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17 juin 2008

Pas de 0 de conduite, suite — un État aux « petits soins » pour surveiller nos enfants Par Thérèse Petitpierre

Par Thérèse Petitpierre

Un appareil d’état résolument glacialement épidémiologiste et évaluativiste, ignorant la relation, continue de tenter de mettre met ses pieds d’éléphant dans les assiettes en porcelaine de l’enfance. Faisant courir le risque, dans un tel contexte, d’instrumentaliser les psys postés. Les psychologues freudiens continuent de se battre et de veiller à ceux qui se préoccupent davantage de surveiller.

Les psychothérapeutes relationnels se portent solidaires de leurs collègues travaillant en institution. Ils maintiendront précieusement leur propre indépendance, garante d’une démarche psychothérapique du souci de soi non polluée par des préoccupations de soin-santé mentale débouchant inopinément à l’occasion sur une police des âmes.

Philippe Grauer


Fin janvier 2006, l’appel « Pas de zéro de conduite pour les enfants de trois ans » était lancé. Il débutait par ces mots : « Le gouvernement prépare actuellement un plan de prévention de la délinquance qui prône notamment une détection très précoce des « troubles comportementaux » chez l’enfant, censés annoncer un parcours vers la délinquance. Dans ce contexte la récente expertise de l’INSERM, qui préconise le dépistage du « trouble des conduites » chez l’enfant dès le plus jeune âge, prend un relief tout particulier. »

Vous vous en souvenez sans doute : dans ce rapport, « les professionnels sont invités à repérer des facteurs de risque prénataux et périnataux, génétiques, environnementaux et liés au tempérament et à la personnalité . Pour exemple sont évoqués à propos de jeunes enfants « des traits de caractère tels que la froideur affective, la tendance à la manipulation, le cynisme » et la notion « d’héritabilité (génétique) du trouble des conduites ». Le rapport insiste sur le dépistage à 36 mois des signes suivants : « indocilité, hétéroagressivité, faible contrôle émotionnel, impulsivité, indice de moralité bas», etc. » Les signataires de l’appel — et ils furent près de 200 000 — s’élevaient contre les risques de dérives des pratiques de soins, notamment psychiques, vers des fins normatives et de contrôle social et appelaient à un débat démocratique sur la prévention, la protection et les soins prodigués aux enfants, dans un esprit de clarté quant aux fonctions des divers acteurs du champ social (santé, éducation, justice…) et quant aux interrelations entre ces acteurs. »

Le 16 juin 2006, à la veille du premier colloque organisé par le Collectif PasdeOdeConduite, le gouvernement faisait savoir qu’il renonçait à inclure le dépistage précoce des troubles du comportement chez l’enfant dans le projet de loi sur la prévention de la délinquance.

Le collectif s’est constitué à l’origine sur la base du désir décidé de professionnels exerçant dans le champ de la prévention et celui de la santé. Au dépistage prédictif et stigmatisant de signes, regroupés en troubles à neutraliser, il oppose une prévention ouverte, prévenante, basée sur la rencontre. Il s’est rapidement enrichi de l’apport de professionnels d’autres champs, ceux de l’accueil de la petite enfance, de l’éducation, de la pédagogie et de la recherche mais aussi d’associations de familles et d’autres organisations engagées dans la défense des libertés. En effet, ce sont tous les champs d’interventions des professionnels exerçant auprès des enfants qui se trouvent désormais exposés au risque de l’instrumentalisation.

Le savez-vous ?

Début 2007 : la Fondation de la MGEN pour la santé publique lance une enquête dans les écoles primaires de Paris en partenariat avec l’Académie de Paris et le Service de santé scolaire de la ville de Paris. Des parents trouvent le questionnaire qui leur est destiné dans le cartable de leur enfant. Question 15 : « L’embrassez-vous ? » Un peu plus loin : « Fouillez-vous dans ses affaires ? » Question 24 : un membre de la famille « a-t-il déjà eu l’habitude de vérifier, compter ou nettoyer de façon répétitive ? » Question 30 : « Au cours de l’année écoulée, combien de fois avez-vous eu besoin d’un petit verre pour pouvoir démarrer après avoir beaucoup bu la veille ? » La Fédération des Conseils de parents d’élèves de Paris et le collectif Pasde0deConduite dénoncent cette enquête pour son caractère intrusif et non respectueux de la vie privée, elle est stoppée en mai 2007.

Mai 2008 : Le ministère de l’Education nationale lance une enquête auprès d’une petite centaine d’écoles primaires. L’objectif est de mettre au point le dispositif qui sera utilisé en mai 2009 pour évaluer la maîtrise du langage et de la langue française des élèves en fin d’école primaire.

Des syndicats d’enseignants du département des Pyrénées atlantiques (le Se-UNSA et le SNUipp-FSU), notamment, ont rapidement dénoncé le contenu de la partie 4 de cette enquête qui incluait des questions comme celles-ci :

« Es-tu né en France ? » « Ta mère est née en France ? » « Ton père est né en France » « Quelle langue parles- tu à la maison ? » « D’habitude qui vit avec toi à la maison ? a) ta mère b) une autre femme tenant le rôle de ta mère a) ton père b) un autre homme tenant le rôle de ton père ? »

Ces mêmes syndicats n’étaient pas sans noter la ressemblance de certaines de ces questions avec celles qui figuraient dans la première version du fichier BASE ELEVES. Après des actions d’information à la presse et de protestation auprès du ministère exercées par ces syndicats et la fédération des parents d’élèves, dès le 22 mai, le ministère de l’Education décidait de retirer cette partie de l’enquête. Rappelons que sous la pression de nombreuses associations et syndicats, de pétitions de professionnels et de citoyens, ces questions concernant le pays et la langue d’origine ainsi que la nationalité ont été retirées du fichier Base élèves. Cependant une forte opposition à ce fichier n’a pas fléchi : en effet, d’envergure nationale, il inclut des données sensibles concernant les enfants et leurs familles, il est partageable au moins pour partie avec les maires des communes et l’anonymat des données peut être levé pour « raisons administratives ». La Fédération des conseils de parents d’élèves des écoles publiques vient, lors de son dernier congrès, d’adopter une motion demandant l’arrêt de la mise en œuvre de Base élèves, le réexamen du fichier SCONET (l’équivalent pour les élèves du 2nd degré), et elle exige l’ouverture d’un débat public sur tous les fichiers, centralisés ou non, concernant les enfants et les jeunes.

Ce n’est pas tout : au cours de la présente année scolaire 2007-2008, le ministère de l’Éducation nationale a lancé une enquête dont l’objectif principal affiché est d’étudier les parcours des élèves de la sixième à l’enseignement supérieur. Un échantillon “représentatif” constitué de 35 000 élèves entrés en classe de sixième en septembre 2007 a été sélectionné ; ils seront suivis et régulièrement évalués au cours des années à venir…

Dans le questionnaire destiné aux familles, on trouve ces questions :

Où êtes-vous né ? (France métropolitaine, DOM TOM ou étranger)
Dans quel pays êtes vous né ?

En quelle année êtes-vous arrivé en France ?
Quelle est votre nationalité ?
Si vous êtes devenu français, quelle était votre nationalité de naissance ?
Si vous êtes de nationalité étrangère, quelle est votre nationalité ?
En quelle langue parlez-vous habituellement avec vos enfants ?

D’autres questions concernent par exemple les revenus des parents ou des activités périscolaires que peuvent avoir les enfants. Le courrier accompagnant le questionnaire précise que « cette enquête a fait l’objet d’une déclaration à la CNIL qui a délivré un avis favorable. Elle a reçu le label d’intérêt général du Conseil National de l’Information Statistique et a un caractère obligatoire » [ en gras dans le courrier ! ]

L’enfant, quant à lui, devra répondre à un « questionnaire […] au collège » dont « le contenu sera indépendant des programmes d’enseignement ».
La Fédération des Conseils de Parents d’élèves de l’Ecole publique a adressé une lettre ouverte au ministère de l’Education et Mme Nicole Borvo, sénatrice, s’est adressée au président de la CNIL en lui demandant des explications sur les raisons qui ont conduit la CNIL a donné un avis favorable à cette enquête.

Enfin, une grande enquête, dénommée « ELFE : grandir en France »*, est en cours d’expérimentation et devrait être généralisée en 2009. ELFE, pour Etude longitudinale française depuis l’enfance. Un communiqué de presse de septembre 2007 la présentait ainsi :

« Le projet Elfe consiste en la mise en place d’une cohorte, représentative au plan national, de 20000 enfants qui seront suivis de la naissance à l’âge adulte dans une approche pluridisciplinaire.
Cette étude longitudinale constituera une source unique de données permettant d’analyser le développement de l’enfant dans son milieu, avec le souci d’étudier les différents facteurs en interaction tout au long du parcours jusqu’à l’âge adulte (facteurs familiaux, sociaux, scolaires, comportementaux, environnementaux, sanitaires, nutritionnels…) et de comprendre l’impact des situations traversées durant l’enfance sur la santé, le développement physique, psychologique, social et professionnel des personnes. D’un point de vue épidémiologique, il sera notamment possible de mesurer des expositions cumulées à des conditions environnementales spécifiques, ainsi que les comportements année après année, et d’analyser leurs conséquences en termes d’inégalités sociales et de santé.

Seule une observation suivie (et non uniquement rétrospective) permet de repérer les étapes majeures de ces processus, de prendre en compte toutes ses dimensions et de mieux comprendre le sens des relations causales. »
Dans l’information à la presse qui accompagnait ce communiqué, il était indiqué : « Parallèlement, et c’est une originalité de ce projet, il sera possible de mettre en commun des informations émanant de sources diverses (caisses d’allocations familiales, assurance maladie…), de suivre les scolarités, d’établir des recoupements avec des informations environnementales sur la qualité de l’air et de l’eau grâce au codage géographique des adresses, et d’intégrer l’échantillon Elfe à d’autres études périodiques sur la santé des enfants. » On ne peut qu’être étonné de la quantité des facteurs concernés et cette possibilité de « mise en commun des informations de sources diverses ». Sans être hostile à la nécessité pour la recherche en santé publique de recourir à des enquêtes à grande échelle dans certains domaines, ne faut-il pas s’interroger sur les présupposés et la finalité d’un tel projet ?

Nous en sommes là. Que les enfants puissent grandir sans la menace de ce que j’appellerai un « dossier à charges » prêt à se constituer à tout instant, ne devrait-il pas être la règle ? Sigmund Freud, en son temps, a pu écrire qu’éduquer, soigner et gouverner étaient trois métiers impossibles. S’affronter au réel, à la complexité de l’humain et aux questions que posent le devenir, la santé et l’éducation des enfants nécessite d’autres moyens que ceux du dépistage prédictif, de la mise en fiches, en grilles et de la déduction pseudo-scientifique de données statistiques. C’est ce que Pasde0deConduite se voue à démontrer, non sans débattre, depuis sa création, par le biais de ses nombreuses interventions, interpellations, colloques et publications. En témoignait la richesse des interventions au colloque qu’il a organisé en novembre dernier à Paris sur le thème : « Enfants turbulents : L’enfer est-il pavé de bonnes préventions ? » Les actes de ce colloque viennent de paraître, sous le même titre, aux éditions Erès.
Thérèse Petitpierre


* Sous l’égide de l’Ined, l’Inserm, l’InVS, l’Insee, la DEPP, la DREES, la DGS et la Cnaf.

Ined — Institut national d’études démographiques

Inserm — Institut national de la santé et de la recherche médicale)

InVS — Institut de veille sanitaire

Insee — Institut national de la statistique et des études économiques)

DEPP — Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance : Ministère de l’Education nationale et Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche

Drees — Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques : Ministère de la santé, de la jeunesse et des sports, Ministère du travail, des relations sociales et de la solidarité, et Ministère du budget, des comptes publics et de la fonction publique

DGS — Direction générale de la santé : Ministère de la santé, de la jeunesse et des sports

Cnaf — Caisse nationale des allocations familiales).


Cet article provient de l’Instantané de l’InterCoPsychos N° 265

www.intercopsychos.org