Une affaire qui « puerait le fric », bien davantage qu’une affaire de mœurs (1) ? la respectable et neutre Suisse aurait tendu un traquenard dans le cadre d’un coup tordu où c’est le cou du réalisateur qui serait donné à voir ? Un vif débat s’engaga lors de la session au Cifp dont parle l’autrice du billet. Pas si simple !
Notre étudiante écrit ici sous sa seule responsabilité, avec sa sensibilité de citoyenne helvétique et d’étudiante d’une école de psychothérapie relationnelle. Comme on dit chez nous au Cifp qui n’entend qu’une cloche n’entend qu’un son. Nous livrons ce billet à votre réflexion. Évitons dans cette affaire le surdimensionnement émotionnel populiste.
Prenez ce billet d’humeur comme il vient. Si du dialogue s’ensuit, qu’il s’ensuive. Ce genre de fait nécessite toujours un traitement discret, dans l’intérêt de toutes les parties. La masse médiatisation pose la question du changement de registre.
Nous joignons à cette brève un plus récent article du Monde, qui refait le tour de la question. Chacun devient circonspect dans une affaire qui pour le fond n’innocente pas le cinéaste.
Philippe Grauer
Il n’y a pas plus tard qu’une semaine je disais au cours de psychopatho que le passé Suisse était encore poison et plus que ça !
En voilà une nouvelle preuve. All Zeit bereit : toujours prête à dénoncer, livrer et délivrer dans la stratégie de ses intérêts et de la manière la plus lâche.
Que Polanski aie commis un acte intolérable il y a plus de 30 ans est une chose et le film documentaire sorti cet hiver à ce sujet à soulevé controverse et polémique. Il montre le contexte de l’époque, fait aussi parler la victime, mais en effet il a mis plus l’accent sur l’attitude politiquement incorrect de Polanski. Ne confondons pas les faits avec ce qui se passe actuellement : d’inviter quelqu’un pour un hommage pour lui mettre la main au colet pour un crime commis il y a 32 ans, jugé et puni. On peut penser qu’il s’agit de bien autre chose, d’ordre très politique. Épingler un mauvais juif doit faire plutôt plaisir aux teneurs de comptes infiniment plus immoraux.
Aujourd’hui où le passé le rattrape montre bien que ce n’est qu’un prétexte, qu’il y une justice américaine ou plutôt des hommes qui ne lui ont pas encore pardonné d’avoir tenu tête et d’avoir échappé à leur pouvoir tout puissant, il y a un juge en particulier, mort pourtant.
Mais la Suisse, neutre comme je l’entend dire, toujours prompte à servir, l’a invité pour mieux lui tirer dans le dos dès sa descente d’avion, pour le délivrer menottes aux poings à qui de droit soit disant ! Pour preuve, il n’y a que la Suisse romande qui s’est jointe au mouvement de solidarité international, la Suisse allemande, Zurich en tête, qui l’aurait invité pour lui rendre hommage, l’invite maintenant à aller se rendre au USA et à négocier ! Je rêve.
Cependant il y en a pour qui cette affaire tombe à pic, pour les gouvernants suisse, les gnomes comme les appelle Ziegler, pour faire encore preuve d’autorité même si leur image de fiabilité a pris un sacré coup dans l’aile. Je suis prête à parier que c’est encore l’or stocké dans les bunkers qui permet à UBS et au Crédit Suisse de retomber sur leurs pieds. Il y aurait long à dire sur le dessous des cartes de cette affaire qui pue.
Sabine Sprich
Le Monde du 7 octobre 2009
Prescription et exceptions
Dix jours après l’arrestation de Roman Polanski, le 26 septembre, le sentiment général, en France et dans le monde, ne joue pas en faveur du cinéaste, accusé d’avoir eu des » relations sexuelles illégales » avec une mineure en 1977
Cela fait dix jours que Roman Polanski est emprisonné dans un lieu tenu secret, à Zurich, en Suisse. Et il faudra probablement attendre plusieurs mois pour savoir s’il sera extradé ou non vers les Etats-Unis, qui le réclament. Le cinéaste, à 76 ans, se voit rattrapé par la justice de Californie, qui lui reproche d’avoir eu des rapports sexuels avec une mineure de 13 ans, en 1977, dans la villa de Jack Nicholson, plantée sur le mythique Mulholland Drive de Los Angeles.
Dix jours ont passé depuis l’arrestation du cinéaste franco-polonais, à l’aéroport de Zurich, samedi 26 septembre, et le sentiment général à l’égard de Polanski, en France et dans le monde, n’est plus le même, qui ne joue pas en faveur du cinéaste. Les professionnels du cinéma qui le soutiennent depuis le début de l’affaire, des Français surtout, se retrouvent isolés. En Suisse par exemple, qui va devoir gérer longtemps un prisonnier encombrant, le sentiment général est : » Renvoyez Polanski en Amérique. » Dans le monde entier, les forums sur Internet dénoncent » l’élite culturelle, le bling-bling politico-artistico-médiatique qui part à la rescousse d’un people pédophile en cavale « .
Bernard Kouchner, qui demandait à son homologue américaine Hilary Clinton d’intervenir pour libérer le cinéaste, s’est vu répondre que cette affaire est du ressort de la justice de Los Angeles. La réaction à chaud, sanguine, de Frédéric Mitterrand, le 27 septembre, semble très loin. Le ministre de la culture – le fait est rarissime – avait pointé un coupable : » Il y a une Amérique généreuse que nous aimons, il y a aussi une certaine Amérique qui fait peur, et c’est cette Amérique-là qui vient de nous présenter son visage. » L’Elysée, qui reste très discret sur l’affaire Polanski, avait très diversement apprécié cette sortie, d’autant que le ministre s’était présenté comme le porte-parole du président.
La pétition en faveur de Roman Polanski, lancée en France, a bien reçu quelques signatures en provenance d’Hollywood, mais peu : Martin Scorsese, Woody Allen, John Landis, David Lynch, Alexander Payne, Wes Anderson, Darren Aronofsky, Julian Schnabel… Les stars d’Hollywood ne tiennent pas à risquer leur popularité.
Les signataires avancent plusieurs arguments : cette affaire date d’il y a trente ans et le débat sur la prescription doit être rouvert ; Polanski a déjà fait quarante-deux jours de prison, la victime a retiré sa plainte et ne crie pas vengeance, et on n’arrête pas une personne qui répond à l’invitation d’un festival de cinéma, en l’occurrence celui de Zurich. Tout cela est vrai. Mais tout cela pèse peu par rapport au tir d’arguments avancés par la presse américaine ou l’Internet : le rappel des faits dans toute leur crudité, la fuite de Polanski avant son jugement, l’égalité devant la justice quels que soient la notoriété ou le talent.
L’évolution de Whoopi Goldberg est exemplaire. Mercredi 30 septembre, la populaire comédienne américaine a défendu Polanski avec ce commentaire dans son talk-show » The View « , sur ABC : » Ce n’était pas un viol-viol. » Mais le lendemain, à la suite de critiques, elle a nuancé ses propos et détaillé à l’antenne les chefs d’accusation pesant sur Polanski : » Fourniture de substance réglementée à une mineure, actes obscènes sur un enfant de moins de 14 ans, relations sexuelles illégales, viol par usage de drogue, perversion et sodomie. «
Le témoignage de la victime, Samantha Geimer, recueilli à l’époque par un grand jury d’inculpation, circule partout sur l’Internet et confirme dans ses convictions une opinion américaine de moins en moins tolérante vis-à-vis des rapports sexuels entre adultes et enfants mineurs ; comme en Suisse. La presse américaine, comme britannique, ne se prive pas de rappeler les faits. Le sérieux Independent de Londres, par exemple, résume les faits en quelques mots violents à la » une » de son édition du 29 septembre.
Même chose pour le chroniqueur du Los Angeles Times, Steve Lopez, qui, à la » une » du 30 septembre, exprime son choc à la lecture du récit du rapport sexuel subi par la fillette, qu’il étale à son tour. Le titre de son texte résume un sentiment général aux Etats-Unis : » Les défenseurs de Polanski ont perdu de vue la vraie victime. » Et de rappeler, avec moult détails, minute par minute, ce qui s’est passé ce 10 mars 1977. La presse américaine se demande enfin : » Pourquoi la France aime-t-elle Polanski ? «
Dans son autobiographie, Roman par Polanski (Laffont 1984), le cinéaste donne sa version des faits. Il raconte que, ayant » renoué avec son intérêt pour la photo « , il avait proposé à Gérald Azaria, rédacteur en chef du magazine français Vogue Hommes, un reportage photo montrant » les filles telles qu’elles étaient désormais : sexy, effrontées et bien humaines « . La séance avec Samantha Geimer se termine dans le jacuzzi.
Polanski, 43 ans lorsqu’il publie ce livre, reconnaît avoir eu un rapport sexuel et bu du champagne avec la fillette, mais son récit évite les détails les plus préjudiciables pour lui. A plusieurs reprises, la jeune fille essaie de s’opposer, de dire non. Elle a également dit que Polanski lui avait donné un morceau de Quaalude (un sédatif), qu’elle a avalé avec une gorgée de champagne. La mère a aussitôt porté plainte et le réalisateur a été arrêté le lendemain.
Selon le droit californien, tout rapport sexuel avec un mineur, même » consentant « , est un crime imprescriptible. Les témoignages de la victime et d’autres témoins (dont l’actrice Anjelica Huston), recueillis à huis clos par le grand jury, ont entraîné six chefs d’inculpation.
C’est à partir de ces faits que quasiment toute la presse américaine, le New York Times en tête, mais aussi une bonne part de la blogosphère, estime que Polanski doit être extradé et jugé. C’est encore la question des faits qui, en France, a emporté la conviction de la plupart des députés UMP mais aussi de personnalités de gauche. D’où la grogne contre l’envolée jugée trop rapide et imprudente de Frédéric Mitterrand, lancée il y a quelques jours par le député UMP de Maine-et-Loire, Marc Laffineur. » J’ai rappelé qu’il ne faut pas faire d’ingérence vis-à-vis de la Suisse et des Etats-Unis. Et puis, avoir des relations sexuelles avec une fille de 13 ans, ce n’est pas anodin. On doit être prudent, même si l’affaire date de trente ans. «
Daniel Cohn-Bendit, leader écologiste et ardent défenseur des libertés, a surpris en disant son trouble : » Polanski est défendu avec trois arguments que je refuse. Dire « c’était il y a trente ans », c’est trop simple, ça relève d’un vrai débat sur la notion de prescription, qui n’est pas la même selon les pays. Dire « c’est un grand artiste », c’est vrai, mais s’il est malade, il doit se soigner. Dire « c’était une autre époque », c’est sous-entendre qu’après 1968 tout était permis. C’est totalement fallacieux : en 1968, on n’avait pas le droit de violer les petites filles en les droguant. » M. Cohn-Bendit admet que ce sujet lui est sensible : ses écrits » provocateurs » sur la sexualité des enfants, en 1975, lui ont souvent été reprochés.
Il y a les faits, et il y a aussi la question controversée du procès, que les défenseurs de Polanski vont creuser. Le 8 août 1977, pour éviter un procès qui aurait traumatisé la victime en la contraignant à témoigner publiquement, le juge Laurence Rittenband, les avocats de Polanski et le procureur se mettent d’accord sur un » plea bargain « , une pratique courante : Polanski plaide coupable du seul chef d’inculpation » relations sexuelles illégales » et le ministère public abandonne les autres charges.
Le juge (aujourd’hui décédé) se serait engagé à ne pas incarcérer le cinéaste au-delà de son internement pour évaluation psychiatrique à la prison de Chino. Après quarante-deux jours de détention et un rapport affirmant qu’il n’y a pas de déviances sexuelles chez Polanski, ce dernier est libéré. En attendant son jugement. La veille de l’audience du 1er février 1978, Polanski fuit, craignant que le juge ne respecte pas sa parole. Il n’y a donc jamais eu de procès ni de peine prononcée.
Du reste, l’actuel mandat d’arrêt visant Polanski se cantonne au seul chef d’inculpation de » relations sexuelles illégales « . Sauf que, depuis l’interpellation, le bureau du procureur de Los Angeles a suggéré que la fuite de Polanski pourrait invalider cet accord, et donc placer à nouveau le réalisateur sous le coup des six chefs d’inculpation initiaux. Intervient ici la personnalité de Steve Cooley, District Attorney (procureur) du comté de Los Angeles. Le sort de Roman Polanski dépend beaucoup de lui. Il a obtenu son arrestation en Suisse, il compte bien l’extrader et le faire comparaître. Sans doute M. Cooley a-t-il été piqué au vif quand les avocats de Polanski ont déclaré lors d’une audience de demande de classement de l’affaire, en décembre 2008, que le procureur n’avait pas vraiment fait d’efforts, depuis quelques années, pour faire extrader le cinéaste…
» Justice sera enfin faite « , a-t-il déclaré, indiquant qu’il visait une peine plus sévère que celle de 1977. » Sa peine très, très, très légère n’est plus envisageable avec les lois actuelles. » Pour ce républicain de 62 ans, fils d’un agent du FBI, à son poste depuis 2000, et dont il faut rappeler qu’il est élu, les enjeux sont énormes. L’affaire Polanski intervient après l’acquittement de plusieurs personnalités : en 2004, la vedette de football américain O.J. Simpson, poursuivi pour le double meurtre de son ex-femme et d’un ami ; en 2001, l’acteur Robert Blake pour le meurtre de sa femme. Avec Roman Polanski, Steve Cooley, réélu en 2004 et en 2008, est déterminé à prouver à ses électeurs que Los Angeles, siège de l’industrie du cinéma, ne pratique pas une justice indulgente envers les stars.
Polanski doit » être traité comme tout le monde « , confirme le gouverneur de Californie et ancien acteur Arnold Schwarzenegger. Même avis pour Jill Stewart, rédactrice en chef de l’hebdomadaire L.A.Weekly et experte de la politique locale : » La population du comté de Los Angeles, majoritairement ouvrière, s’offusque quand des privilégiés se voient offrir des accords à l’amiable et échappent à la justice, alors que les gens autour d’eux n’ont pas cette chance. «
M. Cooley devra aussi rendre des comptes du coût – financier et en personnel – d’une affaire vieille de trente-deux ans. D’autant que la justice en Californie est surchargée, contrainte d’opérer des coupes budgétaires et de fermer certains jours ses tribunaux. Et l’Etat de Californie est tenu, par décret fédéral, de réduire sa population carcérale de 40 000 prisonniers.
Les avocats de Polanski, qui ont récemment déclaré que leur client était » digne mais tendu » dans sa prison suisse, ne manqueront pas enfin de rappeler un épisode du film documentaire Roman Polanski, Wanted and Desired, de Marina Zenovich, dans lequel David Wells, substitut du procureur en 1977, dit avoir communiqué avec le juge Rittenband au cours de l’instruction. C’est interdit. M. Wells a tenté de corriger le tir, il y a peu, sur CNN. » J’ai dit ça pour animer mes propos « , a-t-il lancé, peu convaincant. Il a été incapable de répondre à la question : » Mentiez-vous à l’époque ou mentez-vous maintenant ? «
Agathe Duparc, Pierre Jaxel-Truer et Claudine Mulard