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3 janvier 2018

Pleins vœux par Philippe Grauer

 

Allez en paix, bonjour ! dès la mise en relation visuelle, nous devons nous assurer mutuellement de nos intentions pacifiques et bienveillantes, par une formule de reconnaissance, un geste de la main (ouverte, désarmée) ou un salut des yeux. Si on ne vous dit même pas bonjour, mauvais signe au moment de l’approche. Mais en disant bonjour non seulement vous procédez à un échange de salut, de reconnaissance puis confirmation mutuelle, mais vous adressez un vœu. Que cette journée vous soit propice, satisfaisante. Il s’agit d’écarter le mauvais œil (théorie de la sorcellerie) en émettant des vœux favorables à l’intention de l’autre, qui se dispose dès que vous entreprenez de le héler, à procéder réciproquement. Vœu de bonne journée, vœu de bonheur. À remarquer que le simple Salut ! actionne d’autres ressorts sociaux, ceux de la mise à l’honneur (culture citoyenne, dignité, et peut-être salutation à coloration militaire). Puis peuvent suivre les vœux, puis dans un ordre aléatoire les compliments, l’enquête sur la famille, le partage de l’humeur à propos du temps qu’il fait. Précontact disent les gestaltistes. Le temps d’entamer la rencontre s’il y a lieu.

Évidemment lorsque le morceau est 300 fois plus gros que le simple moment qui se présente, tout ceci prend de l’ampleur. Le rituel s’étoffe. Le ritualiste s’étouffe. Il va falloir faire assaut de créativité, de protestation de sincérité et de profession de foi. Un genre para littéraire. Il s’agit de décliner selon la matrice déployée d’une vision du monde partagée, la vie bonne telle que vous espérez que votre interlocuteur [ce masculin est un neutre] puisse en partager les termes. Profession de foi idéologico religieuse, et allons-y ! Tout le monde sait qu’il s’agit d’un exercice obligé, et sollicite la complicité bienveillante de l’adressé envers le compliment votif qu’on lui destine. Le malheureux devra s’exécuter en retour. Travail de Cyrano côté tirade ! inévitable assaut de civilité convenue. Usage fréquent du superlatif. Indulgence réciproque acquise, évidemment. Je vous remercie de vos bons vœux, aussi sincères que les miens, que derechef je vous retourne. Houffe ! surtout n’oublier personne puisqu’il faut que chacun soit compté dans le cercle relationnel. Réinitialisation annuelle de la liste de notre horizon relationnel. Non seulement c’est obligé mais d’utilité psychosociologique, s’agissant de la vérification et consolidation des liens.

système votif

Ainsi nous vivons des jours et des nuits, d’où la bonne nuit, sans compter le bonsoir — Les jours et les nuits tournent dans ma tête (Queneau) —, mais aussi des tranches de temps plus astronomiques, des mois (lunaires), des cycles saisonniers, des années. Cela fait une dizaine de milliers d’années que ça marche comme ça. Qu’on s’est mis à les compter, célébrer et périodiser. Nouveau cycle puis Nouvel An de l’actuelle ère. Il se trouve dans le calendrier de notre aire culturelle méditerranéenne hérité de Rome, que la butée annuelle a hésité entre le solstice d’hiver et l’équinoxe de printemps. 1582, Grégoire impose la découpe de l’actuel compteur universel. Bonne année grand-mère ! Nous sommes par ailleurs dans notre post modernité habitués à présent à entendre parler du Nouvel An chinois, juif, musulman, etc., à chaque culture son nouveau cycle annuel, cadré dans la structure monde par ce qu’on appelle l’ère commune. La tradition de nos étrennes remonte au moyen-âge. Célébration, dons, salutation inaugurale, le début de janvier est devenu votif mondialisé. Le christianisme y a adjoint Noël, si bien que nous bénéficions dans l’aire occidentale d’une période à deux fêtes, avec repas de tradition. Celle des enfants sur laquelle se plaque le mythe du Père Noël, conglomérat complexe comportant du sacré, celle des adultes, laïque et alcoolisée, toutes deux occasions d’offrandes obligées.

vœux pieux & période défaite

Au minimum offrandes votives. Que souhaiter à nos proches, à notre prochain ? ce à quoi aspire chaque mortel, paix, suffisance économique, santé, bonheur personnel comportant inclusion sociale et politique. Projets universels. Ensuite ça se décline à l’infini, ça se personnalise, comme on dit en marketing. En Europe on pourrait penser à des vœux de bon accueil pour ceux qui ont tout perdu et croupissent en attendant de se voir nombreux rejeter définitivement vers les zones de mort d’où ils viennent. Mais fort heureusement presque personne n’entretient de relation avec eux, alors des vœux pieux suffiront. Compensés parfois par quelque aide en sous-main, comme durant les années noires celles prodiguées aux exclus de l’époque, comme toujours la générosité en ces temps hostiles ne bénéficie d’aucune publicité. À nous de voir. Quant aux "natifs" — faudrait-il dire souchistes puisque la mode dans certains milieux est à la souche, aux autochtones donc — une de nos collègues que je connais bien avait pris l’habitude dans cet intervalle de conduire de plantureux séminaires de paumés de la période défaite, détresse familiale et avaries du lien social aggravées, une riche idée de marketing psy, utile, à tout prendre, car ces moments de fragile solitude peuvent nécessiter un consistant soutien conjoncturel.

listes et manières

Autre désastre, l’esthétique qui s’en mêle. On s’ingénie sur internet à trouver une image animée, généralement d’un mauvais goût touchant, le kitsch semblant avoir jeté son dévolu sur le genre, à émettre vers ceux à qui nous devons nos vœux. Occasion de revitaliser les liens sociaux et familiaux au moins une fois l’an. Déférence, de la position basse à la haute, les vœux s’ordonnent hiérarchiquement. Bien sûr n’oublier personne (sauf les déjà oubliés nous venons de l’évoquer) ! c’est le moment de la politesse (à ce sujet lire La Politesse, de Dominique Picard), de la célébration obligée de la civilité relationnelle, de la constitution des nos listes votives. Alors, avec collatéralement nos vœux d’installation décente pour les réfugiés, en souvenir du fait que nous descendons dans la majorité de réfugiés, à vous tous tous nos vœux, sachant avec l’humoriste que "Janvier est le mois où l’on offre ses meilleurs vœux à ses amis. Les autres mois étant ceux où ils ne se réaliseront pas[1] ."

vœux de renouveau d’école

Restent les auto-vœux. Pour reprendre une formule d’Edmond Marc : nous vous souhaitons ce que vous souhaitez que l’on vous souhaite… mais en mieux ! surenchère humoristique, tout y est. Exactement ce nous souhaitons au CIFPR : que son renouvellement programmatique en cours permette à ceux qui ne pouvaient pas envisager la dépense et l’investissement énergétique intensif requis de trouver désormais leur place dans ses rangs. Sachant que le cadre CNCP s’est refermé comme perspective et que les candidats à la reconversion devront compter essentiellement sur leurs seules ressources pour faire aboutir leur projet, nous préparons la mise en place pour le début de l’année d’un système de formation rénové, adapté à cette nouvelle donne. Tous nos vœux bien entendu accompagnent notre projet, ainsi que ceux de vous y accueillir en nombre. Ils accompagnent aussi notre profession, car notre souci de transmission vise à la prérenniser, comme de véritable utilité publique.

Nous formulons également le vœu, toujours dans le même esprit, d’intéresser nos collègues psychologues cliniciens désireux de s’initier au groupe d’évolution et/ou à une clinique psychocorporelle intégrative en particulier à base de dynamique du ssouffle.

Nous voici tombés nous-mêmes dans le travers des vœux, qui comme les promesses électorales selon Chirac, n’engagent que ceux qui y donnent foi, ce cynisme justifiant l’adjectif de sincère qui leur est traditionnellement accolé, par antiphrase. Pourquoi protester de la sincérité de nos souhaits ? parce qu’ils seront toujours soupçonnables de ritualisme, le paradoxe c’est qu’on ne saurait se débarrasser du soupçon par une protestation elle-même formelle. Ainsi il reste licite avec les vœux de les assaisonner d’un clin d’œil de décalage complice — nous voici tous deux en train de participer au rituel sachant de quoi il retourne —, nourri de la disparité de longue date repérée entre nos désirs et la réalité. Comme quoi la condition humaine s’arrange toujours pour avoir le dernier mot.

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Ah ! un dernier vœu, puisque nous y voici, celui de bonne diffusion de l’impérissable La psychothérapie relationnelle, de la naissance d’une profession à l’émergence d’un champ disciplinaire, un ouvrage de Philippe Grauer et Yves Lefebvre, préface d‘Edmond Marc, qui sort le 16 janvier. L’acheter ne coûte pas cher, le lire n’est pas obligatoire, ne pas l’oublier tout de suite, le laisser traîner dans votre salle d’attente jusqu’à ce que quelqu’un se hasarde à le voler. À ceux qui ne sont pas du métier et que la curiosité tenaillerait, je recommande l’excellente préface et les chapitres écrits par Yves (je n’ai jamais vu un auteur se recommander lui-même), vous les reconnaîtrez aisément c’est les lisibles. Trève de plaisanterie, souhaitons modestement et obstinément que cet ouvrage contribue à l’élan commun de cet alternatif mode psy qui est le nôtre, la profession de santé non médicale fondée sur la relation au sens fort du terme, vous verrez c’est défini dans le livre. Alors, à elle et à vous, tous nos vœux !


[1] Georg Christoph Lichtenberg (1742-1799), philosophe, écrivain et physicien allemand, connu pour ses Cahiers d’Aphorismes.


par Philippe Grauer