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12 décembre 2008

Non à la perpétuité sur ordonnance !

La Révolution nous a donné le Comité de Salut public, qui sauva la France de l’invasion mais pas des horreurs de la Terreur. On nous propose une société de Sûreté médicale qui se fait fort de nous débarrasser du risque de crimes avant perpétration — s’ils devaient jamais être commis.

Tout est là. La scientistique a encore frappé. Elle transforme le virtuel statistique en réelle catastrophe citoyenne et de civilisation. La société de sûreté médicale ne nous débarrassera pas des problèmes qu’elle engendre, plus préoccupants que les maux auxquels elle dit s’attaquer. Un médecin peut comprendre cela, primum non nocere, si le remède est pire que le mal, s’abstenir.

Transformer, contre le principe de base de leur éthique, contre leur gré, des soignants en experts médico psychologiques maîtres de la liberté d’aller et venir après prison, préventivement à récidive imprédictible, mieux vaut éviter. Vie et destin : qui au monde est en droit de désigner son destin à son prochain ? La séparation des pouvoirs, comme aurait dit le bon La Fontaine, est-ce une loi plus sage ? Mon Dieu, préservez-nous des experts !

Et vous citoyens et professionnels du psychisme, mobilisez-vous avant que ce soit vous — ou votre enfant, qu’on s’avise de venir, sur quelque autre sujet, expertiser pour se protéger de vous à l’avance. L’enfermement préventif, il ne faut pas y mettre le bout du doigt, même (ou surtout, si l’on y songe) d’autrui, le bras qui y passera, le poignet qu’on menottera pour finir pourrait bien se révèler le nôtre.

La loi en passe d’entrer en rupture de droit ? la confusion organisée des niveaux entre maladie et crime, nous voici rendus inopinément dans le style rampant aux principes du soviétisme. Facile à tuer dans l’œuf, très coûteux à mettre à bas une fois qu’un peu d’insouciance lui aurait permis de s’installer. Mieux vaut réagir maintenant.

Il est question de récidivisme. Une certitude s’impose, la démarche populiste elle, récidive, à agiter le chiffon rouge de la souffrance de victimes pour orienter la psychiatrie vers la post répression et une prédictivité en réalité aporétique, muant dans l’affolement les ex condamnés en damnés.

Notre profession serait gangrenée par un tel dispositif, car tout se tient. Outreau n’aurait été qu’un avertissement sans frais ? Le règne des experts psys ne doit jamais advenir. À chacun de nous de l’en empêcher, sans attendre une minute de plus car dans ce genre de course chaque minute compte.

Philippe Grauer


La loi du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté fait rupture dans notre tradition juridique. Elle permet l’incarcération dans des établissements spéciaux de personnes condamnées qui, bien qu’ayant purgé leur peine, seront privées de liberté du fait de leur « particulière dangerosité ». Pour la première fois dans notre droit, des individus pourront être enfermés sur décision judiciaire non pour sanctionner des actes délictueux ou criminels, mais pour anticiper des actes qu’ils n’ont pas commis ! À juste titre, Robert Badinter a dénoncé dans cette loi une rupture majeure avec les principes fondamentaux de notre justice pénale.
Cette loi fait également rupture dans la tradition et l’éthique médicales, car c’est l’expertise médico-psychologique qui devient l’élément clé du dispositif pour décider de cette mesure de sûreté.

Alors que sa mission est de porter secours et de soigner, la médecine se trouve ici instrumentalisée dans une logique de surveillance et de séquestration. C’est le savoir psychiatrique qui légitimera l’incarcération d’individus au motif d’un diagnostic de « particulière dangerosité ». La privation de liberté est ainsi parée des habits de la science, comme si le savoir des experts permettait de prédire les actes criminels d’une personne.

C’est une mystification et une confusion organisée des registres.
Une mystification car il est faux que l’on puisse prédire, pour un individu donné, les actes à venir. L’usage que l’on fait à cet égard des statistiques concernant la récidive est une duperie, car ces chiffres concernent des populations, non des individus. Or c’est bien de la liberté d’un individu qu’il s’agit.

C’est une confusion que de demander à des soignants d’occuper cette place, car leur fonction, leur déontologie et leur éthique les situent du côté de la personne, ses libertés et ses contraintes, non d’un ordre public désincarné. Cette séparation fondamentale est une garantie essentielle des libertés, contre la tentation de faire le bien de chacun contre lui-même. La psychiatrie est familière de ces dérives : faut-il rappeler qu’il y eut des internements pour motifs politiques ?

La monstruosité de certains crimes et la souffrance terrible des victimes, dont chacun est saisi, sont utilisées pour aveugler la raison et céder aux politiques prétendument efficaces. C’est une manœuvre démagogique. On sait par avance que cette politique ne résoudra en rien le problème des criminels récidivants. Par contre ce dont on est sûr, c’est que ce dispositif, d’abord destiné à des populations restreintes s’étendra progressivement, au nom du principe de précaution. Ce fut le cas des mesures d’obligation aux soins, initialement destinées aux agresseurs sexuels, et qui sont aujourd’hui appliquées à une part croissante de personnes condamnées, quel que soit leur acte.

En assimilant le crime et la maladie – ce qui est une idéologie, et non pas un fait – on déplace progressivement la gestion de la peine vers la médecine, réalisant progressivement une société de sûreté médicale.
Au nom de notre éthique et de la nécessaire séparation des domaines, garante des libertés, nous, professionnels de la psychiatrie, déclarons publiquement refuser de participer à la mise en place de ce dispositif de rétention de sûreté. Parce que la psychiatrie n’est pas l’affaire des seuls psychiatres, chacun, concerné par ce refus, manifeste son soutien en signant et en faisant signer cet appel.


Premiers signataires

Association Pratiques de la folie – Alain Abrieu, psychiatre de secteur, chef de service, président de l’AMPI (Association Méditerranéenne de Psychothérapie Institutionnelle) – Jean Allouch, psychanalyste, Paris – Elsa Arfeuillère, psychologue, Evry – Stéphane Arfeuillère, psychologue – St Denis – Hervé Bokobza, psychiatre, psychanalyste, Montpellier – Mathieu Belhassen – interne en psychiatrie, Paris – Fethi Benslama, Directeur de l’UFR Sciences Humaines Cliniques, Paris VII – Olivier Boitard, psychiatre des hôpitaux, administrateur du CHI de Clermont de l’Oise – Paul Brétecher, psychiatre, psychanalyste, Paris – Loriane Brunessaux, interne en psychiatrie, Paris – Monique Bucher, psychiatre, Paris – Anne Chaintrier, psychiatre, psychanalyste, Paris – Patrice Charbit, psychiatre, vice président de l’AFPEP-SNPP ( Association française des psychiatres d’exercice privé, syndicat national des psychiatres privés) – Franck Chaumon, praticien hospitalier, psychanalyste, Paris – Patrick Chemla, psychiatre des hôpitaux, psychanalyste, Reims – Alice Cherki, psychanalyste, Paris – Jean Danet, maître de conférences à la faculté de droit de Nantes – Pierre Delion, Professeur de psychiatrie, Lille – Michel david, psychiatre des hôpitaux, chef de service du SMPR de Guadeloupe, Président de la Société Caraïbéenne de Psychiatrie et de Psychologie Légales – Olivier Douville, psychanalyste, maître de conférences Paris VII – Denis Duclos, sociologue, directeur de recherches au CNRS – Corinne Ehrenberg, psychanalyste, directrice de l’USIS Paris 14 – Patrick Faugeras, psychanalyste, Alès – Jean-Marie Fayol-Noireterre, magistrat honoraire, Lyon – Roger Ferreri, chef de service de psychiatrie infanto-juvénile, Evry – Jean-Jacques Giudicelli, psychiatre, psychanalyste, Paris – Roland Gori, psychanalyste, Professeur des Universités, Aix-Marseille – Françoise Gouzvinski psychologue en psychiatrie – Pascale Hassoun, psychanalyste, Paris – Clément Jallade, praticien hospitalier, Bouffémont – Sandrine Jallade, praticien hospitalier, Evry – Xavier Lameyre, magistrat chercheur, Paris – Guy Léres, psychanalyste, Paris – Marie-José Léres, psychologue en secteur de psychiatrie infanto-juvénile, Saint-Denis – Laurent Le Vaguerèse, psychanalyste, Paris – Danielle Lévy, psychanalyste, Paris – Serge Klopp cadre de santé, EPS Maison Blanche Paris – Paul Lacaze, psychiatre, Montpellier – Antoine Lazarus, Directeur du Département de Santé Publique et Médecine Sociale, Paris XIII – Loïc Le Faucheur, Psychologue, Evry – Claude Louzoun, psychiatre, Président du CEDEP (Comité européen droit, éthique et psychiatrie) – Sophie Martin-Dupont, praticien hospitalier, présidente du SPEEP (Syndicat des praticiens exerçant en prison), Le Mans, – Paul Machto psychiatre, psychanalyste, Montfermeil – Francine Mazière, linguiste, professeur émérite, Paris XIII – Patrick Merot, Psychiatre, psychanalyste, Nogent – Véronique Nahoum-grappe, anthropologue, EHESS – Marie Napoli, psychiatre des hôpitaux, présidente de l’USP (Union syndicale de la psychiatrie) – Okba Natahi, psychanalyste, Paris – Jean-Marie Naudin, Psychiatre, praticien hospitalier, professeur des universités, Marseille – Jean Oury, psychiatre, Clinique de La Borde, Cour-Cheverny – Catherine Paulet, psychiatre des hôpitaux, Présidente de l’ASPMP (Association des Secteurs de Psychiatrie en Milieu Pénitentiaire), Marseille – Vincent Perdigon, psychiatre, psychanalyste, Paris – Michel Plon, psychanalyste, Paris – Jean-Claude Polack, psychanalyste, Paris – Erik Porge, psychanalyste, Paris – Annie Ruat, psychiatre chef de service, MGEN, Paris – Marie Receveur, juge de l’application des peines, Lyon – Pierre Yves Robert, praticien hospitalier – Président du CSIP (Collège des soignants intervenant en prison), Nantes – Patrick Serre, praticien hospitalier, président de l’APSEP (Association des professionnels de santé exerçant en prison), Le Mans – Olivier Schmitt, psychiatre, Président de l’AFPEP-SNPP (syndicat national des psychiatres d’exercice privé) – Didier Sicard, Professeur de médecine, Président d’honneur du CCNE (Comité Consultatif National d’Ethique) – Hanna Slomczewska, psychiatre des hôpitaux, Avignon – Béatrice Stambul, Psychiatre des Hôpitaux, Responsable du CSST Villa Floréal à Aix en Provence – Annette Vallet, professeur retraitée – Alain Vanier, psychanalyste, Professeur de psychopathologie, Paris VII – François Villa, psychanalyste, Maître de conférences, Paris VII – Martine Vial-Durand, psychologue psychanalyste, responsable du dispositif Ateliers Thérapeutiques de Nanterre – Loick Villerbu, professeur de psychopathologie et criminologie, directeur de l’Institut de Criminologie et Sciences Humaines, Rennes – Daniel Zagury, psychiatre des hôpitaux , chef de service, Paris – Radmila Zygouris, psychanalyste, Paris.

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