifique dans une enquête méthodologiquement irrecevable, que la psychanalyse, faute de pouvoir fournir les preuves dûment quantifiées de sa clinique, représente une discipline « scientifiquement non valide », ce qui prouve scientifiquement, pardon, scientistiquement, que seuls le cognitivisme et l’expérimentalisme apportent dans le domaine du psychisme à l’humanité troublée — et non plus souffrante, la réponse à son malaise, pardon, ses maladies.

Le ministre Douste-Blazy : non au tout scientiste

Le 12 février 2005, applaudi par 1500 personnes debout dans un forum du même type que celui-ci, dont nous sommes fiers d’avoir été, le ministre récuse cette position scientiste, phare de la DGS, et déclare que la psychanalyse et la psychothérapie relationnelle jamais ne devront avoir à passer sous les fourches caudines d’un scientisme comptable. Et il fait retirer la référence de l’enquête Inserm sur les psychothérapies du site du ministère de la Santé.

L’Inserm récidive, les Pasdezérodeconduite s’opposent

Peu après, avec l’affaire des enfants de moins de trois ans à ficher préventivement, l’Inserm récidive en fournissant la matrice d’un fichage des futurs délinquants dont on repèrera dès la crèche les tendances malignes. La communauté scientifique et l’opinion éclairée se mobilisent et c’est le mouvement des Pasdezérodeconduite pour les enfants de moins de trois ans, avec plus de 200 000 signatures, qui fait provisoirement reculer le pouvoir. On prétend dépister la délinquance au berceau pendant qu’on s’apprête à favoriser l’abrutissement de la même classe d’âge : nous voici au cœur de la mise en place d’un dispositif social nocif, nous voici confrontés à la mise en place de la société perverse que décrit Élisabeth Roudinesco dans son dernier ouvrage (1).

Pas de télé pour les bébés !

Qu’importe le tollé des Pasdezérodeconduite — décidément cette tranche d’âge intéresse beaucoup le biopouvoir, il poursuit sur sa lancée, et promeut une nouvelle chaîne de télévision destinée aux enfants de 6 mois à 3 ans. Cela signifie que l’État entend autoriser le conditionnement des bébés et inciter à leur abrutissement. Comme le dit l’appel immédiatement lancé en riposte, Pas de télé pour les bébés, par le Pr Pierre Delion, le psychologue clinicien Philippe Duval, la psychanalyste Sylviane Giampino, le Pr. Bernard Golse, j’arrête ici l’énumération, prenons conscience que protéger nos enfants du risque de développer une forme d’attachement à un écran lumineux est une forme d’écologie de l’esprit. Il est temps de prendre la mesure de cette démesure.

Justice et Université : même régime

Le tableau serait incomplet sans les mesures dans le domaine de la justice et de l’université qui précisément le complètent, et constituent un ensemble impressionnant visant à déshumaniser notre société et ses institutions les mieux installées. Nous avons besoin de réformes ? en voici des réformes ! les nantis des régimes spéciaux de la législation sociale de la Libération issue du programme du Comité national de la Résistance, étaient appelés à se résigner, et voir leur grève dos au mur vilipendée par les médias. Pourquoi s’arrêter en si bon chemin ?

Malades mentaux criminels inculpables ?

Voici que l’article 64 du code pénal de 1810 hérité des Lumières devenu article 122 supprime le non-lieu au bénéfice des malades mentaux schizophrènes criminels (2). Au motif populiste que les victimes crient vengeance, on s’apprête à renvoyer les fous en prison comme avant la Révolution (vous me direz, ils y sont déjà, ceux qui ne traînent pas dans la rue, mais là, c’est de droit qu’il s’agit de les confondre). On n’arrête pas le progrès.

Arrêter la folie organiciste

Arrêterons-nous à temps cette folie organiciste de soigner les « troubles obsessionnels » (la névrose du même nom passée à la trappe) avec des électrodes dans le cerveau comme s’il s’agissait de maladie de Parkinson, de ramener les maladies mentales au modèle Alzheimer, de bourrer les gens d’antidépresseurs sans même savoir s’ils le sont, déprimés (sans compter que cette catégorie fourre-tout ressemble à une poubelle épistémologique) ?

Liquidation de la psychanalyse à l’Université

Nous opposerons-nous avec la vigueur nécessaire au sein de l’université à l’abolition pure et simple des départements cliniques au profit des cognitivistes et expérimentalistes, chevaliers du mesurable et du quantifiable en matière de psychisme humain ? On procède à la liquidation de la psychanalyse universitaire. La ministre Madame Valérie Pécresse oppose un refus cinglant de recevoir Roland Gori parlant pour les 180 professeurs du SIUEERPP et représentant les 7500 signataires de la pétition Sauvons la clinique , que le SNPPsy a signée. La psychologie clinique rayée de la carte — oh il restera bien un ou deux villages gaulois ! c’est l’ensemble du champ de la dynamique de la subjectivité, la moitié du Carré psy qui s’occupe des affaires de l’âme autrement qu’en termes épidémiologiques et néoscientistes qui se trouve vitalement atteint. C’est ensemble psychanalystes et psychothérapeutes relationnels que nous sommes concernés, et que nous résisterons à cette politique d’ensemble.

Riposte des humanistes

C’est ensemble que nous organiserons la riposte et feront face à ce qui se veut rouleau compresseur mais ne saurait nous réduire. Loin de là. Nous maintiendrons que le tout quantifiable est inapplicable à l’âme humaine. Nos professions sont celles de l’incontrôlable. Nous saurons faire en sorte que les gestionnaires jamais ne s’emparent du psychisme. Ce pays ne sera jamais celui des âmes mortes dont rêvent nos robotiseurs. Cette adversité qu’on nous administre stimulera notre courage et nous n’arrêterons de nous battre pour une société citoyenne et humaniste qu’une fois rétablie la tolérance à la pluralité des approches, qu’une fois rétabli le principe démocratique d’une société ouverte et humaniste.

Non au régime de l’Orange mécanique

Avec les psychanalystes nous sommes des praticiens de la dynamique de la subjectivité et de l’écoute du sens. Cela fait de nous de bien mauvais cocheurs. Mauvais cocheurs nous décocherons jusqu’à la victoire nos traits contre les conditionneurs et nous opposerons à la misérable démesure de leurs mesures réduisant les humains à des organismes mécaniques, établissant le règne de la perversion intégrale d’une Orange mécanique à l’échelle de la société tout entière. Nous ne permettrons pas un retour à la case départ du XIX ème siècle, nous ne laisserons pas les bras croisés revenir le temps des Misérables. Nous partons 500, mobilisés par Jacques-Alain Miller et son infatigable Cause, le renfort sera-t-il prompt ? combien de temps faudra-t-il pour que nous soyons 3000, 300 000, 3 millions, en arrivant au port ?

Oui à l’unité des psychanalystes et des psychothérapeutes relationnels

Nous sommes en marche, comme la vérité dont parlait Zola. La route sera ce qu’elle sera, que notre détermination devienne contagieuse, que l’unité d’action entre nous se maintienne ! Vive la psychanalyse et la psychothérapie relationnelle unies dans le combat humaniste contre le projet de mécanisation des esprits et de la psyché.